Dans le journal qu'elle a tenu de 1941 à 1943, Etty Hillesum s'est dite incapable de relier le ciel et la terre. « Or c'est ce qu'elle a parfaitement réussi à faire, s'exclame à Paris l'écrivain et scénariste Didier Decoin1. Elle l'a fait en mettant de la transcendance dans la boue, dans tout ce qui est répugnant à nos yeux. C'est cette façon de verticaliser le monde qui est rare et qui me fascine chez elle. »
L'auteur français ajoute avoir toujours préféré la poutre verticale de la croix à celle horizontale : « Il faut lever la tête ! » Et de mentionner la manie d'Etty de tomber à genoux très souvent, même si elle trouvait au départ cette attitude anormale pour l'être humain. « Mais plus tard c'était devenu presque automatique chez elle, parce qu'elle disait que cela lui permettait de lever la tête vers Dieu. »
Pour l'auteur français, la jeune femme est une « fille des Béatitudes », qui ose dire qu'elle souffre mais qu'elle est bienheureuse : « Non pas parce qu'elle souffre, mais parce qu'il y a autre chose que la souffrance qui existe et qui est la splendeur, la fulgurance de la vie. »
Spirale de restrictions et persécutions
Née en 1914 aux Pays-Bas, Etty Hillesum commence à tenir son journal sous l'influence de son thérapeute, ami et amant Julius Spier. Elle y relate la spirale des restrictions des droits et des persécutions qui amènent en masse les juifs néerlandais vers les camps de transit, puis vers la mort en déportation. Confrontée à l'épreuve nazie, elle découvre ce qu'elle appelle Dieu : non pas une croyance oubliée ou un concept théologique, mais une réalité intérieure qui l'emplit de joie.
Fragile et insatisfaite au début de son itinéraire, elle entreprend en fait une démarche d'introspection qui lui fait dire notamment qu'il y a en elle un puits très profond : « Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois, je parviens à l'atteindre. Mais le plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits et Dieu est enseveli. Alors il faut le mettre au jour. » Au fil de ses écrits, elle rend compte de son cheminement spirituel qui la rapproche du don absolu de soi, tout en gardant un formidable amour de la vie.
« Il y a plus que l'espoir »
Ni juive pratiquante, ni chrétienne confessante, Etty Hillesum échappe à tout dogme et à toute institution. Pour Didier Decoin, l'actualité de son message est ainsi double. La première est, selon lui, qu'il n'y a pas forcément un système religieux « plus vrai » qu'un autre ; « et dans notre époque de formidable intolérance interreligieuse, c'est intéressant ! » La deuxième « qui devrait résonner dans notre temps qui est douloureux », c'est de dire que même dans la souffrance, il y a plus que l'espoir : il y a déjà la joie, et la joie que l'on peut trouver dans l'ici et le maintenant. « Etty a confirmé une chose à laquelle je crois, c'est la surpuissance de la joie, déclare Didier Decoin. J'ai toujours pensé que si Dieu était celui qu'il prétend être, que si la Résurrection était vraie et que si la promesse de la vie éternelle était solide, cela ne pouvait pas être quelque chose de triste. Sa relation à Dieu ne pouvait en aucun cas être un machin sinistre où on pleure et où on 'fait la gueule' ! Etty est venue conforter cela. »
Gabrielle Desarzens
« Etty Hillesum, la liberté retrouvée », tous les jours à 16h30 dans l'émission A vue d'Esprit sur RTS Espace 2 du 27 au 31 janvier, avec Didier Decoin, le pasteur et aumônier Christian Vez et le jésuite Beat Altenbach. Ecouter les émissions.