Jésus fait route pour guérir une fillette qui est sur le point de mourir. Le temps presse ! Et c'est difficile d'avancer dans cette foule. Pourtant, Jésus ne se laisse pas stresser. Il prend même le temps de s'arrêter et de demander : « Qui a touché mes vêtements ? » (Mc 5.30)(1). Quelle question ! Ses disciples ne comprennent pas. Ils lui répondent : « Tu vois la foule qui te presse, et tu dis: Qui m'a touché ? » (v.31). Mais Jésus insiste, regarde autour de lui... jusqu'à ce qu'une femme se jette à ses pieds et lui avoue son geste !
A l'époque, une fille n'allait pas à l'école et ne s'approchait pas d'un maître. Brisant les conventions sociales, la femme ose toucher l'habit de Jésus, car elle se dit : « Si je touche ses vêtements, je serai guérie ! » (v.28). La pauvre souffre d'hémorragies depuis douze ans. Imaginez sa honte et le handicap...
Pour ajouter au désespoir de cette femme, la loi de Moïse stipulait que toute personne qui avait des écoulements de nature sexuelle était impure. Il lui était donc impossible de se rendre au Temple pour prier, impossible de s'approcher de Dieu !(2) Et l'impureté étant considérée comme contagieuse, cette femme aurait dû rester à l'écart... mais voilà qu'elle prend un bain de foule !
La femme touche les franges de l'habit de Jésus. Tout Israélite devait en coudre à ses vêtements : « Lorsque vous verrez ces franges, vous penserez à tous les commandements de l'Eternel pour les appliquer » (Nb 15.39). Les franges étaient une sorte d'aide-mémoire : elles symbolisaient la Loi que l'Israélite devait garder sous les yeux, pour la méditer et y obéir.
La femme se garde bien de toucher Jésus, afin de ne pas le rendre impur. Mais, dans une foule si compacte, elle en a touché d'autres. Une telle audace n'est-elle pas coupable ? Et qu'une femme impure touche les franges – ces symboles de la loi – voilà qui a dû offusquer les religieux !
Proche du désespoir
Exclue, cette femme n'a plus rien à perdre. En vain, elle a essayé toutes les médecines, ce qui l'a ruinée. Pire : sa santé s'est détériorée, à force de subir de lourds traitements inopérants. Elle vient seule, car elle n'a probablement plus de mari pour la soutenir(3). Pensez : il s'est sûrement lassé, depuis si longtemps qu'il ne pouvait plus la toucher… (4)
Accablée par tant de souffrance et de honte, la femme n'ose pas s'adresser à Jésus. Elle vient par derrière, incognito. Personne ne connaît son nom. Son identité ? C'est sa maladie : « Une femme étant dans un écoulement de sang depuis douze ans » (Mc 5.25). Elle passe derrière Jésus, comme une ombre qui va mourir...
Quelle folie, d'imaginer qu'en touchant le vêtement de ce maître, elle sera guérie ! Cette femme est-elle superstitieuse ? A-t-elle une pensée magique ? Sûrement pas. Car après avoir couru derrière tous les guérisseurs, elle savait que son cas était désespéré.
Cette femme aurait dû être désabusée et incrédule. Elle aurait dû rester à l'écart, en criant : « Impure ! » Elle aurait dû prévenir ceux qui s'approchent de ne pas la toucher, afin qu'ils ne deviennent pas eux-mêmes impurs(5). Elle aurait dû se cantonner à attendre la mort...
Au contraire, elle ose un geste de foi et d'espérance ! Et Dieu lui accorde un miracle : l'hémorragie s'arrête à l'instant même où elle touche Jésus !
Guérir physiquement, c'est important. Mais ce n'est pas tout ! Cette femme a besoin d'être délivrée de la honte. Une autre épreuve l'attend. En effet, à l'instant où la femme sait qu'elle est guérie, Jésus sait qu'une force est sortie de lui. Et voilà qu'il veut connaître qui l'a touché... Quelle poisse ! Comment va-t-elle s'en tirer ?
Avec crainte et tremblement, elle se jette aux pieds de Jésus, pour confesser son geste devant la foule. Quel courage ! Après douze ans de honte, à l'écart des gens, elle ose se dévoiler. Comment Jésus va-t-il accueillir une telle paria ?
