500 ans depuis la Réforme, 10 ans depuis la création de la FREE. Entre les deux, l’Eglise a eu le temps d’évoluer. Plusieurs mouvements sont nés, se sont succédé. Cette année, nous célébrons les 200 ans de l’un d’eux : le Réveil de Genève qui est à la base des Eglises de la FREE.
Une époque chamboulée
Au tournant du XIXe siècle, le monde occidental connaît de profonds changements. Politiquement, avec la Révolution française, l’Europe va passer de la monarchie à la « démocratie » (il faudra tout de même une alternance de révolutions et de retours en arrière répartis sur tout le XIXe siècle avant d’y parvenir…). Philosophiquement, les idées des Lumières en matière de politique, de libertés et de droits de l’homme sont mises en application ; on passe du collectif à l’individualisme. Technologiquement, on passe d’une société rurale à une société industrielle.
Genève va aussi subir ces changements. En 1798, elle sera rattachée à la France napoléonienne : la « Rome protestante » sera intégrée à un Etat catholique… A la chute de Napoléon, elle rejoindra les cantons suisses. En 1815, pour entrer dans la Confédération helvétique, elle devra s’attacher des communes sardes et françaises à majorité catholique[1]. Genève deviendra une des rares régions confessionnellement mixtes en Europe.
La préparation du Réveil
Les idées des Lumières ont fortement influencé la théologie de l’Eglise genevoise. Elles en ont fait une religion morale. La Trinité, la divinité du Christ ou la manière dont la grâce opère ont été mises de côté. Cet état des choses fera dire à un Rousseau ironique : « Ce sont de curieuses personnes que Messieurs vos pasteurs : on ne sait ce qu’ils croient, ni ce qu’ils ne croient pas. On ne sait même pas ce qu’ils font semblant de croire. »
Cette religion rationnelle, sèche, ne convient pas à tout le monde et lorsque le comte de Zinzendorf vient à Genève en 1741, entre 600 et 700 personnes rejoignent les communautés moraves[2]. L’engouement s’essouffle et, en 1800, ils ne sont plus qu’une poignée. C’est à ce moment que plusieurs jeunes commencent à fréquenter les réunions animées par le père d’Ami Bost. Nous y retrouvons en plus d’Ami Bost d’autres noms qui seront à la base de ce Réveil : Henri-Louis Empeytaz, Emile Guers, Henri Pyt… Certains vont vivre une conversion dans ce milieu morave et s’engageront dans des études de théologie.
A Genève, la loge maçonnique « l’Union des cœurs » est un autre lieu où l’on a accès à un christianisme moins rationnel. Elle regroupe d’authentiques chrétiens qui aspirent à une expérience plus personnelle de la foi et qui croient à la divinité du Christ et à la Trinité. Nous y retrouvons Ami Bost et César Malan. Plusieurs pasteurs genevois fréquentent aussi cette loge dont Charles-Etienne-François Moulinié. Ce dernier donne des leçons particulières aux étudiants en théologie, afin de combler les lacunes de l’enseignement qu’ils reçoivent à la faculté.
Une des prédications de ce pasteur va enthousiasmer Empeytaz, Guers et Pyt qui créeront la « Société des Amis », d’abord pour soutenir les pauvres, mais aussi dans le but, nous dit Guers, de « renoncer au monde et à ses convoitises, veiller les uns sur les autres, nous reprendre mutuellement dans l’amour, et n’avoir d’autre Maître que Celui dont le sang nous a lavés ». La Vénérable Compagnie des pasteurs leur demande de cesser ces activités.
Ils font alors la connaissance de la baronne de Krudener, une mystique piétiste qui va encourager ces jeunes par sa flamme. Avec son aide, ils vont organiser des réunions de prière chez Empeytaz. Un arrêté du Consistoire[3] va interdire aux étudiants en théologie de fréquenter des assemblées religieuses. Guers et Empeytaz suivent les conseils de Moulinié qui les incite à se tenir à carreau en attendant leur consécration. L’autorité ecclésiastique refusera la consécration à Empeytaz qui partira rejoindre la baronne en Alsace, où ils collaboreront avec le pasteur Henri Oberlin.
