« L’humain est fait de liens. Personne ne peut faire l’économie de la relation avec celles et ceux qui l’entourent, même si c’est difficile. Comprenez bien : on peut mourir de solitude. Et dans notre société individualiste, c’est quelque chose qui nous menace tous. » Bien calée sur le canapé de son salon, Line-Claude Magnenat aime la ville de Vallorbe et en aime les habitants. « J’ai envie que les gens soient bien ici et qu’on ait du plaisir à vivre ensemble. » Ces quelques phrases résument bien le sentiment qui anime et qui motive plusieurs chrétiens de ce bout du canton de Vaud (1).
Responsable du placement des enfants mineurs
Coordinatrice de l’accueil familial de jour pour la région, Line-Claude s’occupe depuis 2002 du placement des enfants mineurs non accompagnés qui arrivent au CEP (Centre d’enregistrement et de procédure) dans des familles de la région, « jusqu’à ce que les services compétents trouvent un parent et ou un tuteur ». L’exercice est difficile : « Je reçois tout d’un coup un téléphone du centre et, dans les 2 à 3 heures, je dois trouver une famille prête à accueillir un enfant pour une durée de 1 à 10 jours. » Dans son fichier, 6 foyers répondent présents depuis les débuts de l’exercice, dont 5 sont clairement engagés dans la foi chrétienne. « A chaque fois, ces personnes acceptent et prennent le risque d’être complètement bouleversées : les enfants qu’elles accueillent ont souvent leurs émotions à vif, certains mentent effrontément et par nécessité, et il faut assurer à leurs côtés une présence 24 heures sur 24. L’engagement est énorme ! » Si les mineurs sont moins nombreux actuellement, un enfant par mois a ainsi été pris en charge en moyenne les 3 premières années.
A 9 ans, il arrive seul au centre !
C’est de cette façon que Malcolm * est entré dans la vie de Line-Claude, presque naturellement. Angolais d’origine, il avait 9 ans à son arrivée au centre d’enregistrement. « C’était le deuxième téléphone du centre concernant le placement d’un enfant. Ma fille qui était au chômage a proposé de s’occuper de lui. Le père de Malcolm a ensuite été retrouvé, puis a disparu sans laisser d’adresse. Nous avons donc repris cet enfant chez nous », résume Line-Claude, sans vouloir entrer dans les détails. Elle et son mari considèrent d’ailleurs ce jeune orphelin et apatride de 16 ans et demi aujourd’hui comme leur propre fils. Et sont en procédure d’adoption.
Educatrice de la petite enfance de formation, cette mère de famille s’est toujours impliquée auprès des personnes jugées différentes et qui peinent à trouver leurs marques. « J’ai toujours été remuée par le mal fait aux enfants. Je considère le monde comme un grand village. La détresse enfantine qu’il contient me bouleverse et me concerne : à chaque fois que j’entends un enfant qui souffre, cela me met en route et je regarde ce que je peux faire. » Aucun prosélytisme dans les engagements qu’elle prend, ni d’affirmations spirituelles carrées dans son discours. Line-Claude se sait accueillie par Dieu, connue et aimée de Lui. « Ce qui est une nouvelle extraordinaire et qui me confère une identité exceptionnelle. » C’est à partir de ce fondement-là qu’elle essaie, humblement, de faire les choses alors avec conviction, en s’appuyant sur les valeurs chrétiennes qu’on lui a inculquées et qu’elle reconnaît comme siennes. « J’aime être au service de Celui qui m’accompagne et me sauve, et qui m’aide à être chaque jour plus humaine », dit-elle.
Une atitude de refus qui nie nos racines !
Sans amertume par rapport à la dureté des autorités en matière d’asile, elle souhaiterait cependant que les personnalités politiques du pays reconnaissent enfin que la Suisse a vécu de l’exil, qu’elle en est empreinte, ne serait-ce qu’en regard des Huguenots qu’elle a accueillis dès la fin du XVIe siècle, puis de tous les étrangers dont elle a eu besoin pour se construire. « Que l’on ferme la porte aujourd’hui à des enfants sans papiers, exilés, c’est nier les racines de nombre d’habitants de ce pays et l’ouverture qu’elles leur confèrent. » Line-Claude sourit, son regard pétille derrière ses lunettes, qu’elle ajuste avant de poursuivre pour nous faire part de son dernier défi : celui de s’impliquer dans le projet « Quartier solidaire ». Quelque chose qui démarre à Vallorbe pour les personnes seules, les nouveaux arrivants et le village tout entier.
Des liens qui font vivre !
« Dieu nous apprend certainement à être en lien les uns avec les autres. Mais ces liens peuvent nous ligoter ou au contraire nous relier afin de nous permettre de vivre de belles tranches de partage humain. » C’est là tout le mystère du sel de la terre : parvenir à amener une saveur particulière au monde, en comprenant qu’il faut d’autres ingrédients, soit qu’on a besoin des autres pour vivre sa part d’humanité !
Gabrielle Desarzens
* Prénom d’emprunt
Note:
1) Les chrétiens de Vallorbe collaborent et cela ne date pas d’hier. Ils ont appris à se connaître et à « s’ouvrir à l’autre », selon les propres termes de Line-Claude Magnenat, au sein du « Parcours œcuménique », projet initié par l’Armée du Salut, l’Eglise catholique et l’Eglise réformée, rejointes par la suite par les autres communautés chrétiennes. Cette expérience a duré une quinzaine d’années. Ce mouvement s’est ensuite fondu dans l’actuelle association ARAVOH.