Vaud: être tuteur ou curateur, une façon de tendre la main à son prochain

lundi 01 novembre 2010
C’est une particularité vaudoise : chaque citoyen du canton est tenu d’accepter une charge tutélaire si la Justice de Paix le lui demande. Une contrainte qui fait des vagues, mais que certains chrétiens remplissent dans une optique de service. Coup de projecteur de Gabrielle Desarzens.
« M’occuper de factures et de mesures administratives, c’est ce qui m’intéresse le moins dans l’accompagnement social ! La tutelle ou la curatelle, c’est parfois une vraie galère, mais c’est une façon concrète de tendre la main à son prochain. » Jean-Michel Rey, 50 ans, résume par ces mots son engagement de tuteur*. Après un jeune pupille qu’il a suivi pendant une dizaine d’années, cet enseignant et éducateur de formation a ensuite pris la charge volontaire d’un autre jeune. « Mais après deux ans et au vu des délits répétés de ce pupille, j’ai demandé qu’on me relève de mes fonctions : j’étais épuisé », indique-t-il. Et pourtant, ce chrétien de St-Cergue et membre de l’Eglise évangélique Arc-en-Ciel à Gland (FREE) croit fermement à ce qu’il qualifie de témoignage de base. « A la suite du Christ, il faut avoir ce geste de donner à boire. De soulager celle ou celui dans le besoin. Sans forcément vouloir lui parler de Dieu. »
Les jeunes en difficulté ne sont pas les seuls à avoir besoin d’encadrement. Dans notre société où tout va très vite, chacun peut se retrouver disqualifié presque du jour au lendemain. Que ce soit en raison des techniques informatiques qui se compliquent ou du jargon administratif qui ne correspond à plus rien de connu. Et cette perte de repères concerne des personnes âgées, comme des quadragénaires qui se sortent mal d’une rupture affective ; ou encore des hommes et des femmes qui tombent malades et qui ne parviennent plus à assumer le courrier médical et les démarches qui s’ensuivent.

« Je le fais avec le cœur »
« Le curateur intervient souvent lorsque des personnes ne font plus surface. Lorsqu’elles se sont noyées dans des arriérés de factures et de rappels à n’en plus finir et qu’elles vivent une grande détresse. Cela n’est jamais facile ! » Employé du secteur bancaire, Christian Millioud, 51 ans, a suivi 8 personnes en curatelle officielle, dont deux sont encore en cours. « Je le fais avec le cœur, pour aider des personnes en difficulté », souligne cet homme pour qui le contact humain est essentiel. « J’essaie de tendre la main, même si je n’ai pas de retours. Le but est de témoigner de ma foi par mon écoute, ma disponibilité et par ma façon de gérer la curatelle », ajoute-t-il le regard concentré derrière ses lunettes rondes.
Membre d’une Assemblée chrétienne à Essertines-sur-Yverdon et habitant Corcelles-près-Concise, Christian a été sollicité par la Justice de paix pour la première fois il y a 25 ans. « Il s’agissait d’une curatelle d’un couple âgé. Je venais alors de perdre mon père et ne me sentais pas à même de m’occuper de personnes de 80 ans et plus. Mais les autorités m’ont prévenu que si je refusais cette charge, je prenais le risque de devoir assumer la tutelle d’un jeune, par exemple, avec des problèmes sans doute plus lourds à gérer... J’ai finalement accepté... et j’ai eu du plaisir ! Oui, j’ai aimé rencontrer ces personnes riches de tout un bagage de vie, et régler avec elles leurs affaires courantes. Le couple suivant dont je me suis occupé s’est approché de moi spontanément. Par la suite, les demandes se sont succédé presque naturellement. »

Une aide concrète
Après évaluation de la situation, le tuteur ou le curateur doit s’occuper des paiements de la personne, faire le lien avec les instances administratives, organiser les repas à domicile, voire les rendez-vous chez le médecin. L’aide est concrète... et conséquente : « Je me rends en général une fois par semaine chez mes pupilles », explique Christian. Non sans glisser avoir parfois commencé à faire connaissance de la personne en s’occupant de trois sacs de courrier en retard... Se charger de la vente de maisons en organisant les visites – sans pour autant choisir l’acheteur –, a également fait partie de ses différentes attributions.
« A croire que le tuteur ou le curateur, c’est quelqu’un qui aime les difficultés », sourit Jean-Michel Rey. Celui qui est engagé dans le social depuis plus de 30 ans a récemment été sollicité avec sa femme pour une tutelle d’un enfant à naître. « On a dû poser notre candidature, soumettre notre curriculum vitae... C’est énorme, lance-t-il. Mais on voulait que la maman, elle-même sous tutelle, puisse élever son enfant. Nous nous sommes finalement assez vite décidés. Comprenez bien : notre engagement, on le puise dans notre foi. Et c’est parce qu’on a reçu la grâce de Dieu, qu’on aimerait tendre des béquilles à celles et ceux qui ne parviennent plus à marcher seuls dans la vie. Et s’occuper du désendettement d’une personne alors que Christ a payé pour chacun d’entre nous, c’est tout un symbole, non ? »

