Pierre est noir. Le tournage a été effectué dans le sud de l’Italie. Le paysage est à vous couper le souffle parfois, tant il est escarpé… Le film Marie Madeleine. Un destin hors du commun du réalisateur australien Garth Davis ne cherche pas à reproduire strictement sur grand écran la vie de Jésus telle que nous la raconte un Evangile ou une harmonisation des Evangiles. Avec ce film dont le scénario a été écrit par deux femmes britanniques, Helen Edmundson et Philippa Goslett, on assiste à l’émergence d’une femme comme « apôtre des apôtres », le plus proche disciple de Jésus : Marie Madeleine.
Elle se libère de l’emprise de la société patriarcale
Interprétée par Rooney Mara, Marie Madeleine est présentée comme une jeune femme juive indépendante, promise à un père de famille qui vient de perdre son épouse. Suite à une expérience spirituelle, elle se libère de la tutelle familiale qui la promet à cet homme et rejoint le groupe des disciples qui cheminent à la suite du rabbi de Nazareth, incarné par Joaquin Phoenix. Débarrassée du carcan patriarcal qui musèle la vie de nombre de femmes à l’époque, Marie Madeleine devient une sorte de treizième apôtre, qui perçoit mieux que ses douze collègues masculins le sens de la mission de Jésus.
Alors qu’on se rassure ! Rien à voir avec les extravagances d’un Dan Brown et de son Da Vinci code, qui fait de Marie Madeleine la femme de Jésus, ou d’un Martin Scorsese et sa Dernière tentation du Christ, qui prête à Jésus en croix la tentation de fonder une famille avec Marie Madeleine. Tout au long du film, Marie Madeleine reste dans une relation de Maître à disciple.
Marie Madeleine, apôtre des femmes
La « montée en puissance » de Marie Madeleine parmi les proches de Jésus est une des caractéristiques de ce film. L’héroïne sert de fil rouge pour amener à la rencontre de Jésus et se révèle comme la plus perspicace dans le discernement de ce qui constitue la mission de l’homme de Nazareth. Judas Iscariote, mais Pierre aussi voient en Jésus un libérateur politique et social qui va faire advenir son Royaume en réglant leur sort aux Romains et en ramenant à la vie des « justes » injustement mis à mort par l’occupant.
Deuxième caractéristique : ce film ne fait pas de Marie Madeleine une prostituée. Il fait plutôt de cette femme un être courageux qui va braver nombre d’interdits pour s’inscrire progressivement dans l’équipe des apôtres comme agent des relations publiques de Jésus avec les femmes. La prédication de Jésus aux alentours de Cana, devant un parterre quasi uniquement féminin, renforce ce rôle de Marie comme apôtre des femmes.
Un Jésus qui ouvre à la lumière
L’intérêt des plus de 120 films (1) produits autour de Jésus, c’est leur manière de considérer celui que les chrétiens confessent comme le Fils de Dieu. Une scène scande Marie Madeleine, tant au début qu’à la fin du film. Elle témoigne de l’expérience spirituelle fondatrice de l’héroïne. Marie Madeleine plonge profondément dans l’eau et remonte des profondeurs au travers d’une eau qui s’éclaircit pour déboucher en final sur la lumière. Cette expérience fait écho à l’illumination que Jésus proposerait.
Peu avant la crucifixion, Jésus et Marie Madeleine se font face. Elle est à genoux devant lui et lui lave les pieds (!). Le fait que Jésus, à ce moment-là, prenne de l’eau sur ses doigts et l’applique sur les yeux de Marie Madeleine renforce encore cette perception. Jésus est celui qui ouvre les yeux de ceux qui l’entourent. Il est celui qui invite à naître de nouveau pour jeter un autre regard sur la réalité tragique et meurtrière du monde. En permettant de quitter la haine qui habite le cœur des hommes comme des femmes, il initie au pardon et à la miséricorde en actes.
Une scène dans un village jonché de cadavres suite à l’intervention de l’occupant romain appuie encore cette perception. Pierre et Marie Madeleine ont été envoyés ensemble par Jésus pour annoncer le Royaume qui vient. Pierre veut quitter ce village dévasté au plus vite pour poursuivre sa mission et laisser sur place les mourants. Marie Madeleine le rappelle à l’urgence d’amener de l’eau aux victimes de la terreur romaine et d’alléger ainsi les souffrances des mourants.
Un élément de plus dans la conversation sur Jésus
Alors certains chrétiens trouveront la christologie de Marie Madeleine un peu courte. Sans doute ! Mais ce film contribue de manière renouvelée à la discussion qui traverse l’humanité depuis 2000 ans et qui tente de répondre à la question posée aux disciples et à nous, femmes et hommes : « Vous, qui dites-vous que je suis ? » (Matthieu 16.15).
Serge Carrel
Marie Madeleine, réalisé par Garth Davis et écrit par Helen Edmundson et Philippa Goslett, avec Rooney Mara et Joaquin Phoenix, 2018. Vo: anglais, sous-titré français. Durée : 119’. Voir la bande-annonce.