Comment se fait-il qu’un pasteur évangélique puisse être président du Jury œcuménique du Festival international de films de Fribourg ?
Cela fait déjà quelques années que je travaille avec les différents jurys œcuméniques dans les festivals de films. En 2012, j’ai été membre du Jury du Festival de Cannes. L’année suivante, je l’ai été au Festival de Berlin. Depuis, je suis tous les ans attaché de presse du Jury oecuménique au Festival de Cannes. C’est notamment par le biais de la communication et en tant que membre de la Commission communication de la Fédération protestante de France que je suis entré dans le Jury oecuménique.
Par ailleurs, vous publiez régulièrement sur Youtube des critiques de film…
Effectivement, mais aussi par écrit sur mon blog personnel. Ces critiques sont aussi reprises par différents médias : Regards protestants, le portail web du protestantisme français, et le quotidien Libération qui reprend régulièrement certaines de mes publications sur l’un de ses blogs. Ma démarche d’écriture est venue plus tard. En 2012, je n’écrivais pas encore sur le cinéma.
Cette année, on m’a donc demandé de présider le jury du FIFF à Fribourg, ce que j’ai accepté avec grand plaisir. C’est un magnifique festival, à taille humaine, très agréable, avec des films qui viennent du monde entier. J’ai pu voir des films qui racontaient de belles choses qui touchent à l’humain, à des questions de justice, à des valeurs profondes qui viennent faire écho à l’Evangile. Avec les films présentés, on a de la matière qui colle bien avec le Jury œcuménique. Ce qui n’est pas toujours aussi facile dans tous les festivals.
Quelle est la fonction d’un tel jury à côté du Jury officiel ?
Alors nous sommes un jury officiel ! Il faut le dire ! Nous ne sommes pas le grand jury, mais nous sommes officiellement dans le festival. A Fribourg, nous sommes même totalement pris en charge par le festival. La fonction du Jury œcuménique n’est pas de dire : « Tel film est bien, tel film ne l’est pas ! » Nous essayons de mettre en avant des films qui, au sein de la sélection, témoignent de nos valeurs. Pour faire simple à propos de nos critères, il y a bien entendu la qualité artistique du film, ce qui est commun à tous les jurys. A cela vient s’ajouter un certain nombre de critères qui touchent à la foi, à la dimension spirituelle et aux valeurs humaines. Certains films peuvent faire très clairement écho à l’Evangile de Jésus-Christ. Cela arrive parfois et c'est intéressant. Mais nous recherchons surtout des films qui permettent un progrès humain, une sorte d’élévation vers Dieu, une dimension spirituelle ou qui nous conduisent à des interrogations. Les films primés par le Jury oecuménique doivent en tout cas nous permettre de discuter, d’amorcer un débat… Et notamment sur toutes les valeurs comme la justice, la solidarité, la paix, le respect avec une dimension universelle…
Qu’apporte dans un tel jury la présence d’un pasteur évangélique ?
Je ne suis pas le seul évangélique dans les Jurys oecuméniques. Il y en a d’autres provenant de différentes régions du monde. On se retrouve donc entre catholiques, réformés, évangéliques… et orthodoxes de temps en temps. Il est toujours difficile de cataloguer les uns et les autres, mais, en tant qu’évangéliques, nous sommes peut-être sensibles plus particulièrement à certains aspects. Nous allons peut-être – j’ose le dire ! – essayer de mettre en avant des films qui sont particulièrement intéressants par rapport à la question de Dieu ou qui peuvent nous y conduire. Il ne s’agit pas de films qui sont clairement porteurs d’un message évangélique, mais qui vont permettre de parler de Dieu, d’évoquer la foi, de discerner qu’il y a du divin dans un film, qu’il y a quelque chose qui nous conduit à réfléchir à l’éternité, à l’amour de Dieu…
Auriez-vous un exemple parlant ?
