De passage en Suisse, le pasteur Salah Chalah de Tizi Ouzou fait le point sur la situation des chrétiens en Algérie

vendredi 13 mars 2009
Salah Chalah est le pasteur de l’Eglise protestante de Tizi Ouzou, une communauté chrétienne qui rassemble entre 450 et 500 personnes au culte le vendredi matin. Vice-président de l’Eglise protestante d’Algérie, il s’est vu notifier en mars dernier de fermer son église. Après quelques jours d’hésitation, les responsables de cette communauté ont décidé de ne pas obtempérer. De passage en Suisse pour la journée annuelle de l’ONG « Portes ouvertes », Salah Chalah fait le point sur la situation des chrétiens en Algérie après un début d’année 2008 où catholiques et protestants ont été passablement malmenés.

Pasteur Salah Chalah, il y a différents reproches qui sont adressés aux protestants d’Algérie par le gouvernement ou les médias algériens. On vous reproche notamment d’acheter les consciences en payant 5'000 Euros aux Algériens qui deviennent chrétiens. Est-ce vrai : vous achetez les consciences pour faire grandir la communauté chrétienne algérienne ?
Salah Chalah -
Les consciences ne peuvent ni s’acheter ni se vendre. Je demande à tous ceux qui nous accusent d’acheter les consciences de le prouver. Et je m’arrêterais là pour ne pas tomber dans la polémique !

Il y a un autre reproche qui vous est adressé : celui d’utiliser la religion pour déstabiliser l’Algérie et rompre l’unité nationale autour de l’islam. Comment réagissez-vous à un tel reproche ?
C’est un mensonge. Nous ne sommes pas contre l’Etat. Nous autres chrétiens algériens, nous sommes des Algériens à part entière. Ce qui unit l’Algérie, ce n’est pas l’islam, c’est la conscience d’habiter un même pays et d’avoir une histoire commune !

La constitution algérienne affirme que l’islam est « religion d’Etat ». La religion musulmane fait donc office de ciment identitaire pour l’Algérie...
Oui effectivement, dans la constitution l’islam est dit religion d’Etat, mais c’est dommage de lier si étroitement une religion à l’Etat. On dit : « Telle personne a épousé une religion... » Il s’agit d’un choix individuel. On ne peut pas dire que quelqu’un est né musulman, chrétien ou bouddhiste. On naît être humain, sur terre, d’une certaine nationalité... et la religion est une question de conviction. Elle ne peut pas faire partie de l’identité d’une nation !

Vous avancez là un message qui, politiquement, peut présenter des difficultés dans de nombreux pays d’arrière-plan musulman et peut résonner comme une interpellation très vive des pouvoirs publics algériens.
Oui, nous en sommes conscients, mais nous ne l’avons pas cherché ! Nous voulons que notre Algérie évolue. Nous voulons que l’Etat algérien prenne conscience que l’Algérie n’est pas en soi musulmane. Elle est algérienne avant tout ! L’islam est une religion respectable, que chacun a la possibilité de choisir, mais si cette personne en choisit une autre, cela ne la soustrait pas à son « algérianité ». Je souhaite que notre Etat parvienne à intégrer cela !

Avez-vous l’impression que lorsque vous adressez ce plaidoyer aux autorités algériennes, vous êtes entendus ?
A titre personnel, quand on discute de personne à personne, les gens sont d’accord avec ce principe, mais il faut le courage politique de l’instaurer. Là il y a des calculs qui nous dépassent.

Il y a un autre reproche qui est adressé à la minorité chrétienne d’Algérie, c’est de chercher à constituer un groupe qui donnerait aux Etats-Unis l’occasion d’intervenir dans votre pays. Comment voyez-vous ce reproche ?
Cette accusation n’est pas nouvelle ! A chaque fois que nous vivons une crise, l’Etat accuse un groupe d'être l'agent d'une main étrangère. Aujourd’hui ce sont les chrétiens. Demain je ne sais pas qui ! Pour moi, c’est un manque de courage de voir la réalité telle qu’elle se présente. Le développement de la foi chrétienne en Algérie est devenu un phénomène. C’est dommage que nos autorités traitent ce phénomène de « fléau »...