Le cas vaudois
Le canton de Vaud est le seul à désigner des personnes pour veiller sur les citoyens qui ont besoin d’aide. Dans les autres cantons, cette tâche est du ressort soit de l'Etat, soit de volontaires ou de tuteurs professionnels. Parce que c’est un devoir citoyen, le Juge de Paix peut donc imposer à un Vaudois d'être tuteur ou curateur*. Ce devoir civique peut tomber sur n'importe quelle personne majeure et responsable de moins de 60 ans, parent de moins de cinq enfants, ou n’ayant pas plus de deux autres pupilles à sa charge. Ces personnes désignées ne peuvent se récuser que pour des motifs extrêmes.
Quelque 11'000 personnes sont au bénéfice de mesures tutélaires dans le canton. Or la frustration engendrée chez les « volontaires désignés » n'est pas la meilleure condition de départ pour une prise en charge optimale de ceux qui sont, par décision de justice, leurs protégés. Chaque année, un quart des personnes désignées fait (difficilement) opposition à ce mandat. « Là, les chrétiens ont une carte à jouer, lance Jean-Michel Rey. Celui qui manque souvent, dans la moisson, c’est celui qui sait en prendre soin. Il ne s’agit pas tant de semer ni de récolter, taches réservées au Christ et à ses anges ; juste s’investir dans le champ comme humble ouvrier, attentif aux besoins concrets de celle et celui qu’il rencontre. »
Gabrielle Desarzens

* Les mesures tutélaires sont ordonnées lorsqu'une personne n'est plus en mesure de veiller à ses intérêts et de gérer seule ses affaires. Une mesure tutélaire peut être ordonnée par l'autorité compétente à la demande de la personne concernée elle-même.
La tutelle est la mesure tutélaire la plus restrictive. Elle peut être prononcée lorsqu'un des motifs prévus explicitement par la loi est présent (maladie mentale, faiblesse d'esprit, alcoolisme, mauvaise gestion des affaires financières, etc.) et lorsque la personne a besoin en conséquence d'une protection particulière. La personne mise sous tutelle est en principe privée de ses droits civils.
Les enfants mineurs dépourvus d'autorité parentale sont placés sous tutelle.
La curatelle est la mesure tutélaire la moins restrictive. Elle n'a pas d'effet sur la capacité civile d'une personne. Le curateur ou la curatrice doit assister la personne sous curatelle dans la gestion de ses affaires ou le faire pour elle.


  • Encadré 1: Vivre dans la mélasse
    « La curatelle ? C’est un très bon système. Sans elle, je serais toujours dans la mélasse ! »  Monteur en chauffage de formation, Bernard, 57 ans, habite Yverdon-les-Bains et indique tout de go n’avoir jamais fait de budget. « C’est ma femme qui s’occupait des paiements. » Après son divorce, il s’en est chargé un moment « avec un peu de retard » ; puis l’amie qu’il a eue lui a dressé un planning des factures à payer. « Quand elle m’a quitté, ça a été la débâcle. Je m’en foutais », résume notre homme. Revenu à l’Eglise « après avoir tout quitté pendant 25 ans », il dit avoir eu envie de mettre sa vie en ordre. J’avais 46 ans et plein de dettes : cela faisait 3 ans que je ne m’occupais plus de rien ! J’en ai alors parlé à un ami du dimanche matin et lui ai demandé une curatelle. » Celui-ci l’a aidé quelques années, puis il a eu davantage à faire dans son métier. « J’ai eu alors un autre curateur, explique Bernard. Puis encore un autre : sympathique, mais que je voyais rarement. Et il ne me montrait rien du tout, faute de temps, probablement. Je n’ai donc pas eu la possibilité de m’améliorer et n’ai rien appris du tout ! Comme il va aller travailler sur Neuchâtel, j’ai à nouveau sollicité quelqu’un de mon Eglise : cela me convient mieux parce qu’on ne partage pas que les factures ! Et puis, on se voit forcément plus souvent... »
    G.D.
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