Aucun reproche
Le Maître aurait pu se fâcher : la femme n'a-t-elle pas désobéi à la loi en prenant ce bain de foule ? Par son geste, n'a-t-elle pas souillé Jésus ? Mais le Seigneur voit dans les cœurs. Il ne lui fait aucun reproche. Car il a vu la souffrance et le désespoir de cette femme, retenue depuis si longtemps dans la maladie. Il a vu combien elle a été déshonorée et blessée.
Jésus voit aussi son courage pour oser un geste si audacieux. Il voit sa foi : une foi toute simple, mais vraie, qui croit qu'en touchant ne serait-ce que l'habit du Maître, elle sera guérie. Alors Jésus veut la faire parler... pour qu'elle raconte la grâce que Dieu lui a accordée !
Avec tendresse, Jésus accueille la femme : « Ma fille, ta foi t'a sauvée » (v.34). Le Seigneur ne lui demande même pas de sacrifice ! Les religieux n'ont pas dû apprécier : Jésus n'est-il pas un imposteur, pour s'affranchir ainsi des commandements ?
Car selon la Loi, huit jours après sa guérison, la femme devait offrir deux tourterelles ou deux colombes. Le prêtre en offrait une en sacrifice pour le péché, et l'autre en holocauste (voir Lv 15.30).
Pourquoi parler de péché, alors qu'il s'agit d'une maladie ? La Loi est un assommoir : elle déclare la malade impure et intouchable ; elle la condamne à vivre exclue. Puis, une fois guérie, la femme doit encore payer pour son péché ! Où est l'amour de Dieu, dans tout ça ?
L'esprit de la Loi
Dieu n'a jamais voulu rejeter qui que ce soit. Au contraire, la Loi protégeait les Israélites ! Car rendre un culte au Seigneur en étant souillé conduit à la mort(6). La sainteté de Dieu est si forte, que la moindre impureté devant Lui fait de nous des hommes morts !
Les lois sur la pureté (7) enseignaient comment s'approcher de Dieu. Mais l'impureté était si courante, qu'il était difficile de venir devant le Seigneur ! Par exemple, chaque femme était impure le tiers de son temps à cause de ses règles… (8)
Imaginez combien la vie courante était pesante dans la famille israélite. Si un membre était impur, il ne fallait pas le toucher ! Si, durant son indisposition, la mère s'asseyait sur un siège, celui-ci devenait impur. Attention, il ne fallait pas s'y asseoir ! Et si votre maison avait des taches, il fallait que le sacrificateur vienne évaluer son état de pureté...
Avec lucidité, l'apôtre Jacques reconnaît que la Loi est un joug que les Israélites n'ont jamais eu la force de porter(9). De plus, ce fardeau semble inutile. Car le sacrifice d'animaux est tout à fait insuffisant pour purifier les êtres humains.
Entrez dans la grâce !
Par les rites de purification, les Israélites devenaient symboliquement purs et propres, pour rendre un culte à Dieu. Pourtant, Jésus atteste (10) à la femme que ce n'est pas la Loi, mais la foi, qui sauve et rend pur : « Ma fille, ta foi t'a sauvée; va en paix et sois guérie de ton mal ! » (v.34).
Sur la croix, Jésus a porté tout ce qui faisait de nous des êtres souillés(11). Alors, n'hésitons pas à lui confier nos vies impures ! Il désire en faire de purs joyaux, à la gloire de Dieu...
Anne-Catherine Piguet,
ergothérapeute et théologienne
Notes
1) Ce récit est aussi raconté dans Mt 9.20-22 et Lc 8.43-48.
2) Lv 12.4.
3) Si tel est le cas, son mari ne serait même pas en faute, car la loi de Moïse l'autorisait à divorcer, s'il trouvait en elle quelque chose de honteux (Dt 24.1).
4) Ils auraient été retranchés du peuple d'Israël, s'ils avaient eu des relations sexuelles (Lv 20.18).
5) Lv 15.19.
6) Lv 15.31.
7) Lv 11-15.
8) Sans compter bien d'autres situations de la vie courante qui rendaient impur : toucher quelque chose ou quelqu'un d'impur, être atteint de lèpre, venir d'accoucher, etc.
9) Ac 15.10.
10) Le prophète Habacuc l'avait déjà entrevu (2.4).
11) Es 53.4-6.