Il y a encore un reproche qui vous est adressé par les autorités algérienne ou certains médias, c’est que votre présence sème le désordre en Algérie. Comment réagissez-vous à cela ?
L’Algérie a traversé pendant les années 90 une période de déstabilisation à cause du terrorisme islamiste. Tout le monde est d’accord avec cela. Et les chrétiens n’y étaient pour rien... On ne peut pas dire que nous voulons qu’aujourd’hui notre pays retombe dans un tel malheur. Que Dieu nous en préserve !

***

Il y a une question que se posent de nombreux Européens par rapport à la croissance du nombre de chrétiens en Algérie, c’est de savoir comment un musulman algérien peut devenir chrétien ?
L’islam comme toute autre religion ne fait pas partie de l’identité de naissance d’une personne. Une religion, elle se choisit, elle s’épouse. Le problème de la conception musulmane, c’est que si on naît en terre d’islam, on est automatiquement musulman. Donc on est condamné à vivre et à mourir musulman. Si on change de religion, on devient l’ennemi de la nation.

Et vous personnellement, qu’est-ce qui fait que vous êtes devenu chrétien ?
C’est une recherche personnelle pendant mon temps d’études à l’université. Je me trouvais dans un phase de réflexion. Comme dit la Bible : « Dans le coeur de l’homme, il y a la pensée de l’éternité. » Chacun cherche un jour ou l’autre et durant cette période de réflexion le Seigneur a permis que je rencontre un chrétien kabyle des montagnes, qui m’a annoncé la Bonne Nouvelle de Jésus de Nazareth.

Vous n’avez été ni en contact avec des Américains ni avec des Européens ?
Ni avec des Américains, ni avec des Européens... et je n’ai pas touché 5'000 Euros ! J’ai tout simplement été touché par la Bonne Nouvelle de l’Evangile.

Quand vous dites « touché par la Bonne Nouvelle », qu’est-ce que cela veut dire ?
Ce qui m’a touché, c’est la dimension de réconciliation entre Dieu et l’homme que développe l’Evangile de Jésus. J’avais vécu pendant des années avec une peur de rencontrer Dieu. Je fuyais Dieu, mais quand j’ai entendu la Bonne Nouvelle, j’ai su que Dieu est venu se réconcilier avec l’homme et ça je l’ai vécu personnellement. Une paix indescriptible est venue s’installer dans ma vie. C’est cette paix-là qui m’a conduit à cheminer jusqu’à aujourd’hui avec le Christ.

Est-ce que vous diriez que vous avez rencontré Dieu, personnellement ?
Oui, au travers de la personne de Jésus.

Qu’est-ce qui fait aujourd’hui que la foi chrétienne se développe plus particulièrement en Kabylie ?
La Kabylie a une particularité : c’est une région qui fait preuve d’un esprit d’ouverture. Nous les Kabyles, nous avons été les premiers à nous battre pour la démocratie et pour le multipartisme en Algérie. Les Kabyles sont ouverts à toutes sortes de manières de voir. Il y a donc un respect de l’individu et un respect de la personne humaine.

Pour certains Kabyles, la foi chrétienne est donc un gage de liberté et de renouveau ?
La première fois que l’on entend parler d’un Dieu qui respecte notre identité et notre culture, on est intéressé. C’est ce que vivent des minorités dans le monde entier ! Il n’y a que Jésus qui accepte de vivre et de composer avec notre culture et notre langue. Les autres religions, y compris l’islam, montrent un Dieu qui nie la diversité qu’il a créée. Elles nous proposent une uniformité, alors que Dieu accepte notre richesse culturelle et linguistique.

Pour vous en tant que pasteur, cela veut dire la possibilité de prêcher, de chanter et d’avoir des cultes en kabyle ?
Nous célébrons Dieu en arabe, en kabyle et en français, parce c’est le reflet de notre société. La société algérienne est aujourd’hui trilingue, qu’on le veuille ou non. Nous sommes au bénéfice d’un héritage. Nous avons vécu 132 ans de colonisation. Nous avons aussi des racines arabes et kabyles. Nous sommes donc trilingues : voilà pourquoi nous chantons et nous prêchons en arabe, en kabyle et en français.

