Parole faible contre images fortes – par Henri Bacher

mardi 22 février 2011
Parole faible contre images fortes : tel est le dilemme qui se présente parfois au chrétien. Que vaut une parole même biblique contre la force des images ?
Le point de départ
Longtemps je me suis posé la question suivante: pourquoi les auteurs bibliques accentuent-ils tellement la notion de parole ? Etait-ce uniquement pour respecter le deuxième commandement ? L'autre aspect qui m'intriguait, c'est l'insistance de Dieu à se cacher. « Jusqu'à quand, Eternel, te cacheras-tu sans cesse » (Ps. 89:47). Donc, à ne pas se « visualiser ». Même Elie le prophète, n'a pas eu le privilège de le voir. Il l'a entendu, il a senti son souffle, mais la vue de Dieu lui a été impossible. D'ailleurs quiconque le voit ne peut vivre (Ex.33:20). Pourquoi ce mystère autour de la personne visible de Dieu, alors qu'un jour, nous le verrons de nos propres yeux, lors de l'avènement du Christ ? Il doit y avoir une intention très précise, de la part de Dieu, pour ainsi se « dérober » à nos yeux. Voilà le point de départ de ma réflexion biblique.
 
Des images fortes
C'est en pensant à la transfiguration du Christ que mon investigation a réellement avancé. Dans ce passage, où l'aspect visuel revêt une importance aussi grande que le message parlé, le Christ est présenté, non comme le Sauveur, mais comme le Seigneur du monde : « Voici mon Fils bien-aimé... ». Les disciples sont saisis d'un immense respect et d'une attitude de crainte qu'ils n'avaient pas, dans la vie de tous les jours, avec leur maître. On se rend compte que Pierre, Jacques et Jean, à ce moment-là, étaient vraiment sous une très forte pression émotionnelle et psychologique. On les sent prêts à tout, pour prolonger ce formidable rendez-vous. En réalité, les trois compagnons du Christ n'ont pas le choix. Que peuvent-ils opposer comme arguments face à cette formidable « machine » divine ? Il ne leur reste qu'à accepter. Il y a là une évidence. Ce qui amène à une première conclusion. Dès que Dieu lève le voile de sa divinité et laisse entrevoir (dans le sens de voir), ne serait-ce qu'une infime partie de sa personnalité, notre champ de liberté se rétrécit. Dieu s'impose. C'est ce qui se passera lors du retour du Christ. Tout le monde le verra et personne n'aura plus le choix de croire ou de ne pas croire: il sera évident que le Christ est Fils de Dieu. Il ne reviendra pas en Sauveur, pour se proposer, mais en Seigneur pour régner, pour s'imposer. Il sera trop tard pour choisir dans la liberté... et la tranquillité d'esprit. Cela explique tout simplement la notion de jugement. Les gens eux-mêmes se rendront compte qu'ils se sont trompés et qu'il faudra accepter la situation telle qu'elle se présente. Pensez-vous qu'une relation d'amour puisse naître d'une imposition ? Ce sera bien là le drame ! Dieu ne veut pas nous « enfermer » dans un paradis malgré nous, aussi beau soit-il ! Les cages dorées, cela existe ! On peut aller plus loin et dire que la majorité des événements « extra-normaux » liés au visuel, à la vue, dans la Bible, manifestent la sainteté de Dieu, son caractère d'autorité. On a l'impression de ne pas pouvoir lui échapper. Regardez les apparitions ou même les visions qu'ont reçues Esaïe ou d'autres prophètes. Les participants de ces « événements », en premier lieu visuel, sont parfois saisis d'effroi et développent un fort sentiment de crainte et de respect.
 
La difficulté d’être Dieu sur terre
Il faudra donc que Dieu se rende faible pour conquérir le cœur de l'homme. Il ne pourra guère venir avec des armadas d'anges pour convertir ses créatures. Ce n'est pas un conquistador en mal de territoire, mais un amoureux qui cherche à se faire aimer. Il ne peut pas en jeter plein la vue aux hommes: pensez donc, il n'aurait que des groupies, au lieu de vis-à-vis. Même lorsque le Christ s'est incarné il n'a pas revêtu, en premier lieu sa stature de Dieu. Il était homme-Dieu parmi les hommes et non pas Dieu parmi les hommes. Sa nature divine, il ne l'a pas manifestée corporellement (sauf lors de la transfiguration ou de la résurrection). Par son comportement, son amour, sa fidélité, son esprit de service... et ses miracles, il a levé d'une certaine manière le voile, il a fait « voir » la puissance de Dieu, mais en aucun cas il n'a endossé le personnage d'un « Rambo » divin : rôle que d'ailleurs le diable voulait lui faire jouer lors de la tentation : de quoi soulever les foules mieux qu'en 3D !
 
