Esaïe, le fameux prophète, pourrait-il nous dire quelque chose de pertinent à nous aujourd'hui, alors que notre contexte paraît si différent du sien ? Nous ne sommes pas sous domination étrangère, ni sous aucune domination d'ailleurs ! Quoique…
Nous avons un système social qui prend en charge les démunis de notre société, les « sans voix » de l'époque. Mais malgré un monde florissant comme le nôtre, nombre de laissés-pour-compte ne trouvent pas ou plus d'aide. Que deviennent-ils ? Des « sans voix » qui ne sont plus dénombrés par nos statistiques ? Ces dernières relèvent un paupérisme croissant, un nombre toujours plus grand de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, et ceci non pas au loin, mais ici, chez nous. Et ce ne sont pas uniquement des immigrés qui sont dans ces situations précaires, mais nombre de nos concitoyens, voire de nos voisins proches.
Il y a quelques semaines, j'ai eu un contact téléphonique avec une assistance sociale. Celle-ci mentionnait que les services sociaux avaient connaissance d’un grand nombre de personnes qui pourraient bénéficier d'une aide, mais qui, tellement mal moralement et honteuses de leur situation, ne trouvaient même plus la force de la demander. Devant de telles situations, les services sociaux sont impuissants.
Crie !
Alors notre contexte social, si brillant que cela ? Si parfait que cela ? Si adapté que cela ? « Crie de toutes tes forces, fais retentir ta voix, dénonce… », nous dit Esaïe 58,1. Dénoncer ces situations, tout le monde le fait. Nous sommes les rois de la dénonciation de ce qui nous semble intolérable. Les statistiques dénoncent elles aussi ce mal-être de notre société, montrant les limites de notre système dont la préoccupation majeure n'est probablement pas le bien-être des plus pauvres et des démunis. Les « sans voix » de notre société ont de la voix. Alors, à quoi bon un cri de plus ?
Mais à qui le prophète est-il appelé à crier ? « Annonce à mon peuple sa révolte. »
Nous voilà mis en lumière, dérangés dans notre contestation, stoppé net. Oups ! Ce n'est pas le comportement des autres ou du système qui est contesté, mais celui du peuple. Malaise. Et que lui est-il reproché au juste ?
Un peuple parfait
« Ils me cherchent chaque jour… Ils se plaisent à connaître mes voies… », dit le Seigneur.
Un peuple parfait qui cherche la volonté de son Dieu ! Mais que vouloir de plus ? « Cherchez d'abord le Royaume de Dieu », nous dit Mt 6,33. Et que dit ensuite l'Eternel ? « Comme ferait un peuple qui accomplit ce qui est juste. » Point d'ironie dans le discours du Seigneur ? Peut-être pas. Il suffit de regarder la plainte du peuple qui suit pour nous en persuader (v. 5) : « Que nous sert de jeûner si tu ne le vois pas ? » ou encore : « Pourquoi nous humilier, si tu n'y prend pas garde ? »
Le malentendu
Visiblement, il y a un malentendu entre l'attente de Dieu et la pratique cultuelle du peuple. C'est dans cet entre-deux que le prophète est appelé à crier de toutes ses forces. Parfois le silence ne suffit plus à se faire entendre et il faut prendre les grands moyens.
Que dénonce le Seigneur par la voix de son prophète ? « Vous jeûnez et en même temps vous traitez vos affaires. Vous exploitez vos ouvriers, vous passez vos temps de culte en procès et querelles, vous frappez du poing avec méchanceté. » Est-ce là le jeûne, le culte par lequel la prière du peuple va être entendue par son Seigneur ? Est-ce là la bonne manière de chercher ses voies ? « Est-ce là le culte auquel je prends plaisir ? »
Le remède
Quel remède à cette pratique ? « Repentez-vous race de vipères » ? Non ! « Tourne ton regard vers l'extérieur, ouvre tes yeux ! Vois ce qui se passe autour de toi. Cherche ce qui me plaît », nous dit le Seigneur. Le culte qui me plaît ? Détache les liens de la méchanceté, délie de la servitude, rends libres ceux qui sont opprimés, partage ton pain avec ceux qui ont faim, offre l'hospitalité aux sans-abri, donne des habits à ceux qui n'en ont pas, ne te détourne pas de ton prochain.