***

Pendant plusieurs années la diversité religieuse que l’on a pu voir se développer en Algérie a représenté pour nombre d’Occidentaux la preuve qu’il était possible dans un pays musulman de voir émerger davantage de liberté religieuse. Avec ce qui s’est passé ces derniers mois en Algérie, on a l’impression de retomber de haut. Est-ce que pour vous un certain pluralisme religieux est toujours possible dans les pays du Maghreb, et plus particulièrement en Algérie ?
Oui, avec un Etat fort et laïc, c’est possible !

Politiquement, vous allez à l’encontre de nombre de discours tenus dans les pays du Maghreb et dans les pays d’arrière-plan musulman...
Effectivement, ça peut paraître choquant à certains, mais la laïcité ce n’est pas renier Dieu, c’est bien séparer le politique du religieux. Nous voulons que nos autorités opèrent cette séparation. Ce qui est politique est politique, ce qui est religieux concerne l’individu. Il est donc fondamental que chaque personne puisse choisir la religion qu’il veut.

Au vu de la situation actuelle faite aux chrétiens en Algérie, vous arrive-t-il d’avoir peur pour votre vie ou pour celle des membres de votre famille ?
Oui, ça m’arrive, mais je demeure optimiste et plein d’espoir. Si je disais que je n’ai pas peur, je mentirais. Il y a des périodes, ces deux dernières années, où nous avons eu peur de l’avenir, mais notre avenir est entre les mains du Seigneur et celui de l’Eglise algérienne aussi.

Attendez-vous quelque chose de particulier des Européens et plus particulièrement des chrétiens européens ?
J’aimerais tout d’abord remercier tous ceux qui se sont mobilisés, qui ont prié et qui prient encore pour nous. Merci aussi à ceux qui ont manifesté leur inquiétude par des lettres, des déclarations et des rassemblements en faveur de la liberté religieuse en Algérie. Cela a été très positif et d’un grand apport pour nous.
Nous aimerions que ce mouvement continue, parce que, jusqu’à maintenant, la loi de 2006 est toujours en vigueur, les notifications de fermeture des églises sont toujours là et les décisions de justice nous les attendons d’une semaine à l’autre. Que nos frères et soeurs continuent donc de se mobiliser et de dénoncer ce qui se passe chez nous !

Propos recueillis par Serge Carrel

Plus d’infos sur la journée annuelle de Portes ouvertes « Chrétiens de l’ombre » le samedi 27 septembre et notamment sur la table ronde « L’Algérie et la liberté de religion ».

  • Encadré 1: La situation de l’Eglise protestante d’Algérie
    L’Eglise protestante d’Algérie (EPA) regroupe une trentaine de communautés chrétiennes réparties sur tout le territoire algérien. Son président s’appelle Mustapha Krim et son vice-président Salah Chalah. Selon ce dernier, cette « fédération protestante algérienne » regrouperait entre 4 et 5'000 chrétiens.
    Qu’ils soient catholiques ou protestants, les chrétiens algériens encourent actuellement nombre de tracasseries, voire des persécutions. La situation s’est particulièrement durcie depuis le début de 2008 avec des condamnations à des peines de prison avec sursis pour un prêtre français, fin janvier, et pour plusieurs protestants algériens dans les mois qui ont suivi.
    La situation d’Habiba Kouider, une Algérienne de 37 ans, a particulièrement intéressé les médias. Cette employée d’un jardin d’enfants encourt 3 ans de prison avec sursis et 5'000 Euros d’amende pour "délit de prosélytisme". Le jugement définitif devrait intervenir au cours du mois d’octobre.
    Les difficultés que connaissent les chrétiens actuellement en Algérie découlent d’une loi promulguée en 2006 et qui condamne à l’emprisonnement et à l’amende toute personne qui « incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion », ou qui « fabrique, entrepose ou distribue des documents imprimés ou métrages audiovisuels ou par tout autre support ou moyen qui visent à ébranler la foi d’un musulman ».
    Le pasteur Salah Chalah demande la révision de cette loi.
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