« Agir travailler, militer », un livre de Frédéric de Coninck donne du souffle à notre action

vendredi 26 janvier 2007
Vous peinez à tisser des liens entre votre activité professionnelle et votre vie de foi… Vous avez même tendance à mépriser ce quotidien et à privilégier des activités ecclésiales qui seraient celles du Royaume. Le sociologue français Frédéric de Coninck récuse cette séparation. Il plaide pour une valorisation de l’action et la découverte que notre profession peut nous rendre « collaborateurs » de Dieu. A méditer !

« J’aimerais apporter un soutien pastoral à l’action des laïcs. » Frédéric de Coninck est ingénieur et chercheur en sociologie. Il vient de publier « Agir, travailler, militer. Une théologie de l’action ». Un livre qui impressionne avec ses 632 pages ! Par cette contribution, le sociologue parisien tient à montrer aux chrétiens la pertinence d’envisager positivement leur implication dans le monde professionnel et associatif.
L’apport de ce « pavé » que Frédéric de Coninck invite à parcourir par bribes suivant les besoins du lecteur, peut se résumer autour de trois axes:

1. La réflexion théologique s’est souvent désintéressée de l’action
Au travers d’un parcours de la philosophie grecque et de ses influences dans le christianisme des premiers siècles, Frédéric de Coninck montre que la théologie chrétienne s’est réfugiée dans un monde abstrait. La contemplation a primé sur le face à face avec le réel. Cette manière d’envisager la foi ne correspond pas au souci du judaïsme et du christianisme primitif de lier conviction et inscription de la foi dans la vie quotidienne.
L’histoire de cette fuite devant une action chrétienne qui s’inspire directement de l’Evangile, Frédéric de Coninck la retrace en passant par Origène, Augustin d’Hippone, Thomas d’Aquin, le réformateur Martin Luther ainsi que Jean Calvin. Toutefois certains mouvements ou certaines figures développent un souci de voir leurs convictions de foi trouver leur lieu dans le quotidien de la vie. Au nombre de ceux-ci, les vaudois de Pierre Valdo, François d’Assise et la Réforme anabaptiste.
Rattaché à une Eglise mennonite de la région parisienne, Frédéric de Coninck développe l’intérêt de sa propre tradition pour un christianisme qui articule étroitement Evangile et action. Pour les anabaptistes du XVIe siècle, la découverte de la grâce n’est pas un but dans un cheminement de foi comme pour Martin Luther, mais un point de départ. La grâce libère « une puissance de transformation qui conduit l’homme sauvé à adopter de nouveaux schémas d’action » (p. 154).
Cette dimension concrète et vécue du salut entraîne des conséquences tant au plan individuel que communautaire. Dans une perspective anabaptiste, la communauté locale devient le lieu de la construction d’un nouveau mode de vie, marqué par l’amour de l’ennemi et la solidarité avec les plus faibles.
Ce parcours historique autour de grandes figures de la réflexion théologique vaut comme un avertissement à l’endroit d’une foi évangélique qui tendrait à valoriser la verticalité et à se désintéresser de tout ce qui est engagement concret dans notre monde. Agir, c’est difficile ! c’est entrer dans le relatif et la contestation ! c’est se tromper souvent… Ce n’est pas pour autant inutile et en dehors du mandat confié par le Christ à chacun de ses disciples.

