« Lorsque tu vas au marché de Vénissieux, le samedi matin, tu as l'impression d'être à Alger, s'exclame Marie-Thérèse. Et puis, ces Nord-Africains de la deuxième et de la troisième génération ne trouvent pas de travail et doivent encaisser des propos racistes. » « Le problème, ce n'est pas le nombre, explique Jean-Marc Pilloud, le pasteur de l'Eglise protestante évangélique de l'Oasis à Vénissieux (CAEF) (1), mais la concentration de personnes de la même origine. Il y a eu un manque de réflexion concernant leur intégration dans la région. »
Un peu à l'écart des grandes « barres d'immeubles », dans un pâté de maisons plutôt calme, l'Eglise de l'Oasis est implantée à Vénissieux, dans la banlieue sud de Lyon. Juste à côté se trouve le quartier des Minguettes, connu pour ses voitures brûlées et ses émeutes, puis pour sa rénovation urbaine comprenant la destruction d'une vingtaine de tours.
Une Eglise multiculturelle
Par sa situation géographique, l'Eglise protestante évangélique de l'Oasis accueille une population venant globalement du sud-est de Lyon, populaire et multiculturelle. « C'est une richesse, reconnaît Aurélien Castelain, stagiaire dans la communauté. Il y a des Africains, surtout des Rwandais, des Asiatiques, des gens d'Afrique du Nord, de l'Inde, de République tchèque, des Antilles... Cela engendre une dynamique intéressante, faite de spontanéité, d'enthousiasme, de solidarité et de fraternité. » « Et cela nous met au défi de faire en sorte que l'Evangile transcende ces nombreuses cultures qui cohabitent », renchérit Martine Pilloud, l'épouse du pasteur. Alors qu'une septantaine de personnes fréquentent le culte dominical, pas moins de vingt-cinq fréquentent les groupes de maison.
Vénissieux fait partie des banlieues de Lyon qui ont mauvaise réputation. Les personnes des classes sociales aisées hésitent à y venir. « Nous avons un budget-solidarité, explique le pasteur. Mais les gens modestes savent faire preuve de beaucoup de générosité et de solidarité. »
« Notre Eglise accueille beaucoup de personnes qui ont connu la galère, explique Martine Pilloud. Un tiers d'entre elles vivent seules et en souffrent – ce sont surtout des femmes. Beaucoup de personnes sont dans des situations précaires et ont de la peine à se projeter dans l'avenir. Beaucoup ont besoin d'anti-dépresseurs... Il nous est donc difficile d'envisager des projets d'Eglise à long terme. » Alors, lorsque la communauté rassemble 150 personnes à sa journée rwandaise, la fête n'en est que plus belle.
Témoigner dans le quartier
Située dans une ville à forte population musulmane – plus ou moins pratiquante – l'Eglise de l'Oasis y développe et y adapte son témoignage. A quelques exceptions près, elle peut agir avec beaucoup de liberté. « Une fois, nous avons été caillassés alors que nous animions un club d'enfants dans un quartier difficile, se souvient le pasteur. Mais si nous n'y retournons pas pour le moment, c'est d'abord parce que nous manquons de ressources dans l'Eglise. »
Chaque mois, cette Eglise organise un culte spécial, destiné à accueillir de nouvelles personnes. A cette occasion, il n'y a pas de cène et le thème du culte est pensé en fonction des éventuels visiteurs: « Jésus ou Mahomet? », « Jésus-Christ, bien plus qu'un charpentier », « Horoscopes et médiums »... De plus, une animation pour les enfants, « Pop corn », propose des activités ludiques. « C'est un peu comme une rencontre Quartier libre, mais à l'intérieur », explique Martine Pilloud. « Lors de ces cultes spéciaux, nous avons accueilli entre zéro et dix personnes qui ne faisaient pas partie de l'Eglise, se souvient Jean-Marc Pilloud. Les chrétiens y sont édifiés et des non-chrétiens manifestent leur intérêt. Par ailleurs, les membres de la communauté n'ont pas peur d'y inviter des voisins ou des collègues. »
A Noël, la communauté est allée à la rencontre des gens du quartier. Elle a offert des biscuits et présenté une crèche vivante. « Mais, l'essentiel de notre témoignage est individuel, précise Jean-Marc. Ce sont les membres de la communauté qui parlent ou invitent des voisins, des membres de leur famille ou des collègues... » Une autre manière de témoigner est de participer aux activités d'oeuvres humanitaires, pas forcément chrétiennes. « Quelque trente membres sont engagés ainsi, poursuit le pasteur. Lors de ces activités, on ne dit pas l'Evangile. Mais si quelqu'un nous pose des questions, alors on peut répondre. »
Au pays de la laïcité
La France est le pays de la laïcité affichée. Cela pose parfois des problèmes lorsque l'Eglise désire organiser une action dans un lieu public. Une autorisation pour aller chanter dans un établissement peut être refusée. Cependant, Jean-Marc Pilloud prend soin d'entretenir de bonnes relations avec les autorités communales de Vénissieux, en particulier avec son maire... communiste. Il se souvient: « Lorsque je suis arrivé ici, je suis tout de suite allé le voir. Maintenant on se tutoie. Les maires sont souvent affables parce qu'en recherche de voix d'électeurs, mais de vraies relations peuvent se nouer avec eux. Et lorsqu'un problème de réfugiés survient dans la commune, la mairie nous appelle pour en discuter parce que les Eglises sont perçues comme des acteurs sociaux. » C'est pour cela que le pasteur est invité à la cérémonie de voeux de Nouvel An, organisée par la mairie pour les associations.