Une parole faible
D'habitude on présente la Parole de Dieu comme la puissance même. Le croyant se réfère volontiers à la création du monde pour illustrer cette pensée-là: Dieu dit et la lumière fut ! On a parfois l'impression que cette parole, et par extension le texte sacré qui la véhicule, est purement un acte de type magique, qui agit d'une façon indépendante, détaché de l'auteur de cette parole. Il faut la relier à toute la personne de Dieu, au Dieu trinitaire. Elle n'est que le prolongement de l'être intérieur de Dieu. C'est cela qui lui donne autorité, puissance et efficacité, sinon elle resterait souffle. Si Dieu se cache, ce n'est pas pour rendre la parole indépendante de sa personne, mais pour en couper l'effet autoritaire. Imaginez une mère de famille qui appelle son fils du fond de l'appartement et ne se donne jamais la peine de se déplacer pour faire exécuter ses ordres. Très rapidement le gamin ne la prendra plus au sérieux et n'en fera qu'à sa tête. La présence physique est très importante pour appuyer une parole. Pourtant, paradoxalement Dieu préfère appeler « du fond de l'appartement » ! Les paraboles du Christ, le présente d'ailleurs, plusieurs fois comme un propriétaire en voyage. Parti ! Mais imaginez un enfant qui obéit chaque fois, à sa mère, sans que celle-ci ait besoin de montrer les dents au sens propre comme au figuré. Quelle belle relation !
 
La parole salutaire
Ce qui veut dire que la parole est liée au salut. Elle nous offre suffisamment d'espace de liberté pour la questionner, la jauger, pour hésiter, pour douter d'elle. Le jour où on lui fait confiance, elle nous connectera avec son auteur et nous commencerons à cultiver une relation choisie par nous-mêmes et que personne ne nous aura imposée. Nous n'aurons pas été colonisés, mis à genoux par un conquérant, mais « conquis » par une personne qui nous respecte tellement qu'elle est prête à partir en voyage pour ne pas nous casser les pieds. Avec un Dieu pareil, on est prêt à vivre l'Eternité. Prévert avait raison en écrivant, même s'il ne l'entendait pas de cette façon-là : « Notre Père qui es aux cieux... restes-y ! » Parce que s'il descendait autrement qu'en nouveau-né ou en charpentier, il y a belle lurette que le monde entier serait sous sa gouverne !
 
Les applications
Le monde des images, de par sa nature même, a toujours tendance à vouloir être spectaculaire (dans le sens de s'offrir en spectacle). Il veut impressionner avant de convaincre. L'écrit nous renvoie à nous-mêmes et l'audiovisuel nous propulse à l'extérieur. Alors que le livre atteignait bien des millions de lecteurs, on ne l'a jamais qualifié de produit de masse. Ce qui n'est pas le cas des media. Le monde des images se lie donc irrémédiablement à la notion de diffusion de masse. Ce qui n'est pas sans conséquence dans nos pratiques ecclésiastiques. Si nous voulons évangéliser et nous situer du côté de la culture dominante, nous n'avons pas le choix: il faudra penser masse ! Or, le travail avec un public est déjà une image en soi. Un stade rempli à ras bord impressionne et donne une image percutante. Nous serions donc tentés de produire ce genre de représentations pour convaincre, pour éblouir et entrer dans cette logique des mass-médias. Mis à part les grandes manifestations, nous pourrions avoir tendance à vouloir tellement « enrober », subjuguer les spectateurs par nos présentations, toutes plus esthétiques les unes que les autres, que ceux-ci n'auraient aucun espace de liberté pour répondre à nos propositions. Comment un adolescent peut-il refuser l'appel d'un chanteur « auréolé » de lumière et de son, accompagné sur scène de jolies femmes et d'une impressionnante sono ? Ce n'est plus du domaine de la parole, c'est le règne de l'image. Alors comment appliquer cette communication « pauvre » qu'est la parole ? En tout cas, il faudrait aménager une sorte de « sas » entre le spectacle et l'appel. Laisser le temps au spectateur de récupérer ses émotions, le ramener sur le terrain de la parole (pas sur le terrain de l'écrit). Dans l'Evangile, le Christ nous donne un exemple concret pour ce genre de pratique. Avec la multiplication des pains, Jésus a usé de « l'image ». Il a fait un miracle qui a d'abord touché les émotions des gens. Le résultat était à la hauteur du « spectacle », on a voulu le faire roi ! A ce moment-là, il aurait pu « faire » plusieurs milliers de disciples ! Il a préféré fuir la foule... et les impacts des images fortes. C'est seulement le lendemain qu'il a repris la notion du pain de vie dans un dialogue avec ses auditeurs et a fait l'application du miracle de la veille (Jean 6). Pour un résultat bien maigre ! L'échange a plutôt dégénéré, à tel point qu'il a demandé à ses disciples s'ils voulaient encore le suivre. Le Christ a besoin de vrais disciples, pas de spectateurs conquis par la force des images et qui vont le quitter dès qu'elles deviennent négatives.
Henri Bacher

