« Il n’y a pas de meilleur moyen d’introduire quelqu’un à l’amour de Jésus que de partager avec lui le film Le Fils de Dieu », souligne dans un clip Roma Downey, la productrice avec Mark Burnett, son mari, de la dernière épopée hollywoodienne consacrée à la personne de Jésus. Sorti le 28 février en Amérique du Nord, ce film n’a pas passé l’Atlantique pour être diffusé dans les salles de l’Europe francophone. Il est toutefois depuis le 3 juin disponible sur DVD en version française.
La démarche des producteurs du film Le Fils de Dieu est claire : faire en sorte que la personne de Jésus devienne un thème dont on parle aujourd’hui dans notre société. Les nombreuses personnalités américaines, évangéliques mais aussi catholiques, qui se sont associées à la promotion du film en commentant une scène de ce film biblique ne s’y sont pas trompées. Des Rick Warren, Bill Hybels, Max Lucado, Joël Osteen, Jim Wallis et même Michael Sheridan, évêque du diocèse de Colorado Springs, ont perçu qu’il y avait là une occasion extraordinaire de marquer les esprits avec un film diffusé par l’une des majors du cinéma américain : la 20th Century Fox.
Des films qui s’inspirent d’un évangile
En 120 ans d’histoire du cinéma, les films avec Jésus comme personnage principal ou secondaire ont abondé. Les spécialistes en répertorient plus d’une centaine. Le Fils de Dieu s’inscrit dans une catégorie assez récente : celle des films s’inspirant d’un évangile en particulier. Le film de Roma Downey et Marc Burnett tire sa sève de l’évangile de Jean et attribue la paternité de ce récit au disciple que Jésus aimait. En gros-plan dès l’ouverture du film, Jean narre le prologue de son évangile : « Au début était la Parole et la Parole était Dieu… » Le disciple que Jésus aimait va revenir tout au long du film pour apporter des explications, des commentaires et également la conclusion.
Ce qui surprend dans Le Fils de Dieu, c’est l’absence de certains récits-clés de l’évangile de Jean : le mariage de Cana, la femme samaritaine, le lavement des pieds et le récit de la réconciliation entre Jésus et Pierre après la trahison de l’apôtre. De plus, la fin du film ne reprend pas la dernière partie de l’évangile de Jean qui se passe de la structuration temporelle de l’évangile de Luc : Résurrection-Ascension-Pentecôte. Jean, dans sa narration, est plus vague, même s’il reprend certains thèmes comme l’apparition aux disciples et le don de l’Esprit.
Plusieurs autres films sur Jésus ont fait le choix de s’inspirer d’un seul évangile. Le film Jésus (1979) de John Heyman et produit par l’association évangélique américaine Campus Crusade, fondée par Bill Bright, est du nombre. S’inspirant de l’évangile de Luc, ce film d’évangélisation cumule les records. Il est le film le plus vu au monde. D’après les producteurs, il aurait été regardé par 6 milliards de personnes, dans plus de 220 pays. Il est le film le plus traduit au monde : en plus d’un millier de langues. Ce film a entraîné le plus de confessions de Jésus comme le Christ : plus de 190 millions… Tout en se décrivant comme un documentaire, Jésus n’en est pas moins une narration théologique avec certaines dimensions propres à l’évangile de Luc comme la venue de l’Esprit sous la forme corporelle d’une colombe. D’autres dimensions chères à l’évangéliste n’en ont pas moins été atténuées par les auteurs : la conscience sociale forte de cet évangile et sa critique virulente des riches, notamment.
Un autre film, un peu plus ancien, s’inspire directement d’un des récits évangéliques : L’Evangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini. Sorti en salle en 1964, ce film en noir et blanc est l’œuvre d’un intellectuel italien de gauche, qui souhaite que « les mots prononcés par Jésus soient rigoureusement ceux de saint Matthieu, sans aucune phrase d’explication ou de transition, parce qu’aucun mot ni aucune parole ajoutée ne pourra jamais atteindre le haut niveau poétique du texte ». Tourné en Italie avec des acteurs non professionnels pour la plupart, ce film présente un Jésus en colère, dont le rôle est de défendre le pauvre et de critiquer les autorités qu’elles soient politiques, religieuses ou culturelles. Même si ce film sur Jésus est proche du récit de Matthieu, il n’en demeure pas moins l’œuvre d’un cinéaste qui déploie les grands axes de son agenda personnel. La scène finale où l’on voit les disciples rejoints par une foule portant marteau et faux évoque le souci d’un Pasolini de voir marxisme et christianisme tisser un dialogue constructif pour le mieux-être de la société. Par ailleurs, le fait que la mère du cinéaste interprète le rôle de Marie, la mère de Jésus, surprend. Ce d’autant plus qu’elle apparaît comme l’unique témoin de la résurrection !
En 2003, un autre film reprenant un seul évangile est sorti au Canada, puis aux Etats-Unis. Intitulé L’Evangile de Jean, ce film de Philip Saville reprend mot pour mot le texte de la version Good News Bible publiée par la Société biblique américaine. Disponible en version sous-titrée pour le public francophone, L’Evangile de Jean produit par Visual Bible International a constitué une surprise pour plus d’un critique, qui l’ont considéré comme « meilleur que le film de Pasolini ».