Ce n’est pas un film que j’ai vu lors d’un festival avec le Jury œcuménique, mais c’est un film sur lequel j’ai travaillé récemment, en rédigeant le dossier pédagogique pour la société de distribution en France. Il s’agit de Forgiven (Pardonné) de Roland Joffé, un film qui raconte la période post-apartheid en Afrique du Sud. Forest Withaker y joue le rôle de Mgr Desmond Tutu… Clairement, ce film renvoie à Dieu et Dieu y est évoqué plusieurs fois. Ce film porte sur le pardon et sur la grâce également. On a là un contre-héros, un type abominable, joué par Eric Bana, et qui est en prison… Au fur et à mesure du film, on arrive à découvrir ce qui a suscité la façon d’être de ce Blanc raciste. Une transformation va s’opérer, et des bouleversements vont intervenir à la fin du film… Ce raciste blanc va se transformer grâce au message de l’Evangile. Il ne s’agit pas d’un film chrétien. Quand je l'ai interviewé, Roland Joffé m'a expliqué être agnostique ! Mais il est pétri en même temps d’une certaine foi, d’un questionnement sur Dieu, et admiratif des hommes et des femmes d'Eglise qui s'engagent à cause de leurs convictions.
Les évangéliques sont connus pour avoir mis à distance la culture ambiante. Vous-même, vous êtes à l’opposé de telles perspectives. En quoi est-ce important pour vous d’être immergé dans la culture contemporaine ?
C’est une de mes grandes frustrations ou tristesses ! Aujourd’hui encore, notamment dans le milieu évangélique, on s’est éloigné, voire séparé de la culture pour un certain nombre de raisons. On a fait un écart clair entre la « culture du monde » et la culture interne de l’Eglise, celle-ci devenant une sorte de citadelle. A mon sens, c’est ce qu’il ne faut pas être ! En tant que chrétien, il importe de suivre l’attitude de Jésus qui était au cœur du monde et au cœur de la société, qui allait partout où il était invité et qui côtoyait la culture de son époque. Fondamentalement, c’est là que nous sommes attendus. Notre rôle n’est pas de faire venir les gens à l’Eglise, mais d’aller à leur rencontre, pour qu’après ils puissent venir à l’Eglise… Venir à l’Eglise est aussi un passage utile et nécessaire !
La culture, c'est l’expression de la vie. C’est le monde dans lequel nous sommes, et être déconnecté de la culture, c’est être forcément déconnecté des gens… et donc du monde. Nous devons réapprendre à aimer le monde tel que Dieu l'aime au point qu'il a donné son Fils pour lui. Aimer, ce n'est pas forcément tout approuver, mais ça va bien au-delà !
Alors que vous étiez pasteur dans l’Eglise baptiste de Poitiers, vous avez organisé un ciné-club…
Oui, des ciné-débats, ou « ciné-tchatche », et je vais encore en animer régulièrement un peu partout. Des fois dans des Eglises, mais aussi directement dans des cinémas. C’est encore mieux quand on est directement invité par le cinéma et que la démarche est soutenue par une Eglise. C'est quelque chose que j'aime vraiment faire.
Et cela vous a permis de faire des rencontres de qualité ?
Oui, bien entendu ! Ce que j’aime, c’est utiliser des films grand public où il y a des thématiques intéressantes et en parler. Quand j’anime ces débats, je les anime en tant que pasteur et journaliste spécialisé dans le cinéma. Donc je peux mélanger les deux. Il m’est facile de relever des éléments qui évoquent la spiritualité, la foi, Jésus-Christ… et d’en discuter avec les gens et de partager autour de cela. Jusqu’à présent, je n’ai fait que des expériences positives lors de ces débats. Il peut même arriver que des gens soient touchés et entament une démarche qui peut aller jusqu’à la conversion. Pour une Eglise locale, c’est aussi une façon de rayonner dans la ville, d’être un acteur de la culture et de la réflexion. Pour moi, c’est quelque chose de très important.
Propos recueillis par Serge Carrel
Le site du Festival international de films de Fribourg.