Assistance au suicide: « L’entrée d’Exit au CHUV est précoce ! »

jeudi 29 mars 2007
L’assistance au suicide en fin de vie est un thème extrêmement chaud. Parmi les soignants, comme dans le grand public. Les fronts sont posés. D’un côté l’association Exit pour laquelle « mourir dans la dignité », c’est pouvoir fixer l’heure de son trépas. De l’autre, les partisans des soins palliatifs, souvent proches de certaines convictions chrétiennes, qui souhaitent un accompagnement plein de compassion et de sollicitude jusqu’à la fin. A l’heure où Exit bénéficie d’un accès limité aux hôpitaux universitaires romands, l’Eglise évangélique libre de Reconvilier organise une table ronde le lundi 30 avril prochain avec Elisabeth Paroz, infirmière retraitée, pionnière des soins palliatifs dans le Jura bernois, et le Dr Jean-Michel Bigler, médecin responsable à la Fondation Rive-Neuve (Villeneuve). Pour alimenter la réflexion avant cette rencontre, voici une interview de Michel Pétermann, professeur HES en soins infirmiers à Lausanne, spécialisé en soins palliatifs.

Michel Pétermann, comment avez-vous perçu l’ « entrée » d’Exit au CHUV et aux HUG durant le premier semestre 2006 ?
L’entrée officielle d’Exit dans nos hôpitaux universitaires m’apparaît précoce. C’est mon avis... et je sais qu’il n’est pas partagé par tous mes collègues qui enseignent la même matière que moi !

Pourquoi qualifiez-vous cette « entrée » de « précoce » ?
En fait, on n’a pas encore développé suffisamment les soins palliatifs pour pouvoir faire le constat des limites d’une telle offre. Lorsqu’une personne qui doit être soignée dans une unité de soins palliatifs, bénéficiera d’un accès immédiat à ces soins, il sera éventuellement temps d’envisager d’accepter qu’Exit entre dans nos hôpitaux. Avec cette autorisation, Exit entre dans nos hôpitaux alors que tous les patients n’ont pas une place en soins palliatifs....

Il y a donc au niveau de la planification hospitalière un nombre insuffisant de lits dévolus aux soins palliatifs ?
Oui... Mais ceci dit, ma position est plutôt théorique parce qu’à ma connaissance il n’y a pas encore eu d’assistance au suicide au CHUV. Donc on n’est pas en train de combler le manque de lits en soins palliatifs par l’assistance au suicide, mais c’est un glissement qui est possible.
En octobre dernier dans « L’Hebdo », un lecteur s’adressait à Pascal Couchepin et déplorait son soutien aux soins palliatifs. Selon ce lecteur, le développement de tels soins va coûter beaucoup trop cher, alors que, avec la modification de la pyramide des âges, il y aura de plus en plus de besoins dans ce domaine.

En fait ce lecteur voulait laisser libre le recours à l’assistance au suicide comme un moyen meilleur marché de gérer la fin de la vie ?
Oui. Aujourd’hui des gens dans la population usent d’arguments purement économiques pour soutenir l’assistance au suicide. En fait, on n’est pas loin de certaines formes d’eugénisme. Cela fait frémir !

Pourquoi est-ce qu’on assiste à une telle montée en puissance, du point de vue médiatique en tout cas, de l’assistance au suicide ?
Il y a probablement plusieurs courants philosophiques qui sont à l’origine de cette montée en puissance. Tout d’abord, certains courants humanistes font de l’autonomie une valeur fondamentale en éthique biomédicale. Selon cette perspective, il est normal de rester maître de sa vie jusqu’au bout, y compris de choisir l’instant de sa mort.
On vit dans une société très matérialiste où des mythes comme l’éternelle beauté ou l’éternelle jeunesse, sont largement répandus. Au contact de certains patients, ces mythes émergent. Personnellement, j’ai été en contact avec une jeune femme qui a renoncé, après de longues discussions avec l’équipe médicale, à un traitement anticancéreux. Elle ne souhaitait pas perdre un sein. Il fallait envisager une ablation du sein, puis faire une chimiothérapie. Non pas simplement pour prolonger sa vie, mais pour la guérir. Cette jeune femme d’une trentaine d’années a préféré écourter sa vie et ne pas toucher à son intégrité corporelle.
A l’hôpital, on rencontre aussi des personnes qui affichent des valeurs étonnantes parfois. On entend dire par exemple : « Je veux mourir, parce que je ne sers plus à rien ! » Qu’y a-t-il derrière une telle affirmation ? Si une personne n’est plus insérée dans un milieu professionnel, dans un club ou si elle n’a plus d’enfants à sa charge, elle ne sert plus à rien ?

Voilà qui rejoint une certaine culture helvétique qui affirme : « Je trouve mon identité au travers de mon travail »...
Certainement... Au cours de ma carrière, j’ai rencontré plusieurs personnes qui ont découvert, dans une période de fin de vie, d’autres valeurs voire de nouvelles valeurs. Notamment le fait que l’on trouve du sens en étant en relation avec d’autres êtres humains.
Une personne entre un jour dans une unité de soins palliatifs. Elle demande d’emblée non seulement que l’on pratique l’assistance au suicide, mais l’euthanasie ! On lui explique que l’euthanasie n’est pas autorisée en Suisse. Pour l’assistance au suicide, on en reparlera !
Dans les entretiens que nous avons ensuite, on découvre que cette personne se sent inutile et à la charge de la société. Lorsqu’elle réalise que l’équipe soignante a un réel plaisir à être avec elle, elle modifie complètement sa perception de la situation. Alors qu’elle n’avait plus de proches, elle découvre des proches dans les soignants. Depuis lors, elle n’a plus jamais demandé de renseignements sur l’assistance au suicide !
Il y a là un problème de mise en perspective de la fin de la vie, même si je dois bien admettre que toutes les personnes qui demandent l’assistance au suicide ne sont pas dans cette logique-là.