Une harmonisation des évangiles
Parmi la centaine de films qui retracent la vie de Jésus, un grand nombre a été réalisé à partir d’une harmonisation des évangiles de Marc, Matthieu, Luc et Jean. Le plus célèbre d’entre eux est le film de Francisco Zeffirelli : Jésus de Nazareth. Diffusé pour la première fois en TV autour de Pâques 1977, ce film de plus de six heures ancre Jésus dans le judaïsme. « Ce que je voulais montrer, explique le cinéaste, c’est que le Christ était un juif, un prophète qui avait grandi dans le contexte culturel, social et historique de l’Israël de son temps. » De plus, pour Francisco Zeffirelli, l’attente messianique d’Israël trouve son accomplissement dans la personne de Jésus. La clé d’interprétation de cette oeuvre se révèle lorsque Nicodème au pied de la croix récite le texte du prophète Esaïe : « C’est pour nos péchés qu’il a été percé, c’est pour nos fautes qu’il a été brisé… » (Es 53.5). Pour ce cinéaste italien, Jésus de Nazareth est la réalisation des prophéties du Serviteur souffrant d’Esaïe.
Avant Jésus de Nazareth de Francisco Zeffirelli, la plupart des films qui ont abordé la vie du Christ en l’inscrivant dans la réalité historique du Ier siècle ont construit leur scénario en harmonisant les évangiles. From the Manger to the Cross (De la crèche à la croix) de Sidney Olcott (1912), The Kings of Kings (Le Rois des rois) de Cecil B. DeMille (1927), Kings of Kings de Samuel Bronston (1961) ou The Greater Story Ever Told (La plus Grande Histoire jamais contée) de George Steven (1965) en sont les témoins les plus marquants.
Avant tout un regard personnel
Une autre catégorie de films autour de Jésus rassemble ceux où le réalisateur présente un regard très personnel sur la figure du Christ, tout en l’inscrivant dans le contexte historique du Ier siècle. La fameuse Passion de Jésus-Christ de Mel Gibson est typique de cette démarche. Sorti en salle en 2004, ce film porte sur les douze dernières heures de Jésus. Le regard de Gibson, à la fois acteur et réalisateur, est marqué par une spiritualité catholique très traditionnelle. Fervent lecteur des œuvres de la religieuse allemande Anne-Catherine Emmerich (1774-1824), il témoigne de son engouement pour une spiritualité doloriste et sanguinolente. Comme dans le livre de la religieuse allemande La douloureuse Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la présence de Satan durant les dernières heures est particulièrement mise en exergue, ainsi que les détails des souffrances suite aux tortures que Jésus subit. Dans ce film, Jésus apparaît comme le sacrifice sanglant « meurtri pour nos péchés et à travers les blessures duquel nous sommes guéris ».
Le film très controversé de Martin Scorsese, La dernière tentation du Christ, compte aussi parmi ces films portés par un regard très personnel. S’inspirant d’un roman de Nikos Kazantzakis, le cinéaste dresse le portrait d’un Jésus hésitant, très peu sûr de sa mission. Au point que sur la croix, il est assailli par la tentation de préférer une vie faite de bonheurs familiaux et conjugaux à la mission que Dieu lui a confiée.
Ancrés dans l’aujourd’hui
Une autre catégorie de films autour de Jésus regroupe ceux dont le propos n’est pas premièrement historique, mais plutôt de redire cette vie incomparable dans le monde d’aujourd’hui, à un public chrétien et non chrétien. Jésus de Montréal (1989) du réalisateur canadien Denys Arcan est le plus typique de cette catégorie de films. Tourné à Montréal, ce film raconte l’histoire d’un comédien chargé de mettre en place un spectacle de la Passion dans un lieu de pèlerinage. Un peu comme Jésus a rassemblé des disciples autour de lui, l’acteur qui incarne Jésus, Lothaire Bluteau, part à la recherche d’autres comédiens pour interpréter le spectacle de la Passion. Petit à petit, sa vie va venir comme en surimpression de celle de Jésus. Jésus de Montréal développe alors une critique très acérée de la société médiatico-consumériste superficielle de notre temps.
Un autre film tourné en Afrique du Sud s’inscrit dans cette veine. Cette fois, Jésus est un activiste noir durant le temps de l’apartheid. Il devient le défenseur d’une population victime des abus d’un pouvoir autocratique. Ce film de Mark Dornford-May intitulé Son of Man (2006) se termine par-delà la mort de « Jésus » par une invitation à s’unir contre le mal, « parce qu’il sera vaincu » !
Les films à la Ben-Hur
Dans ces films qui évoquent la personne de Jésus, il y a ceux où le Christ ne joue qu’un rôle secondaire. Le cœur du récit est ailleurs, mais Jésus apparaît souvent avec un rôle-clé dans le déroulement de l’intrigue. Le film Ben-Hur (1959) qui relate les aventures d’un jeune juif dont la mère et la sœur vont être guéries par Jésus, est typique de cette catégorie de films. Très en vogue dans les années 50 et 60, ces péplums bibliques comme Quo Vadis (1951) ou La Tunique (1953) sont basés sur des récits de fiction qui intègrent Jésus dans leur histoire propre.
***
Toute sortie d’un film sur Jésus alimente la discussion publique sur l’identité de celui que les chrétiens confessent comme leur Sauveur et leur Seigneur. L’apparition cette année du Fils de Dieu sur grand écran en Amérique du Nord a suscité une telle discussion. Elle a aussi révélé quel rôle la foi chrétienne joue dans la société américaine d’aujourd’hui. La sortie en DVD de ce film dans le monde francophone aura moins d’impact, mais aux chrétiens d’en faire, dans leur cercle et plus largement, une occasion de discussion et de débat ! Jésus est un personnage qui appartient à tous. C’est peut-être le rôle des chrétiens de le mettre à l’agenda de la conversation publique.
Serge Carrel
Cet article a été écrit suite au cours « Jesus at movies » de Iwan Russell-Jones, professeur au Regent College (Vancouver) durant le semestre d’été 2014.
Pour une présentation du film Le Fils de Dieu (2014).