André Letzel est pasteur évangélique de formation et aujourd’hui sexologue. Pendant de nombreuses années, ce Français d’adoption a eu l’occasion, comme pasteur, d’accompagner des couples. Il a même mis en place, conjointement avec Christian Reichel, pasteur dans l’Eglise évangélique de Renens (FREE) et conseiller conjugal, un cours de préparation au mariage appelé « Parcours pour couple ».
Un jour, suite à un accompagnement particulièrement difficile, le pasteur Letzel décide de se donner davantage de moyens pour suivre les couples qui sollicitent son aide. Il entame des études de sexologie. En 2017, pour son mémoire de fin d’études, il étudie la question de « L’interdit préconjugal et son influence sur l’apprentissage de la fonction érotique du couple ».
Quitter, s’attacher et devenir
Pour André Letzel, il est important de valoriser trois étapes dans les relations préconjugales, notamment à partir du texte biblique de Genèse 2.24. Tout d’abord le fait de « quitter » père et mère, puis le fait de « s’attacher » à son conjoint, puis, troisième étape, « devenir une seule chair ». En conduisant une enquête statistique, le pasteur et sexologue a repéré trois manières dont les futurs conjoints vivent leurs fréquentations. Le premier groupe s’abstient de toute relation sexuelle ou érotique avant le mariage. Le deuxième met en place le « petting », un apprivoisement progressif du corps du futur conjoint par des caresses sans pénétration ; le troisième enfin entretient des relations sexuelles avant le mariage.
A ces trois groupes, André Letzel a posé la question de savoir comment ils avaient vécu leur apprentissage de la sexualité conjugale. Pour les deux derniers, l’apprentissage a été plus facile que pour ceux qui avaient observé une abstinence tant sexuelle qu’érotique. Du point de vue de la satisfaction sexuelle, les deux derniers groupes, selon le sondage, témoignent d’un taux de satisfaction plus élevé que les abstinents. « Ce qui joue énormément ici, développe le sexologue, c’est l’interdit que certains ont intégré, avec la culpabilité qui va avec, et qui ne disparaît pas avec le mariage. Il ne suffit pas simplement de fêter le mariage pour ensuite avoir la liberté de passer à l’acte. » André Letzel perçoit chez des couples appartenant au groupe des abstinents un certain mépris du corps et une méfiance à l'endroit de ses pulsions.
Promouvoir une meilleure connaissance du corps
Aujourd’hui, le pasteur-sexologue incite les Eglises à promouvoir, dans les formations au mariage et dans le suivi des jeunes couples, une meilleure connaissance du fonctionnement du corps humain. « Il faut intéresser les jeunes au corps que Dieu nous a donné et à ce que le Seigneur nous propose comme plaisirs et jouissances au travers de notre corps », ajoute-t-il. Pour ce faire, le sexologue souhaite voir davantage de professionnels de la santé, comme les sages-femmes, intervenir dans le cadre des formations dispensées aux couples. « Il faut que les pasteurs travaillent en réseau et se tiennent un peu en retrait de ce qui se passe entre les couples à ce niveau-là. »
André Letzel tient aussi à dénoncer certaines promesses de « mariage heureux » faites à ceux qui se seraient abstenus de toute relation sexuelle avant la nuit de noces. « Il n’y a pas d’automatisme dans ce domaine, lance-t-il. Dans l’accompagnement des couples qui se sont abstenus jusqu’au mariage, on rencontre certaines formes de vaginisme qui doivent nous alerter. Pour tous, la sexualité doit être apprise. Elle ne tombe pas du ciel ! De plus de telles promesses sont à l’opposé de la théologie de la grâce chère aux évangéliques. En quel honneur quelqu’un pourrait-il promettre quelque chose ? Tout n’est-il pas grâce ? »
Pour les jeunes mariés, le pasteur-sexologue dispense deux conseils. Tout d’abord attendre un à deux ans avant la venue du premier enfant pour permettre au jeune couple d’apprendre l’intimité et le fonctionnement du corps de l’autre. Ensuite, après la première naissance, attendre 3 à 6 mois avant de reprendre une activité sexuelle. « Il importe de ne pas se laisser enfermé dans le mythe de la sexualité pénétrative, ajoute-t-il. La sexualité peut être différente, notamment en recourant à tout le panel des activités érotiques sans pénétration. »
Serge Carrel