2. Penser l’action dans une perspective trinitaire, avec Dieu comme Créateur et re-Créateur
Dans la partie de son livre intitulée « Agir avec le Père », Frédéric de Coninck rappelle que l’action créatrice de Dieu ne se limite pas au début de l’histoire. Dieu n’est pas qu’Horloger. Il est aussi celui qui poursuit son activité créatrice au sein de notre monde marqué par la chute. « Dieu continue à créer, après le déluge, au moment de l’Exode, au retour de l’exil, en fondant l’Eglise et il créera des cieux nouveaux et une terre nouvelle à la fin des temps » (p. 305).
Dieu est donc actif et souverain d’une histoire ouverte. Il invite l’être humain à devenir acteur et partenaire d’une Création où ce qui importe, c’est édifier autrui, construire des relations, réparer ce qui a été détruit. « Le thème de la Création n’est donc pas un thème qui nous pousse à la passivité mais, au contraire, un thème qui nous incite à devenir, à notre tour, des acteurs de cette Création » (p. 306).
Non seulement, Frédéric de Coninck réfléchit à l’action du point de vue du Père, mais il le fait aussi à partir du Fils (« Agir à la suite du Fils ») et à partir de l’Esprit (« Agir sous l’impulsion de l’Esprit »). Cette inscription de l’action dans une perspective trinitaire ouvre des perspectives stimulantes.
Souvent lorsque des chrétiens réfléchissent en éthique, ils construisent leur argumentation à partir d’une personne de la Trinité. On a ainsi des éthiques qui se focalisent sur Dieu le Père, sur la Loi et sur l’importance de l’altérité (une éthique calvinienne). On a aussi des éthiques qui se concentrent sur la personne de Jésus comme modèle (une perspective plutôt mennonite) et qui négligent le fait que, malgré tout, Dieu demeure Créateur et dispensateur de la Loi. Frédéric de Coninck joue la complémentarité entre ces diverses perspectives. On parvient ainsi à conserver un équilibre et une dynamique qui permettent d’être authentiquement chrétiens, d’agir avec le Père, à la suite du Fils et sous l’impulsion de l’Esprit.

3. « Agir en exil »
Certains évangéliques sont des nostalgiques du régime de chrétienté, où les « valeurs chrétiennes » avaient pignon sur rue, où le magistrat était assermenté à l’église... Souvent, ces nostalgiques font les yeux doux à la royauté de David. Pour eux, il y a là le seul modèle de gouvernement. L’Etat vit en étroite relation avec l’Eglise. Il est là pour conduire le peuple dans l’observation de « valeurs fondamentales » chrétiennes.
Dans son livre « Agir, travailler, militer », Frédéric de Coninck invite à prendre conscience que la foi israélite s’est vécue dans différents contextes sociopolitiques. En esclavage, lors du séjour du peuple hébreu en Egypte. Dans le pays d’Israël avec un roi, concédé par Dieu du bout des lèvres. Et en exil à Babylone, dans un contexte multiculturel et pluraliste, où chaque individu est invité à s’approprier la foi au Dieu vivant et à en vivre.
Des prophètes comme Jérémie ou Ezéchiel n’ont pas hésité à rappeler à leurs contemporains qu’il n’était pas nécessaire de vivre dans une société homogène pour vivre sa relation à Dieu. L’exil peut constituer une chance pour le croyant. Chance de découvrir que Dieu n’est pas rattaché à une terre. Chance de découvrir que le Seigneur n’est pas lié à une culture. Chance de découvrir son universalité.
A partir de cette prise de conscience, l’exil n’est pas le lieu de toutes les désespérances. Il est un lieu pour agir. En tension avec d’autres conceptions du monde et d’autres valeurs. Dans la reconnaissance du fait que les valeurs chrétiennes sont minoritaires, mais appelées néanmoins à influencer notre société. Dans ce contexte, l’ « Eglise-communauté locale des croyants » a vocation de devenir « une société alternative qui construit des choix différents de ceux de la société globale » (p. 595).
Fondamentalement, cette dynamique d’exil, Dieu l’a connue en Jésus-Christ. Son incarnation témoigne du fait que « Dieu vient nous rejoindre là où nous sommes en tenant compte de nos limites, de ce que nous pouvons voir et porter... De ce point de vue il (Dieu) accepte, lui aussi, de jouer le jeu de l’exil » (p. 596).


***

« Agir, travailler, militer », le dernier livre de Frédéric de Coninck, vaut le détour ! Même volumineux et peut-être décourageant au premier abord, il ouvre des horizons au témoignage évangélique au niveau individuel, dans le monde du travail comme dans l’engagement communautaire. Tout cela pour permettre à chaque chrétien d’entrer dans sa vocation de « collaborateur » avec Dieu, dans le Royaume.

Serge Carrel

Frédéric de Coninck, Agir, travailler, militer. Une théologie de l’action, Cléon d’Andran, Excelsis, 2006, 632 p.

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