A quelques kilomètres de Tombouctou, arrivée dans un pick-up avec des hommes enturbannés et lourdement armés, la Suissesse Béatrice Stockly a été remise mardi 24 avril par des islamistes aux autorités du Burkina Faso, qui l'ont emmenée à Ouagadougou à bord d'un hélicoptère. En robe et turban noirs mais le visage découvert, elle a ôté cette tenue aussitôt après avoir pris place dans l’appareil. « On m'a obligée à porter ça ! » a-t-elle indiqué avant de retirer ces vêtements d’emprunt. Un journaliste de l'AFP à bord de l’hélicoptère rapporte que Béatrice portait une robe fleurie et des sandales. Ses cheveux longs étaient attachés. Elle souriait mais était visiblement fatiguée. Elle a fouillé dans son sac en cuir et distribué aux passagers de l'appareil les « chocolats de la liberté ». Puis elle a discuté avec le chef d'état-major particulier du président burkinabé Blaise Compaoré, le général Gilbert Djindjéré, qui était venu la chercher en compagnie de deux représentants du ministère suisse des Affaires étrangères, et sorti brièvement de son sac une Bible volumineuse.
Venue au Mali comme volontaire de l’Eglise méthodiste, la quadragénaire était installée depuis plus de 10 ans à Tombouctou. Elle avait choisi de rester sur place, malgré les injonctions de ses proches et des autorités consulaires, avant d’être enlevée le 15 avril dernier dans le quartier populaire d’Abaradjou, aux portes du désert.
Elle ne fréquentait plus aucune Eglise ni mission, mais disait « avoir un ministère et voulait convertir les gens », nous avait confié le pasteur évangélique de la ville Bouya Yattara, chez qui elle avait logé plusieurs mois.
Sous la menace des islamistes
Tombée le 1er avril aux mains du groupe islamiste Ansar Dine, appuyé par des éléments d'AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), Tombouctou s’était rapidement vidée de ses chrétiens. Le pasteur Yattara, replié à Bamako, dans le sud-ouest du pays, avait parlé d’une véritable « chasse aux chrétiens ». Joint mercredi par téléphone, il dit craindre aujourd’hui pour sa vie : « Je suis une incarnation du christianisme pour les gens de Tombouctou, où on a amené plusieurs marabouts à Christ. Franchement, nous sommes moi et ma famille sous la menace des membres d’Ansar Dine et d’AQMI qui ont dit à Tombouctou qu’ils me cherchaient et qu’ils allaient me couper en morceaux. Et ils sont actuellement partout, même ici au Sud et peuvent opérer à n’importe quel moment. » Le pasteur a indiqué se remettre aux prières des chrétiens suisses, pour lui, sa femme, et leurs 5 enfants.
« Bouya Yattara est un homme d’envergure qui était très en vue et très respecté à Tombouctou », témoigne à St-Blaise Pierre Amey, pasteur de l’Eglise évangélique réformée neuchâteloise et membre du personnel de Jeunesse en mission. Ce Suisse a travaillé avec son homologue malien il y a 5 ans pour des émissions radiophoniques locales.
Cette opposition violente et soudaine contre la minorité chrétienne dans le nord du Mali s’explique selon Bouya Yattara du fait que, pour les salafistes, Tombouctou est la capitale de l’islam au Mali voire en Afrique. Surnommée la ville aux 333 marabouts, elle est située sur la boucle du fleuve Niger. Pendant des siècles, elle a été un carrefour commercial très important au Sahara et un centre spirituel renommé de l'islam sub-saharien. Elle a aussi été un centre touristique couru par les amateurs de méharées dans le désert, jusqu'à ce que l'insécurité de ces dernières années fasse fuir les touristes occidentaux. Les rebelles d’AQMI opèrent en effet dans le secteur de multiples trafics et se livrent notamment à une « industrie de l'enlèvement » pour obtenir de juteuses rançons.
Ces combattants actifs dans le nord du pays comme dans tout le désert sahélien ne sont pourtant pas assimilables aux musulmans maliens. Pour preuve : le pays est à 90% de religion musulmane, mais ses habitants ne veulent pas d’un régime islamiste au pouvoir. Le pasteur évangélique a d’ailleurs indiqué que même des musulmans quittaient Tombouctou, car l’islam des salafistes leur fait peur.
« Les Européens sont contre les musulmans »
En atterrissant hier à quelques kilomètres de Tombouctou, l'hélicoptère venu chercher Béatrice Stockly a soulevé une vague de sable. Un homme, visage enturbanné et kalachnikov en bandoulière, qui s’est présenté comme un élément du groupe islamiste armé Ansar Dine dominant dans la région avec le soutien d'AQMI, est venu chercher le général Djindjéré. Le haut gradé est parti avec l'un des représentants suisses. L'autre, une femme, n'a pas été autorisée à les suivre, rapporte le journaliste de l’AFP. Est arrivé alors, dans un pick-up et sous bonne escorte, Sanda Boumama, représentant à Tombouctou du chef d'Ansar Dine, Iyad Ag Ghaly. Celui-ci a assuré qu'aucune rançon n'avait été versée. Le combattant islamiste a par ailleurs confirmé qu’Ansar Dine contrôlait la ville de Tombouctou, mais que le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad, rébellion touareg) contrôlait l'aéroport et le quartier qui y mène. Nous sommes prêts à accepter l'aide humanitaire, a-t-il dit, alors que la situation est très difficile dans tout le Nord ayant échappé au pouvoir de Bamako depuis bientôt un mois. « On manque de tout », a-t-il souligné, non sans avertir qu’il ne fallait pas que « l'aide humanitaire soit une campagne politique déguisée » des Occidentaux. « Les Européens sont contre les musulmans », a-t-il ajouté, citant l’Irak et l’Afghanistan, et accablant l'ex-président américain George W. Bush.
A son arrivée à la base militaire de Ouagadougou, assaillie par les journalistes, la Suissesse n'a pas voulu s'exprimer. « Elle ne veut pas repartir en Suisse, elle ne souhaite pas quitter la région pour le moment et va rester au Burkina deux ou trois jours, le temps de réfléchir », a expliqué le général Djindjéré devant la presse. La Suisse a remercié « toutes les personnes et les autorités qui ont œuvré » à cette libération, « en particulier les autorités du Mali et du Burkina Faso ».
Gabrielle Desarzens
Voir l’article précédent de Gabrielle Desarzens sur cet enlèvement : « Missionnaire suisse enlevée au Mali : tous les chrétiens avaient fui sauf elle ! »