Comme tous les samedis après-midi sur le coup des 16h30, Rami Ayyad a fermé la librairie chrétienne de Gaza de son store en métal. Cette librairie ouverte par la Société biblique en 1998 se trouvait dans la vieille ville, à côté de la station principale de taxis. Ce 6 octobre 2007, un véhicule s’est soudain approché de lui et plusieurs hommes l’ont forcé à y monter. Du siège arrière, il a pu appeler une dernière fois sa famille pour lui dire qu’il rentrerait à la maison sans doute un peu plus tard... Il a été retrouvé mort le lendemain matin, de nombreux coups de couteau lui balafrant le corps. Deux trous de balle étaient visibles, l’un à la poitrine, l’autre à la tête.
Petit territoire surpeuplé coincé entre Israël et la Méditerranée, la bande de Gaza est la proie de guerres successives depuis plus de 60 ans. La ville même de Gaza compte 400 000 habitants dont le 60% a moins de 18 ans. L’identité palestinienne a longtemps soudé les habitants, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, face à la menace israélienne. En 2007, quelque 3500 chrétiens vivaient alors dans la bande de Gaza. A la mi-juin, le bras armé du Hamas a éliminé les forces du Fatah et de l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas, au cours d’une courte et brutale guerre civile. Dans le déchaînement de violence, l’église catholique de rite latin et l’école des Sœurs du Rosaire ont été attaquées, le collège gravement endommagé. D’autres menaces ont suivi jusqu’à l’enlèvement et l’assassinat de Rami Ayyad, à qui un inconnu avait lancé, l’été précédent, qu’il lui montrerait « comment devenir musulman ».
Le rire, l’amour et la paix
Rami Ayyad tenait la librairie chrétienne de la bande de Gaza. Il y vendait des livres, des bibles et de la littérature chrétienne, mais y offrait aussi des cours de langues et d’informatique. Sa personnalité joyeuse redonnait du courage à beaucoup de Gazaouis : « Il faisait des blagues, combien même le quotidien à Gaza était parfois étouffant et déprimant », a témoigné l’écrivain égypto-allemand Philip Rizq basé à Gaza. « Rami connaissait la dureté de l’occupation, le couvre-feu, les incursions de l’armée israélienne, les restrictions pour se déplacer sur les 365 km2 que compte la bande de Gaza... mais il choisissait de répondre à la violence ambiante par le rire, l’amour et la paix. »
Véritable figure de résistance qui puisait sa force dans sa foi chrétienne, il rayonnait dans son officine, qui avait été l'objet d'attentats à la bombe en février et avril 2007 déjà par des islamistes radicaux se revendiquant du groupe « Glaives vertueux de l’islam ». Ce groupe se sentait alors « encouragé » à lutter contre toute forme de « prosélytisme » non islamique depuis la création à Gaza d’un « Comité de la promotion de la vertu et de la prévention du vice ». Ce comité qui s’inspirait de la police religieuse saoudienne, la « Moutawa », entendait faire respecter par la force les principes religieux islamiques en vigueur en Arabie saoudite.
Choc immense
En plus de son travail en librairie, Rami était également responsable des jeunes de l'Eglise baptiste de Gaza. L’annonce de sa mort a été un choc immense pour la petite communauté chrétienne : « Tout le monde l'aimait. C'était quelqu’un d’une nature bonne, toujours le sourire aux lèvres, a indiqué Labib Madanat, secrétaire exécutif de la Société biblique palestinienne. C'était la personnalité de la librairie, un homme doté d’un très grand sens de l'accueil et du service, comme Jésus aurait pu l'être. » Un prêtre franciscain a ajouté ceci : « Ce n'est pas la première fois qu'un chrétien évangélique nous illumine de sa foi et nous enseigne à avoir confiance en Jésus, en étant libre de toute contrainte, libre de la peur et d'une trop grande prudence, qui pèsent trop souvent sur un grand nombre d'entre nous. »
Au moment de sa mort, Rami avait deux fils en bas âge et son épouse, Pauline, était enceinte de 5 mois. La petite Sama – un prénom qui signifie « Ciel » en arabe, « parce que son père est au ciel » – est née le 4 février 2008. Toujours victime de menaces de mort, la famille a quitté Gaza. Le Hamas lui avait dit, comme d’ailleurs aux autres membres de la Société biblique, ne plus pouvoir garantir sa sécurité.
Des citoyens de seconde catégorie
« Je crois au Seigneur Jésus et j’ai placé mon espoir en lui », témoigne Pauline, six ans après la mort de son mari. Aujourd’hui cette femme s’est engagée comme volontaire à la Société biblique, la mission même pour laquelle son mari a laissé sa vie. Jointe par téléphone, cette veuve déclare prier Dieu qu’il pardonne à ces meurtriers « qui n’ont pas su ce qu’ils faisaient... » Tuer quelqu’un n’est pas une victoire, ajoute-t-elle encore, non sans souligner que personne n’a pu changer l’amour de Rami pour son Dieu et son engagement à le suivre.
« Je crois que Rami n’a jamais renié Jésus, au risque d’être martyr en raison de sa foi », confie-t-elle. « Je sais combien ses meurtriers le haïssaient, mais lui savait que son combat n’était pas contre eux mais contre les puissances du mal. Il est maintenant au ciel en train de prier et de louer son Seigneur ; il n’y a pas de tristesse, pas de larmes, alors que ses meurtriers vivent, eux, dans le chagrin et l’anxiété. »
En octobre 2007, les commentaires ont fusé à couvert suite au décès de Rami, porte et volets clos : « Beaucoup de musulmans croient que Rami évangélisaient les gens : dans ces circonstances, c’était ok pour eux de le tuer », a confié un chrétien. « Voyez-vous, même si formellement il se déclare opposé à la violence, le gouvernement du Hamas est fanatiquement islamique, lui a fait écho un autre Gazaoui. Ce parti suit la norme ‘théocratique’ d’imposer le choix de la conversion forcée ou de la réduction au statut de dhimmi[1] aux chrétiens. Ce qui en fait des citoyens de seconde catégorie. » Cette persécution s’est notamment traduite par la confiscation, déguisée en acquisition ou en cession, de terres de Palestiniens chrétiens.
Intimidations et harcèlements
Selon un rapport publié en 2009 par le chercheur Jonathan Spyer d’une université privée israélienne, la situation des chrétiens est devenue intenable depuis le coup d’état du Hamas. « Enhardies par l’indifférence des autorités, les organisations islamistes ont commencé à viser les institutions chrétiennes et les personnes par l’intimidation, le harcèlement et les menaces d’enlèvement, en permanence, et sans aucune impunité. » Suite à l’assassinat de Rami, les institutions chrétiennes ont subi de nombreuses attaques à la bombe l’année suivante, comme l’école américaine de Beit Lahya en mai 2008, et à nouveau l’école des Sœurs du Rosaire en été. Pour le chercheur, ces persécutions ne sont pas le fait de simples groupuscules, mais il s’agit d’un large processus d’islamisation de la société palestinienne dans lequel le Hamas est partie prenante.
Selon des sources concordantes, la population chrétienne de la bande de Gaza devient portion congrue au milieu de 1,5 million de musulmans.
Gabrielle Desarzens
Ce récit est paru dans: Gabrielle Desarzens et alii, Figures évangéliques de résistance, Dossier Vivre no 35, 2013, 140 p. A commander ici.
Note
1 Dans certaines sociétés musulmanes, le statut de dhimmi est réservé à une personne d’une autre religion. Elle ne bénéficie pas des mêmes droits que les citoyens de religion musulmane.