Pourquoi la réhabilitation intellectuelle de la foi chrétienne est-elle importante aujourd’hui ?
L’urgence en est accrue par la déchristianisation de notre société, par le fait que les intellectuels médiatiques se sont très largement détournés de la tradition judéo-chrétienne. Certains d’entre eux manifestent même une aversion déclarée à son égard. Du coup, il est indispensable que des gens qui se laissent piégés par leur discours accèdent au moins à l’écoute du message biblique. Il est très significatif que l’apologétique a joué dans la première extension du christianisme un rôle clé. Les premiers auteurs chrétiens à avoir laissé leur nom sont des apologètes. Au départ, le christianisme avait recruté parmi les esclaves et, pour toucher une autre partie de la population, il a fallu ce travail qui a porté ses fruits.
Aujourd’hui dans la situation de déchristianisation et d’antichristianisme que l’on peut observer, il convient de déployer un certain discours-plaidoyer pour que la foi chrétienne soit écoutée, sinon reçue.
De nombreux chrétiens évangéliques sont peu familiers du fait de défendre rationnellement leur foi. Que faut-il en penser ?
Pendant une époque antérieure, comme c’était l’idéologie qui structurait la société – sous une forme abâtardie, je le sais bien ! – les gens ne semblaient pas avoir besoin de défendre la foi chrétienne. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et c’est un élément nouveau. Il y a aussi un élément propre au milieu évangélique. Les chrétiens évangéliques en France se sont multipliés au moins par trois ou quatre en 50 ans. Il leur faut structurer la pensée qui correspond à leur foi.
C’est aussi urgent dans la mesure où un pluralisme relativiste a fait beaucoup de dégâts dans les grandes Eglises établies, catholiques et protestantes.
Etes-vous convaincu que la foi chrétienne peut se prouver rationnellement ?
On ne peut pas conduire à la foi par la seule raison. A mon avis, la raison n’existe pas. Il y a des gens qui raisonnent avec des présupposés divers, et il y a un exercice de la faculté de raison qui peut être évoqué. Par l’exercice de cette faculté, on ne peut faire naître la foi. Il y faut l’œuvre miraculeuse du Saint-Esprit. Mais on peut sans doute établir un dossier solide qui montre la pertinence de la foi chrétienne et qui peut impressionner des personnes qui ne sont pas encore converties. Il est possible, si l’auditeur n’est pas prévenu de manière trop rigide, de lui montrer par une argumentation adéquate qu’il devrait au moins examiner ce que la foi chrétienne peut lui apporter.
Comment réagissez-vous quand des chrétiens disent que croire en Dieu est une histoire de cœur et pas de raison ?
En premier lieu, je rappelle que l’opposition entre cœur et raison est anti-biblique. Le cœur dans l’Ecriture sainte, c’est l’organe même de la pensée, du vouloir aussi, mais opposer tête et cœur est on ne peut plus contraire à l’usage biblique des termes.
Ensuite, si l’on veut dire que la foi est d’abord une démarche affective et émotive et qu’il ne s’agit pas d’un exercice de l’intelligence, je pense que c’est une erreur grave qui interprète de manière erronée certains textes bibliques.
Dans nos Eglises en Suisse romande, on a l’impression que la défense de la foi s’opère souvent par la valorisation des signes et des guérisons. Pour vous s’agit-il d’une forme d’apologétique ?
Oui, je pense qu’on pourrait le dire. Ce n’est pas la seule, mais c’est une argumentation que l’on développe pour incliner les auditeurs vers l’Evangile, étant bien entendu que c’est le Saint-Esprit lui-même qui fera naître la foi. D’ailleurs le philosophe français Blaise Pascal a beaucoup, dans son travail d’apologète, travaillé la question des miracles. Donc, à mon avis, cela en fait partie.
Propos recueillis par Valentin Cruchet et Serge Carrel
Henri Blocher, La foi et la raison, Charols, Excelsis, 2015, 144 p. Une présentation de ce livre.