Une succession de Britanniques va alors venir à Genève. Ils auront une grande influence sur les jeunes théologiens, notamment en renforçant leur foi et en les aidant à poser des fondements doctrinaux plus fermes. Le plus connu de ces Britanniques est Robert Haldane, un propriétaire terrien qui a passé plusieurs années dans la marine et qui, après sa conversion, avait évangélisé en Ecosse. Sous son aile, ils étudient l’Epître aux Romains. Cette rencontre va les transformer et ceci va inquiéter la Vénérable Compagnie. Elle demande à tous les pasteurs et étudiants de signer un règlement qui engage à ne pas prêcher sur : la divinité du Christ, le péché originel, la manière dont la grâce opère, la prédestination… La plupart des « réveillés » refusent de signer. Guers est exclu, Pyt quitte les études.
Les Eglises indépendantes
Ce petit groupe va se constituer en Eglise : le 21 septembre 1817, ses membres prennent la cène ensemble, hors de l’Eglise officielle. C’est toutefois César Malan, qui a été consacré pasteur, qui officie. Ils se réuniront dans divers locaux, avant de trouver une salle suffisamment grande pour les accueillir, au Bourg-de-Four.
La population voyant d’un mauvais œil ces « sectaires » commence à s’agiter, les injures fusent, puis c’est au tour des pierres… La police doit intervenir. Un jeune sergent de la garde, Félix Neff, reçoit un traité qu’il va lire. Cela va le chambouler. Il quitte la garde et devient prédicateur-évangéliste. En Suisse romande tout d’abord, puis en France, dans les Hautes-Alpes.
Tous ne sont pas à l’aise avec la séparation. César Malan aimerait plutôt changer l’Eglise nationale de l’intérieur, lui faire retrouver la foi de la Réforme. Il va construire une chapelle en bois[4] dans son jardin pour y prêcher. Ses prédications ont du succès et il devient pratiquement un pasteur indépendant. Le Conseil d’Etat le démet de ses fonctions en 1823 et Malan se retrouve hors de l’Eglise nationale…
Le pasteur Louis Gaussen aimerait lui aussi rester dans l’Eglise d’Etat. Avec d’autres, il va fonder la « Société évangélique » en 1831. Très vite, ils célèbrent des cultes, donnent le catéchisme et vont ouvrir une Ecole de théologie évangélique. Cela fera réagir le Conseil d’Etat qui révoque Gaussen. Mis hors de l’Eglise genevoise, ces réveillés achèteront un terrain pour y construire l’Oratoire.
Que reste-t-il de ce Réveil ?
Ces jeunes théologiens ont redécouvert la foi de Calvin. Ils l’ont contextualisée pour leur époque et en ont fait une foi vivante et personnelle. Puis ils ont su transmettre leur élan. L’Eglise de la Pélisserie (FREE) et l’Eglise libre de Genève sont le fruit direct de ce Réveil. Bien plus, ces théologiens ont amené cet élan en Suisse romande et en France. Sur le plan social, la Croix-Rouge, la Croix-Bleue, et bien d’autres œuvres sont aussi les fruits de ce Réveil.
L’Esprit frappe au bon endroit et au bon moment. Aujourd’hui, nous ne pouvons que rester attentifs à son action, encourager ceux qui ont soif de Dieu, qui s’engagent dans l’implantation d’Eglises, l’évangélisation…
Luc-Oliviver Décoppet
[2] Communautés piétistes issues de la réforme du tchèque Jean Hus (XVe siècle). Persécuté, le mouvement sera accueilli par le comte de Zinzendorf. Ces communautés auront une forte activité missionnaire. Elles mettent l’accent sur la conversion personnelle, la lecture de la Bible en petits groupes… Ses membres continuent à fréquenter les cultes officiels.
[3] A l’époque, une sorte de tribunal composé de pasteurs et de laïcs jugeant les affaires de moralité. Aujourd’hui, dans le cadre de l’Eglise protestante de Genève, ce qui est appelé ailleurs le synode.
[4] Il voulait quelque chose d’éphémère pour montrer qu’il ne créait pas une Eglise indépendante.