N’y a-t-il pas souvent derrière la demande d’assistance au suicide une crainte de la souffrance ?
Oui peut-être... Mais la question à se poser, c’est alors : pourquoi limiterait-on l’assistance au suicide à des personnes qui souffrent de maladies incurables, à pronostic fatal à moyenne ou brève échéance ? Pourquoi ne l’offrirait-on pas aussi à des personnes atteintes de maladies psychiques dont la souffrance peut être énorme ? Il ne faut pas se voiler la face. C’est de nouveau un problème philosophique, voire spirituel au sens large. Quel sens a ma vie ? Qu’est-ce que je fais de mon existence ? Comment vivre, alors que je suis dans un corps qui me fait éminemment souffrir par moment ?

Il s’agit donc d’élargir la perspective, d’entrer dans une réflexion globale sur le sens et sur les valeurs qui m’habitent et de ne pas se laisser enfermer par des valeurs culturelles ou financières, qui pousseraient à une gestion expéditive de la fin de la vie ?
En fait il s’agit simplement de soigner les personnes. Si soigner quelqu’un, c’est simplement avoir une vision mécaniste de la personne humaine, comme l’a développée à une certaine période la médecine dite scientifique, c’est clair que l’on ne va pas du tout traiter la question de la souffrance. Mais si le malade est vraiment considéré comme une personne qui, par ailleurs, souffre, alors on va interagir avec elle et considérer comment la maladie ou sa souffrance modifient son existence, quels projets de vie elle souhaite développer, compte tenu du fait qu’elle souffre de telle ou telle limite ou de tel ou tel handicap. A mon sens, dès l’instant où une personne est reconnue en tant que personne, pas simplement en tant qu’un ensemble d’organes, les choses changent radicalement !

Dans sa communication, l’association Exit affirme que recourir à l’assistance au suicide, c’est « mourir dans la dignité ». Comment réagissez-vous à cela ?
Qu’est-ce que mourir dans la dignité ? Peut-on mourir dignement, tout seul dans son coin ? Ne s’agit-il pas d’une dignité construite uniquement sur le fait que je suis maître de ma vie jusqu’au dernier instant ? Est-ce qu’être maître de sa vie, c’est véritablement cela la dignité ? A mon sens, on ne peut mourir dignement qu’inséré dans un tissu social.

En même temps, les personnes qui recourent à l’assistance au suicide sont souvent entourées de proches lorsqu’elles absorbent la potion létale ?
Oui, mais de quelques proches seulement ! Quel impact réel et profond, cette décision et cet acte ont-ils sur les proches ? Bien sûr, il y a eu quelques émissions de TV récemment qui ont interrogé des proches et montrer que tout semble bien se passer...

Cela vous semble peu crédible ?
Dans certaines situations, selon la position philosophique de ces personnes, peut-être que cela se passe bien... Mais j’ai rencontré personnellement des proches un peu plus éloignés, qui ne tenaient pas le même discours. Lorsqu’on décide de se suicider, on ne va pas en parler largement à tous ses amis et à tous ses camarades. Et pourtant ces personnes sont aussi concernées par notre vie. Quoi qu’on en pense, mon départ a un impact sur ces personnes-là.

En quoi est-ce que votre engagement dans la promotion des soins palliatifs rejoint votre foi chrétienne ?
En tant que chrétien, si l’on suit ce que l’on a reçu du Christ, on ne peut pas rester insensible à la personne qui souffre. Ce n’est pas un hasard si c’est dans le monde occidental que l’on a développé les hôpitaux. Camille de Lelis (1550-1614) a été l’un des premiers à développer les soins en hôpital, alors qu’on disposait d’hospices où on accueillait les malades et où on ne les soignait pas. Trop souvent aujourd’hui le personnel médical soigne un corps et pas la personne ! Promouvoir les soins palliatifs, c’est développer une véritable médecine de la personne.
A ce niveau-là, la valeur chrétienne essentielle, c’est l’amour-agapè, l’amour désintéressé, l’empathie... Dieu a envoyé son Fils pour chaque être humain et j’essaie de considérer chaque personne comme quelqu’un d’unique.

Propos recueillis par Serge Carrel

Cet interview est la reprise partielle d’un entretien radiodiffusé le 30 octobre dans le cadre d’A vue d’esprit sur RSR-Espace 2. A écouter ici.

Bio express
Michel Pétermann est professeur HES en soins infirmiers. Il va reprendre la direction de Rive-Neuve, une fondation spécialisée en soins palliatifs qui se trouve actuellement à Villeneuve (VD) et qui deviendra prochainement à Blonay un hôpital spécialisé en soins palliatifs, avec 20 lits, un centre de jour et un centre de formation. Michel Pétermann est membre du Conseil pastoral de l’Eglise évangélique de Villard à Lausanne. Il a aussi participer aux activités de la Commission Afrique de la FREE. Il est marié à Françoise et ils ont 2 enfants adultes.

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