Deux agriculteurs face au réchauffement

Deux agriculteurs face au réchauffement
28 avril 2023

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Rencontre avec deux agriculteurs chrétiens de Suisse romande qui s’adaptent déjà au réchauffement climatique. Pour eux, le défi qui est posé à notre société est à la fois climatique et spirituel.

Marc-Antoine Bigler est agriculteur à Martherenges, près de Moudon. Marié, père de trois enfants adultes, membre de l’Eglise évangélique d’Echallens (FREE), il constate que le réchauffement climatique modifie ses conditions de travail : « Les extrêmes sont plus marqués que par le passé. Ainsi, l’année 2022 a connu une forte sécheresse, alors que l’année 2021 était vraiment trop humide. Quant aux averses de grêle, elle sont plus fréquentes, et les grêlons sont plus gros et destructeurs ». Marc-Antoine Bigler mentionne aussi les moissons qui, cette année, ont eu lieu beaucoup plus tôt que d’habitude, et certaines plantes fleurissaient déjà comme au printemps, en cet automne 2022 trop chaud.

Du coup, l’agriculteur de Martherenges doit s’adapter. Cette année, il a acheté pour cinq mille francs de fourrage. Il a mis à jour ses assurances en y ajoutant des risques liés à la sécheresse. Il prévoit aussi de stocker plus de semences et d’augmenter sa surface fourragère. Le sorgo, une plante d’origine africaine, commence à être utilisé dans nos régions. A l’avenir, il pourrait faire partie de l’alimentation de son bétail.

Les signes d’un problème spirituel

Mais, pour l’agriculteur de Martherenges, le réchauffement climatique et ses conséquences ne sont pas les problèmes les plus inquiétants. Il explique : « Nous allons nous adapter au réchauffement. Du reste, les humains ont déjà connu des périodes chaudes par le passé. Par exemple, en 218 avant Jésus-Christ, durant l’Optimum climatique romain, Hannibal a pu traverser les Alpes avec ses éléphants. Ce qui m’inquiète plus, c’est l’abandon des valeurs chrétiennes de notre pays. La crise climatique qui arrive doit nous conduire à réfléchir à notre relation avec Dieu. »

Christian Rüfenacht, agriculteur à Longirod (district de Nyon), marié et père de quatre enfants adultes, constate également que les changements liés au réchauffement sont déjà perceptibles : « Depuis plusieurs décennies, je constate que notre région est plus sèche. Cette année, nous avons subi deux sécheresses, d’abord au printemps, puis en été ». Prévoyant, Christian Rüfenacht se maintient au dessous de son quota d’élevage de vaches. Il ne veut pas prendre le risque de manquer de fourrage pour les nourrir.

Il constate aussi que, depuis les années 2000, de nouvelles maladies font leur apparition. Par exemple, les grandes chaleurs favorisent le développement de la Kératoconjonctivite infectieuse bovine, une infection des yeux qui provoque la cécité.

Comme son collègue de Martherenges, Christian Rüfenacht pense que les conséquences du réchauffement climatique doivent nous interpeller sur le plan spirituel : « Il faudrait commencer à comprendre qui a créé la terre, comment cela fonctionne avec le Créateur. Actuellement, les choses vont bien. L’état dédommage les agriculteurs pour certains manque à gagner. Les clients payent des prix inférieurs aux prix justes. Mais il pourrait bien advenir une époque durant laquelle la multiplication des catastrophes engendrera des difficultés importantes… mais probablement aussi une soif de Dieu dans la population ».

La Suisse ne produit que la moitié de ce qu’elle mange

Pour Marc-Antoine Bigler, la politique agricole de la Suisse n’est pas assez attentive à la constante diminution de l’auto-approvisionnement de notre pays : « Cette année, au début juillet, les habitants de la Suisse avaient mangé tout ce que le pays est capables de produire. Cela signifie que, durant six mois, nous dépendons complètement de l’étranger pour nous nourrir. Durant ces quarante dernières années, la population de la Suisse a doublé, tandis que les surfaces agricoles ont diminué. Nous allons donc forcément vers des problèmes ». Et il ajoute que, dans notre monde qui change, deux choses n’ont pas changé : les gens continuent de se taper dessus et ils continuent de manger des produits de la terre.

Marc-Antoine Bigler constate aussi que la population suisse est assez déconnectée des réalités de l’agriculture. Elle veut des prix bas, mais aussi une agriculture extrêmement respectueuse de la nature, ce qui fait nécessairement baisser les rendements et monter les prix. « Et la ‘vague verte’ ne nous a pas apporté beaucoup de solutions concrètes. Beaucoup, sans le savoir, rêvent d’une agriculture qui ressemble à celle que pratiquaient nos grands-parents – et les faibles rendements qui vont avec –, mais pour nourrir une populations bien plus grande. »

Pour l’agriculteur de Martherenges, les Eglises ont un rôle à jouer dans les débats de sociétés qui concernent l’agriculture : « Je suis persuadé que les chrétiens et les Eglises ont une place à prendre, un rôle à jouer dans les temps difficiles qui sont devant nous ».

« Prière et réserves », pour un minimum de prévoyance

Ils sont une vingtaine, âgés de 30 à 60 ans. Ils font partie de l’Eglise évangélique d’Echallens (FREE) et exercent différents métiers : ingénieur, agriculteur, enseignant… Ces chrétiens se retrouvent régulièrement au sein d’un groupe nommé « Prières et réserves », afin de prier et de réfléchir à l’avenir. « Il ne s’agit surtout pas d’un groupe survivaliste, insiste Marc-Antoine Bigler, agriculteur à Martherenges. Nous ne faisons pas de réserves de guerre pour nous-mêmes. Nous réfléchissons à la manière de se préparer à un avenir incertain, tout en ayant la capacité d’aider nos voisins dans le besoin. »

Pour Marc-Antoine Bigler, il s’agit de faire preuve de bon sens : développer un mode de vie plus prévoyants « à la manière de nos grands-parents et selon les recommandations de la Confédération », prévoir par exemple quelques réserves d’eau et de nourriture, planter un jardin potager et quelques arbres fruitiers lorsque cela est possible, élever des poules, confectionner quelques conserves… Certains agriculteurs, se sont organisés pour stocker une réserve de blé.

« Nos rencontres sont relativement informelles, souligne Marc-Antoine Bigler. Nous partageons des astuces et développons un savoir-faire. » Cela dit, pour les membres du groupe « Prière et réserves », les chrétiens ne doivent pas limiter leur réflexion à des questions de logistique.

« Nous avons rapidement pris conscience que notre confiance ne devait pas être placée seulement dans nos quelques réserves, mais que nous devions parallèlement nous enraciner encore plus en Dieu, explique Marc-Antoine Bigler. Cela nous permettra de tenir ferme dans l’adversité. »

Un créneau : la viande « bio »

Jean-Marc Rüfenacht achète des veaux à son père Christian et commercialise leur viande « bio » sur les marchés de Lausanne (Palud, St-François), de Morges et de Prilly (www.cieletherbe.ch). Elevées seulement avec de l’herbe, les veaux ne sont pas « boostées » par des compléments alimentaires à base de soja. A Lausanne, c’est la municipalité qui a demandé à l’agriculteur de venir vendre sa viande bio au marché. Et les clients viennent et payent le prix juste.