Publicité

Twitter - Actu évangélique

Journal Vivre

Opinion

Opinion

TheoTV (mercredi 20h)

20 janvier

  • «La terre, mon amie» avec Roger Zürcher (Ciel! Mon info)
  • «Repenser la politique» avec Nicolas Suter (One’Talk)

27 janvier

  • «La méditation contemplative» avec Jane Maire
  • «Vivre en solobataire» avec Sylvette Huguenin (One’Talk)

TheoTV en direct

myfreelife.ch

  • « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    Ven 03 novembre 2023

    Il y a quelques années, un trafic d’enfants proposés à l’adoption à des couples suisses secouait l’actualité. Sélina Imhoff, 38 ans, pasteure dans l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin, en a été victime. Elle témoigne avoir appris à accepter et à avancer, avec ses fissures, par la foi. Et se sentir proche du Christ né, comme elle, dans des conditions indignes. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Des choix porteurs de vie

    Ven 22 septembre 2023

    Abandonner la voiture et emménager dans une coopérative d’habitation ?... Deux couples de l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin ont fait ces choix qu’ils estiment porteurs de vie. « Le rythme plus lent du vélo a vraiment du sens pour moi », témoigne Thiéry Terraz, qui travaille pour l’antenne genevoise de Jeunesse en mission. « Je trouve dans le partage avec mes voisins ce que je veux vivre dans ma foi », lui fait écho Lorraine Félix, enseignante. Rencontres croisées. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Jeu 15 juin 2023

    Vivian symbolise l’espoir pour tous ceux que la vie malmène. Aujourd’hui, cette trentenaire tanzanienne collabore comme assistante de direction au siège de Compassion à Arusha, en Tanzanie. Mais son parcours de vie avait bien mal débuté… Nous avons rencontré Vivian au bureau suisse de l’ONG à Yverdon, lors de sa visite en mars dernier. Témoignage.

  • Une expérience tchadienne « qui ouvre les yeux »

    Ven 20 janvier 2023

    Elle a 19 ans, étudie la psychologie à l’Université de Lausanne, et vient de faire un mois de bénévolat auprès de jeunes de la rue à N’Djaména. Tamara Furter, de l’Eglise évangélique La Chapelle (FREE) au Brassus, a découvert que l’on peut être fort et joyeux dans la précarité.

eglisesfree.ch

  • Un·e responsable des finances (10%)

    Lun 29 janvier 2024

    Plus grande fédération d’Eglises évangéliques en Suisse romande, la FREE offre un cadre de travail dynamique et défiant, en lien étroit avec les autres acteurs du milieu chrétien évangélique romand, suisse et international. Dans ce cadre, la FREE recherche un·e responsable des finances.

  • Rencontre générale : une fédération utile

    Mer 29 novembre 2023

    La Rencontre générale du 25 novembre 2023 a permis de remercier Stéphane Bossel pour 23 ans d’engagements divers et importants dans la FREE. Elle a aussi permis à l’équipe de direction de partager quelques priorités, notamment le sens, les valeurs et la plus-value que la FREE peut offrir aux Eglises.

  • Rencontre générale de la FREE : l’équipe de direction souffle sa première bougie

    Sam 08 avril 2023

    La Rencontre générale de la FREE, qui a eu lieu le 1er avril 2023 à Aigle, a permis à la nouvelle équipe de direction de dresser un bilan, après tout juste une année de fonctionnement. Et ce qui saute aux yeux, c’est le grand nombre des défis à relever.

  • FREE : une première « Journée stratégique »

    Ven 03 février 2023

    Les personnes qui exercent un rôle dans la FREE se sont réunies en janvier pour réfléchir à la mise en œuvre de la nouvelle « gouvernance à autorité distribuée » (1). Retour sur une « Journée stratégique » conviviale et studieuse.

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !