Nous voilà donc prévenus: la prédication du haut de la chaire n'est un mode de communication « normal » que pour ceux qui ont plus de 65 ans. En d'autres termes, nombre de nos Eglises pratiquent une forme de communication inadaptée aux jeunes générations, une communication délicieusement ringarde... genre discours du 1er août.
Voilà pourquoi la journée de formation des responsables de la FREE, qui s'est déroulée le 21 mai dernier à Vevey, était consacrée à la manière de vivre la foi en compagnie des plus jeunes de nos Eglises. Car les générations se suivent, mais ne se comprennent pas toujours. Leurs manières de penser, de communiquer et d'agir sont si différentes qu'un mode d'emploi, s'il existait, ne serait pas inutile. Cela représente un défi important dans la transmission de la foi.
Quatre générations, une évolution
Pour Christian Kuhn, secrétaire général du Réseau évangélique suisse (RES), quatre générations bien différentes se sont succédé depuis la Seconde Guerre mondiale. Il y a eu les « Abraham » qui ont actuellement plus de septante ans, les « Isaac » qui sont cinquantenaires, les « Jacob » qui ont dépassé la trentaine et les jeunes, les « Joseph », la génération « Y ».
Alors que les « Abraham » – la génération qui a géré l'après-guerre – croyaient à des valeurs telles que la discipline, le devoir et la fidélité, les « Isaac » ont profité de ce que leurs prédécesseurs avaient construit. Ils s'intéressent plutôt au matérialisme et à eux-mêmes. La génération suivante, les « Jacob », sont des individualistes qui renouent avec des valeurs plus immatérielles. Ils donnent beaucoup d'importance à l'expérience et à la sincérité. Quant aux jeunes, les « Joseph », ils aiment vivre en groupes, en meutes, en réseaux...
Cette évolution des mentalités influence fortement la manière de croire et de fréquenter les Eglises. La piété et la fidélité à l'Eglise se sont perdues avec l'arrivée des « Isaac ». Dans les générations suivantes, elles ont été remplacées par une recherche de spiritualité pas forcément fondée sur la Bible, ainsi que par une fidélité à des groupes, des clans, des réseaux... au détriment des institutions. En pratique, cela signifie qu'un jeune est généralement prêt à s'engager dans une Eglise – même un peu « has been » à ses yeux – s'il la perçoit comme l'un des clans auxquels il appartient.
Importance du sentiment d'appartenance
Cette importance du sentiment d'appartenance se retrouve aussi dans les groupes de jeunes de nos Eglises. Dans ce domaine, Christian Kuhn parle d'un changement de paradigme – de mode de pensée – quant à la manière de se joindre à un tel groupe. Il explique: « Alors que, par le passé, les jeunes découvraient la foi puis se joignaient à un groupe de jeunes, aujourd'hui c'est le contraire. Ils entrent dans un groupe avant de commencer une démarche spirituelle qui les conduira (peut-être) à la foi. » Cela signifie que les groupes de jeunes de nos Eglises accueillent plus de non-chrétiens que par le passé. Leurs responsables doivent s'adapter en conséquence.
Cela dit, le nombre de jeunes qui fréquentent un groupe de jeunes de Suisse romande est resté stable durant cet dernières années. En effet, si le nombre de groupes a augmenté, leur taille moyenne a diminué.
Des exemples concrets
Parmi les intervenants, plusieurs responsables jeunesse ont prit la parole et témoigné de la situation de leur Eglise. Ainsi, Pierre-André Léchot, membre de l'Eglise évangélique libre de la Rochette à Neuchâtel, s'étonne que l'accueil des jeunes dans son Eglise ne soit pas une préoccupation partagée par tous. « Il y a 300 personnes lors des cultes, explique-t-il. Mais le groupe de prière de l'Eglise pour les jeunes ne rassemble guère plus de trois personnes. » Ce manque d'intérêt contraste avec le grand besoin de relations des jeunes... et inquiète. Pour renverser la situation, des parrains et marraines « spirituels » pourraient être proposés aux jeunes qui le désirent. Encore faudra-t-il s'assurer que ces derniers seront des partenaires sur le chemin de la vie, et non des sermonneurs.
Pierre-André Léchot à Neuchâtel, et Claire-Lise Cherpillod de l'Eglise évangélique d'Oron, croient à la richesse des activités multi-âges. Il peut s'agir d'activités sportives ou de sorties. Mais il peut également s'agir d'activités telles que l'école du dimanche, où des jeunes enseignent des enfants, accompagnés de quelques adultes. « Un enfant qui voit un adolescent partager son coeur est encouragé de manière très forte », se réjouit Claire-Lise Cherpillod.
L'Eglise, vécue comme une famille
D'une manière générale, à Oron, l'Eglise est comprise comme une famille spirituelle dans laquelle les générations cohabitent. Les jeunes y trouvent leur place en prenant des responsabilités en fonction de leur dons. Certains organisent la cène, d'autres donnent des prédications... « Mais, souligne Claire-Lise Cherpillod, il faut éviter la solution de facilité qui consiste à coller les jeunes au beamer, afin de remplir une liste. Il est indispensable de s'intéresser véritablement à eux. »
Dans l'Eglise évangélique l'Abri, à La Neuveville, les jeunes reçoivent de vraies responsabilités. « Ils ont beaucoup de forces, s'émerveille Olivier Maurer, membre de cette communauté. Et en plus de cela, ils reprennent volontiers les valeurs véhiculées par l'Eglise. »
Lors de la table ronde, Emmanuel Schmid, animateur jeunesse de la FREE, s'est fait provoquant en proposant que le culte soit déplacé en semaine car, selon lui, « le dimanche matin est bon pour se reposer. » Les réponses à cette proposition ont été diverses et contrastées, y compris parmi les jeunes présents au débat. « Ce serait dommage de séparer les génération, ont objecté Céline et Delphine, deux jeunes filles de l'Eglise évangélique d'Aigle. Bien sûr, en été, des cultes du soir suivis de grillades c'est vraiment bien... et en plus on peut aller à la piscine le matin. Mais, que le culte ait lieu le dimanche matin ou le dimanche soir, c'est la motivation des chrétiens qui importe. »
Des raisons d'être optimistes
Emmanuel Schmid s'est réjoui des belles expériences vécues avec les jeunes dans certaines Eglises... tout en rappelant que d'autres communautés vivent les choses plus difficilement. « Si on se contente de faire du marketing pour attirer les jeunes, on ne pourra pas rivaliser avec toute l'offre extérieure en matière de fun, rappelle l'animateur jeunesse de la FREE. Mais l'Eglise a autre chose à offrir. Soyons donc nous-mêmes! » A cet encouragement répondait celui de Claire-Lise Cherpillod qui rappelait: « Plus que la forme, c'est la qualité des relations que nous construisons avec les jeunes qui importe réellement. »
Et Matthias Radloff, professeur à l'Institut biblique Emmaüs, de conclure malicieusement: « N'oublions pas que nous pourrions réussir à bien accueillir les jeunes dans nos Eglises. Et la réussite, ça fait toujours un peu peur! »
Claude-Alain Baehler