Les premiers travaux ont débuté dans le temple de Saint-Luc du quartier de la Pontaise à Lausanne. Andrée Piller, concierge des lieux depuis 23 ans, en est toute chamboulée : « Cette église, c’était toute ma vie ! »
Devant ce temple qui date de 1940, une sculpture de l’artiste Edouard Sandoz représente un taureau ailé, symbole de l’évangéliste Luc. Puis des escaliers en granit mènent à une lourde porte en bois. Le municipal Oscar Tosato l’ouvre avec difficulté – impossible de retirer la clé ! – puis pénètre dans l’édifice : « La vie sociale ne se tisse plus autour de la seule activité religieuse, explique-t-il. La transformation de ce bâtiment en maison de quartier a trouvé un écho favorable auprès de toutes les parties concernées et conservera cette vocation de lieu de rencontre. » Selon les plans et sous l’œil du principal vitrail, l’espace central deviendra une grande salle polyvalente. « C’est ici qu’auront lieu les cours de danse pour aînés et les cours de gymnastique, une fois qu’on aura construit, côté montagne, une grande ouverture pour amener de la lumière », indique le Directeur du dicastère de l’enfance, de la jeunesse et de l’éducation. « La construction d’une porte de l’autre côté permettra de relier un nouveau bâtiment adjacent. Avec un oratoire pour conserver l’histoire de l’édifice, des activités socioculturelles pour continuer à générer du lien social et la structure d’accueil pour enfants en milieu scolaire (APEMS), on aura une occupation du lieu qui correspond aux besoins actuels des habitants du quartier. »
Coût de l’opération : 10 millions. « Le temple est classé aux monuments historiques », déclare Oscar Tosato. Impossible donc de le démolir et de le reconstruire à neuf. « Mais le coût de ces travaux est valable si le lieu est mieux investi », commente-t-il, non sans préciser que la paroisse dispose de deux autres lieux de culte. De son côté, le pasteur Daniel Alexander se réjouit d’avoir été associé à la décision et que sa paroisse reste perçue comme « utilisatrice privilégiée » de la nouvelle structure. « Ce que je regrette, c’est que les protestants du secteur ont vieilli et n’ont pas été remplacés. Saint-Luc a en fait répondu à un besoin pour la population ouvrière du quartier dans les années 40. »
Une vague de fond
La mutation de ce temple lausannois révèle une véritable vague de fond : l’Europe entière connaît aujourd’hui une phase de déconstruction de ses bâtiments ecclésiaux, et le mouvement va s’accélérer, estime à Fribourg René Pahud de Mortanges, Directeur de l’Institut de droit des religions. « Nous sommes en présence d’une forte sécularisation comme d’une pluralité des religions en Suisse, précise-t-il. Et les Eglises historiques sont confrontées à une augmentation des cas de réaffectation par manque de fidèles et par manque d’argent. »
A ses côtés, son collègue Jean-Baptiste Zufferey, Directeur de l’Institut pour le droit suisse et international de la construction, feuillette un classeur où sont répertoriés divers cas européens de réaffectation : « Dans le Land de Hesse, en Allemagne, l’Eglise protestante compte 4500 bâtiments dont 1400 sont à vendre. En Angleterre, 1500 Eglises sont fermées depuis 1969. Et puis vous avez des sites internet qui proposent différents objets religieux à vendre. Plus concrètement, un conférencier nous a proposé en 2006 l’examen d’objets concrets, comme ici, une Eglise transformée en salle de concert... Une autre en salle de bals avec spots lumineux amovibles au plafond. Là, vous avez un centre de grimpe, avec des cordes de sécurité et puis cette inscription ‘De la terre au ciel’. Le but : grimper le plus vite possible pour aller toucher la rosace du plafond. Ici, une église a été transformée en mosquée : on a supprimé les objets typiquement chrétiens, décoré les murs d’inscriptions en arabe. Et puis encore cet exemple étonnant, aux Pays-Bas, où une Eglise a été transformée en habitation : dans cette chambre d’enfants, la photo montre la moitié supérieure du Christ crucifié ; et on imagine sans peine que la pièce en-dessous a le pied de la croix. »
Une présence à réaffirmer
Des exemples qui choquent ? « Le droit traite froidement les dossiers concernant la réaffectation ou la démolition pure et simple des bâtiments auxquels sont liés affectivement toute une partie de la population. », indique-t-il. « Notre culture est en train de changer, lui fait écho René Pahud de Mortanges. On doit être ouvert aux nouveaux besoins de la population. Il y a des deuils à faire et des recommandations à suivre, comme celles de l’Eglise catholique qui offre une liturgie de désacralisation pour dire adieu aux lieux de culte. »
Il revient aujourd’hui aux Eglises de réaffirmer leur rôle et leur présence, estime enfin Oscar Tosato avant de quitter le temple de Saint-Luc. « A Lausanne, l’Eglise réformée a d’ailleurs décidé d’investir la ville avec une nouvelle présence autour de 3 lieux phares : Saint-Laurent, Saint-François et la Cathédrale. » Evénements festifs, concerts de gospel, célébrations œcuméniques devraient permettre aux trois grandes églises lausannoises de rester vivantes, en collant davantage aux demandes de la population protestante.
Gabrielle Desarzens