Ce texte ne nous invite pas à une sorte d'extase ou de voyage mystique au cœur des pensées de Dieu pour le comprendre. Il nous invite à transmettre son amour pour l'humanité par des gestes concrets en lien avec le contexte dans lequel le peuple se trouve. Il invite son peuple, et nous avec, à être porteurs des valeurs du Royaume de Dieu dans le monde. Il nous invite à un retour sur terre dans le concret de notre monde.
Alors, notre culte doit-il complètement changer, devons-nous passer nos dimanches matins ou nos samedis soirs dans les rues ? Pourquoi pas ?
« Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice »
L'enjeu dans ce texte, c'est le droit et la justice que Dieu voudrait voir pratiqués, afin que le plus démuni ne le soit plus. Et ceci non pas uniquement pour son bien-être personnel, mais afin que sa préoccupation première ne soit plus sa précarité et sa survie. L'objectif est que tout le peuple, du plus petit au plus grand, puisse envisager de participer dans de bonnes conditions à la pratique cultuelle.
Dans notre contexte, ce serait, par exemple, que les plus démunis de ceux que nous connaissons… Vous n'en connaissez pas ? Les plus démunis de ceux que nous connaissons, disais-je, ne le soient plus et qu'ils puissent, soulagés de cette servitude, envisager librement un questionnement : « Pourquoi m'as-tu aidé ? Pourquoi faites-vous cela ? » Alors un espace pourrait être ouvert afin que la Parole puisse agir, guérir, relever; alors une place serait ouverte au témoignage : alors nous aurions le droit à la parole... Et qui sait ce que cela produirait ? Il pourrait même y avoir de nouvelles personnes dans nos Eglises ?! Mais… le voulons-nous ?
Une promesse à la clé
Il y a une promesse liée à ce texte, une perspective réjouissante, un dialogue qui se renoue. La manière dont Dieu conçoit le droit et la justice au sein de son peuple est annoncée comme une condition de « salut ». S'il entre dans cette autre manière de vivre le droit et la justice selon la compréhension de Dieu, alors : « Quand tu appelleras, l'Eternel répondra; quand tu crieras à l'aide, il dira : 'Je suis là !' » Une belle perspective non ?
Et quelle perception vu de l'extérieur ? « Tu seras appelé : 'réparateur des brèches' et 'celui qui restaure les demeures en ruines'. » Crédibilité et reconnaissance.
Alors l'Eglise, juste un beau bâtiment ?
Pour faire court, l'Eglise ne serait plus juste un beau bâtiment, un beau local dans lequel on vient une fois par semaine écouter un personnage un peu bizarre parler du haut d'une chaire, à mille lieux de nos préoccupations. L'Eglise pourrait alors redevenir ou devenir « utile » dans notre société, trouver une place qu'elle a perdue à l'heure où nous sommes confrontés aux limites de notre système social. L'Eglise aurait probablement une carte majeure à jouer, non pour redorer son blason, mais bien parce que la volonté de notre Dieu est que règne, dans notre monde, le droit et la justice, afin que chacun soit libre de choisir ou pas ce Dieu qui veut le meilleur pour chacune de ses créatures.
Claude Bordigoni, pasteur dans l’Eglise évangélique libre de Reconvilier (FREE)
Esaïe 58, 1-12
Crie à plein gosier, ne te retiens pas ! Elève la voix comme une trompe, dis à mon peuple sa transgression, à la maison de Jacob ses péchés ! Jour après jour ils me cherchent, ils désirent connaître mes voies, comme une nation qui aurait agi selon la justice et qui n’aurait pas abandonné l’équité de son Dieu (...) Le jeûne que je préconise, n’est-ce pas plutôt ceci : détacher les chaînes de la méchanceté, dénouer les liens du joug, renvoyer libres ceux qu’on écrase, et rompre tout joug ?...