Je pousse la lourde porte du numéro 9 pour m'avancer dans un sombre couloir au bout duquel je distingue la lumière, traversant un plafond de verre. Je monte alors l'escalier en colimaçon qui me mène à son appartement. Alors que je frappe, un chien aboie derrière la porte puis Corinne, 41 ans, m'ouvre et m'invite à entrer. On se salue et je m'assieds en face d'elle. « C'est drôle que tu veuilles que nous parlions de mon histoire maintenant, m'avoue-t-elle. Justement, j'y ai repensé ces jours-ci et je l'ai même mis pour la première fois par écrit. »
Les murs sont remplis de versets bibliques, écrits par elle-même ou issus de petits calendriers. Corinne se plonge alors dans ses souvenirs. « Le début de mon cheminement avec Dieu remonte à décembre 2000. » Elle se trouvait chez elle et n'arrivait pas à dormir. Pour cause : poly-toxicomane, elle ne possédait plus aucune drogue, ni tranquillisant ou alcool. « Faire la tournée des bars pour trouver des gens qui me paient des verres ne me motivait pas ce soir-là ! » Elle s'est attablée à sa « petite table d'écriture » et a décidé de coucher des mots sur le papier « pour vomir toute la rage et la moquerie que m'inspiraient cette saleté de vie et d'humanité. » En saisissant son stylo, elle sent un souffle la pénétrer de la tête jusqu'aux pieds, son corps se met à trembler d'avant en arrière, de plus en plus violemment. Son bras se plaque sur la feuille et sa main se met à écrire toute seule. « Je me sentais très mal, prise en otage par une force étrangère. Ce n'était pas Dieu, j'en suis sûre. » Pourtant, le dernier mot qu'elle note est le suivant : « Amen. » Celui-ci lui rappelle immédiatement le Notre-Père qu'elle avait appris, petite, au catéchisme. « Je me suis alors dit que Dieu m'avait parlé. » Et telle une confirmation, « j'ai ressenti un puissant sentiment de bonheur et de délivrance et je me suis mise à pleurer de joie, sans savoir pourquoi. » A cet instant, elle voit, en vision, une porte. Une immense lumière passe par son entrebâillement. « Je ne comprenais pas le sens de tout cela, mais je savais que la réponse à toutes mes questions sur le sens de l'existence se trouvait derrière cette porte. »
Décompensation psychotique
A ce stade malheureusement, le sentiment de bonheur ne dure que peu de temps. Corinne traverse une période très difficile : elle n'a en tête que des pensées noires. « Je me sentais prisonnière du diable ; toute puissante, et l'instant d'après, je tombais à terre, sans force. » Elle a l'impression qu'on lui enlève son souffle. « J'ai vraiment cru que j'allais mourir. » Lorsque sa mère la voit ainsi, elle est effrayée. Les psychiatres diagnostiquent une « décompensation psychotique » à laquelle ils ajoutent l'élément « mystique. » En effet, consciente que ce qui lui arrive la dépasse, Corinne se promène tout le temps, à ce moment-là, avec une Bible en main. Elle finit par intégrer un hôpital psychiatrique dans lequel elle restera quatre mois. En arrivant dans l'établissement, les médecins lui posent des questions. Mais Corinne est incapable de répondre... pourtant une voix sort bel et bien de sa bouche, mais ce n'est pas la sienne ! « Je me sentais enfermée à l'intérieur de moi-même, sans rien pouvoir faire. » Un jour, une connaissance lui rend visite et l'oriente vers un couple de chrétiens, James et Ginette, responsables d'une cellule de prière. A sa sortie de l'hôpital, Corinne se joint à eux. « Je me suis dit qu'au point où j'en étais, je n'avais rien de mieux à faire ! »
« Dieu et le diable se battent pour ton âme », lui lance un jour James. Corinne est « flattée d'être l'objet d'une guerre cosmique. » Mais en lectrice parfaitement assidue de Nietzche et Sartre, elle ne peut se résoudre à cette explication, malgré les diverses délivrances vécues récemment au sein de la cellule de prière. Durant une année, elle effectue une cure de désintoxication, prêche l'Evangile, lit sa Bible : « J'étais presque une nonne », plaisante-t-elle. Mais elle ne se sent pas remplie de vie comme elle aurait dû l'être. « Dieu semblait ne pas s'intéresser à moi, j'avais l'impression de prier dans le vide et ma lecture de la Bible était aride. » Et surtout, Dieu ne « répondait pas » à sa prière la plus fervente : la rendre capable d'aimer ses semblables. Fatiguée de « donner sans rien recevoir », elle lâche Dieu pour retourner à ses anciennes habitudes. « Je savais que je me mentais. Mais c'était plus confortable que d'admettre l'existence de Dieu... et du diable. »
Tentative de suicide
En 2002, Corinne tente même de se suicider en s'ouvrant les veines. Trois heures plus tard, toujours vivante et ensanglantée, elle appelle les urgences. Les ambulanciers lui apprennent qu'elle aurait pu attendre longtemps à se vider de son sang, car elle s'était ouverte dans le mauvais sens pour espérer mourir tout de suite.
Finalement, il y a huit ans, Corinne crie à Dieu dans sa souffrance. Dans sa cuisine, elle sent à nouveau une force qui la paralyse, de la même manière que cinq ans en arrière. Mais soudainement, elle ressent la présence de Dieu l'entourer, plus forte que celle de son ennemi. Elle entend une voix derrière elle : « Viens. » Elle se retourne, personne. « C'était Jésus, sa voix était incroyablement tendre, je n'en avais jamais entendu de pareille. » Elle est alors poussée à se rendre dans son salon, où une Bible l'attend sur la table basse, ouverte à la page du chapitre 57 du prophète Esaïe. « Je ne sais pas comment cette Bible est arrivée ici ! Je ne l'avais pas sortie de l'armoire, bien cachée, depuis des années ! », confie-t-elle. Mais à ce stade, Corinne peine encore : « J'avais rencontré Dieu mais je refusais toujours de me soumettre à lui. »
Ce ne sera que quelques mois plus tard, lors de la visite de deux connaissances chrétiennes qui priaient pour elle, que Corinne accepte de « choisir son camp » : « Je comprenais enfin que Jésus était vivant et à quel point il avait souffert par amour pour moi, pour me libérer du péché. » Elle comprend alors qu'Il est la porte, celle qu'elle avait vue cinq ans auparavant, derrière laquelle se trouvent les réponses à toutes ses questions. « Aujourd'hui, la vision de cette porte entrouverte sur la gloire de Dieu m'habite tous les jours. Elle me rappelle de tourner mon regard vers l'éternité et non vers les choses de ce monde. » Elle intègre ensuite une Eglise évangélique à Nyon dans laquelle elle expérimente la guérison dans le domaine relationnel. « J'ai eu l'impression de rentrer à la maison. »
Corinne est encore aujourd'hui au bénéfice de l'Assurance Invalidité (AI). Même si elle ne ressent plus les tentations du passé, être en contact continu avec du monde la place en situation délicate : « Le travail génère un certain stress qui me fragilise, en rentrant le soir à la maison, notamment vis-à-vis de l'alcool. » Cela ne semble pas la paralyser pour autant : Corinne est ravie de profiter de son temps libre pour prier, seule ou accompagnée, et lire la Bible.
Joëlle Misson