« Ce qui m’a surpris, ce sont les différences d’approches des intervenants évangéliques en prison. » Brigitte Knobel est sociologue. Dans le cadre d’une étude sur la diversité religieuse en prison financée par le Fonds national suisse, elle a recensé la présence religieuse d’intervenants qui ne sont ni réformés, ni catholiques, ni musulmans.
Une présence non officielle, mais ancienneElle a découvert que, parmi les intervenants ne disposant pas d’une reconnaissance officielle, les évangéliques étaient « les plus intégrés au sein des institutions carcérales suisses, les plus nombreux et aussi ceux dont la présence était la plus ancienne ». Notamment grâce à une présence active de représentants de l’Armée du salut, depuis le début du XXe siècle.
En Suisse, il y a en moyenne un intervenant évangélique par institution carcérale. Chacun d’eux effectue de 1 à 4 visites chaque mois et, par demi-journée passée sur place, l’intervenant rencontre entre 3 et 5 détenus. En Suisse romande, cette chercheuse en sociologie a recensé 10 associations évangéliques d’aide aux détenus. Deux unions d’Eglises consacrent chaque année des fonds à un tel service : l’Armée du salut 160'000.- et la FREE 8'400.-
Un statut de visiteur aménagéLorsqu’ils viennent en prison, les intervenants évangéliques bénéficient d’un statut de visiteur, quelque peu aménagé. Ils peuvent souvent disposer d’une salle pour rencontrer le détenu dans l’intimité, leurs visites sont programmées grâce à des listes affichées dans les couloirs de la prison où les détenus peuvent s’inscrire. Ces rencontres n’émargent pas au quota de visites du détenu et les intervenants évangéliques peuvent aussi apporter un paquet à leur interlocuteur.
Ce statut quelque peu privilégié est un peu aléatoire. Il « dépend de la volonté des directeurs d’établissement et nécessite le soutien des aumôniers ainsi qu’un bon réseau social local ». Un des intervenants évangéliques interrogés a relevé qu’il entrait en prison « par la petite porte ».
D’une posture oecuménique à une posture confessionnelleBrigitte Knobel s’est également penchée sur la manière dont les intervenants évangéliques géraient la diversité religieuse, et notamment le fait qu’ils rencontrent la plupart du temps des détenus issus de religions ou de confessions autres que la leur. « Il n’y a pas de ligne, explique-t-elle. Les approches oscillent entre une posture oecuménique, basée sur l’écoute et le dialogue, et une posture confessionnelle basée sur des témoignages chrétiens, l’enseignement biblique, la distribution de la Bible et le message d’évangélisation. » Actuellement cette diversité d’approches ne semblent pas poser de problème, mais à l’avenir peut-être... « Tout dépendra des politiques carcérales, relève la chercheuse. En tout cas si les intervenants évangéliques ont le droit de faire de la publicité pour leurs convictions religieuses en prison, c’est un droit qu’il faudra aussi accorder aux musulmans. »
Au cours de cette étude, la sociologue a été surprise de voir que les différents intervenants « tolérés » n’étaient nullement accompagnés par l’institution pénitentiaire et qu’ils menaient leur activité en « autodidactes ». « On prend conscience que tous ces intervenants sont seuls par rapport aux questions qu’ils rencontrent. Ils n’ont pas de liens entre eux. » Hormis quelques membres de l’Armée du salut qui sont observateurs dans le cadre de l’Association suisse des aumôniers de prison.
Une recherche financée par la ConfédérationBrigitte Knobel a eu l’occasion de rendre compte de sa recherche le 24 septembre lors d’un colloque international à Lausanne sur les enjeux de la pluralisation religieuse de la population carcérale. Sa présentation s’intitulait : « L’offre spirituelle en prison : au-delà de l’aumônerie ». A côté de l’offre des aumôniers catholiques et réformés, elle a mis en avant l’apport de trois groupes « tolérés » dans les prisons helvétiques : les « intervenants évangéliques », les « intervenants holistes », professeurs de yoga et de développement personnel, et, enfin, les « intervenants compatriotes », des responsables de communautés religieuses de migrants qui visitent d’abord à cause d’une solidarité culturelle ou nationale avec le détenu, en réponse à une demande de la famille
L’étude de Brigitte Knobel a été financée par le Fonds national suisse dans le cadre du PNR 58, une recherche intitulée « Collectivités religieuses, Etat et société ».
Serge Carrel
Plus d’infos sur le PNR 58.