Au début de chaque année a lieu une rencontre sur la place de la Paix, à côté du monument aux morts, dans le vieux village de Vénissieux. A cette occasion, les Eglises chrétiennes se rassemblent pour tenir une sorte de conférence de presse commune. Elles disent ce qu'elles ont fait, ce qui les préoccupe... Le conseil municipal vient à cette rencontre, et le maire y prend la parole. « Il est amusant d'entendre nos Eglises dire au maire communiste qu'il fait partie de nos autorités reconnues », relève Jean-Marc.
Quant au futur de la communauté, il s'annonce plein de changements. Parmi ceux-ci, une refonte du quartier où se trouvent les locaux de la communauté. « Autour de nous, tout va être démoli et de petits immeubles remplaceront les maisons actuelles, annonce le pasteur. Ainsi une population nouvelle et nombreuse va venir habiter ici. » Ce seront assurément de nouveaux équilibres et de nouveaux défis à affronter... avec la providence de Dieu.
Claude-Alain Baehler
Note :
1 CAEF pour : Communautés et assemblées évangéliques de France, une des fédérations partenaires de la FREE dans l’Hexagone.
Ils ont découvert une véritable communauté chrétienne
Samedi, 11 heures. Amar et Sabah arrivent au cours « Redécouvrons la Bible » donné par le stagiaire Aurélien Castelain dans les locaux de l'Eglise de l’Oasis. Ce cours fait partie du programme de l'Institut de théologie évangélique appliquée (ITEA). Pendant plus d'une heure, ce groupe d'une demi-douzaine de personnes explore les grands thèmes de la Bible.
Habitant dans un quartier voisin, Amar et Sabah sont d'origine maghrébine, de familles musulmanes pas très pratiquantes. Ils ont été baptisés il y a deux ans. « Lorsque je me suis convertie, j'ai eu des problèmes avec ma famille, se souvient Sabah. Cela s'explique aussi par le fait que j'ai plusieurs soeurs, et elles sont toutes devenues chrétiennes. » Quant à son mari, Amar, il est allé un temps à l'Eglise catholique, à une époque où il était déjà en recherche spirituelle. Un jour, sa femme lui a proposé de visiter l'Eglise protestante évangélique de l'Oasis qu'elle fréquentait... et il a décidé d'y rester. « Dans l'Eglise de l'Oasis, j'ai découvert une véritable communauté, explique Amar. Cela nous a attirés et nous plaît beaucoup. »
La grand-maman pétillante
Marie-Thérèse est une grand-maman pétillante et pleine d'humour. Ses origines italienne et espagnole, ainsi que sa petite enfance en Afrique du Nord, y sont peut-être pour quelque chose. Membre depuis plus de 20 ans de l'Eglise protestante évangélique de l'Oasis, elle y suit les cours décentralisés de l'Institut de théologie évangélique appliquée (ITEA). « Je viens étudier ici par goût d'apprendre, explique-t-elle. Cela me donne aussi la possibilité de mieux partager ma foi ». Marie-Thérèse habite à Rilleux-la-Pape, une banlieue située au nord-est de Lyon.
Durant une dizaine d'années, Marie-Thérèse a été monitrice de l'école du dimanche. Maintenant, elle participe activement à la vie de la communauté par des visites téléphoniques, ainsi que par ses dons de tricot, de couture et de pâtisserie. Elle aime particulièrement la fraternité chrétienne et la solidarité vécues dans son Eglise.
« Je suis heureuse de voir de nouveaux musiciens s'engager dans les temps de louange, se réjouit Marie-Thérèse. Parce que, ces dernières années, nous avons perdu douze musiciens qui ont déménagé. Cela a constitué une perte considérable pour une petite communauté telle que la nôtre. » Ceux qui sont partis exercent leurs dons ou se forment ailleurs, ce qui fait dire à notre grand-maman que l'Eglise a beaucoup travaillé pour l'exportation.