« Seigneur, nous te prions de bénir les gens qui boiront ce café. Qu’ils puissent au travers de son arôme découvrir quelque chose de ta grandeur ! » Le sous-sol de la maison qui abrite l’association Tierra Nueva à Burlington dans l’Etat de Washington aux Etats-Unis, est une ruche grouillante, ce vendredi matin-là.
Zach, Julio, Shane et les autres
Il y a Zach. La quarantaine. Pas loin de deux mètres, en short, la tête rasée et le corps couvert de tatouages. Manifestement, c’est lui qui dirige la manœuvre. Il y a aussi Julio, un Latino, qui prépare les paquets pour emballer la marchandise. Il y a Charles, un peu frêle, le dos voûté, un bonnet en permanence enfoncé sur la tête, prêt à coller les étiquettes sur les paquets de Julio. Il y a aussi Shane. Assis derrière un ordinateur, il prépare le programme qui va minuter et gérer la torréfaction… L’équipe est là, prête à démarrer dès la fin du moment de prière.
« Au début, nous mettons les grains froids et durs dans le réservoir du torréfacteur », explique Zach dont le cou tatoué proclame : « Jésus est Seigneur ! » « Puis ces grains vont être chauffés, se transformer de l’intérieur et distiller une odeur et un arôme extraordinaire. C’est un peu comme pour les gens qui viennent ici torréfier le café, ils arrivent froids et durs, et ils sont renouvelés par l’amour et le feu de Jésus-Christ partagés dans notre sous-sol. »
« Jesus Freak »
Zach n’est pas un nouveau dans l’association Tierry Nueva. Il fait même partie de l’équipe de responsables depuis quelques années. Cet homme aux poignets qui, mis côte à côte, proclament : « Jesus Freak » (Obsédé par Jésus), consommait de l’héroïne, de la cocaïne et des amphétamines à 17 ans. Il a passé une bonne partie de sa vie en prison. « Lorsque j’ai été incarcéré à la prison de la région, raconte-t-il, je suis allé à l’étude biblique que Bob Ekblad proposait derrière les barreaux. J’ai été intéressé par la manière dont ce pasteur cherchait à entrer en relation avec nous. La plupart des personnes qui nous rendaient visite souhaitaient passer leur message et, vu que le temps est limité, ne nous demandaient jamais de nous exprimer. » Alors qu’il ne parle pas l’espagnol, Zach s’inscrit à l’étude des hispanophones, histoire de déclencher des bagarres, « parce que j’étais un skinhead raciste », souligne-t-il. Un jour, à la fin d’une des études bibliques, Bob Ekblad demande aux prisonniers quelles conséquences tirer de ce qui été dit. Sans avoir compris quoi que ce soit aux propos du pasteur, Zach lâche : « J’aimerais que l’on prie pour ce gars là-bas ! » Il pointe son doigt sur le plus « balaise » des hispanophones présents. Cette manœuvre perçue comme une provocation par les participants, devait, selon Zach, déclencher une bagarre.
Le pasteur Ekblad demande alors aux deux hommes de s’approcher. Il pose une main sur chacun d’eux et demande à Dieu de les guérir de ce dont ils souffrent. « J’avais une maladie du foie et mes mains enflaient tous les jours au point que je ne parvenais plus à les fermer, explique Zach. Après que le pasteur Bob a prié pour moi, le Saint-Esprit a guéri mes mains et mes enflures. Et il a aussi guéri le foie de mon codétenu. Cet exaucement de prière a créé en moi le désir d’en savoir davantage. Je suis donc revenu aux études bibliques ! »
La première fournée de grains de café est maintenant torréfiée. Il s’agit de la faire tomber sur un tamis et de veiller à ce que tous les grains aient bien été torréfiés. Zach remue les grains, extrait ceux qui ne sont pas brun foncé, puis, à l’aide d’une sorte d’épuisette, remplit des caisses en plastic qui vont contenir le précieux granulé.
Julio, le Latino chef de gang
Chaque caisse passe alors aux mains de Julio qui remplit la septantaine de sachets de café à envoyer aux abonnés du service : Undergroud Coffee Project. Julio, la quarantaine, est arrivé voilà 14 mois à Tierra Nueva, même si cela fait longtemps qu’il est en contact avec le ministère de cette association. Il dort sur un canapé à l’entrée du bâtiment. « Je veux être disponible jour et nuit pour les gens qui viennent demander de l’aide », explique-t-il. Et certains viennent à deux ou trois heures du matin pour une aide d’urgence et être emmenés à l’hôpital, ou pour une présence dans une nuit habitée par la solitude. Julio, le membre de gangs, l’hyper-violent, a fait du verset 3 du Psaume 84 la justification de sa présence sur le seuil de Tierra Nueva : « Je languis et je soupire après tes parvis, Eternel. » « Parce que Jésus m’a changé, relève-t-il. Il a fait de moi une personne capable d’émotions, capable de ressentir de la compassion pour autrui. »
Il est 10h20. La torréfaction bat son plein dans les sous-sols de Tierra Nueva. Quelqu’un descend les escaliers. C’est Bob Ekblad, le pasteur et fondateur de cette œuvre pour ex-taulards et immigrés illégaux. Il vient saluer l’équipe à l’œuvre. Les accolades sont de rigueur.
« Au travers de mes études bibliques en prison, explique Bob Ekblad, j’essaie de montrer aux détenus que Dieu est présent dans nos ténèbres. De plus en Christ, Dieu est venu pour sauver les pécheurs ! » Pour ce pasteur formé en France à la Faculté de théologie protestante de Montpellier et docteur en Ancien Testament, il y a là un renversement fondamental à opérer dans notre lecture de la Bible : se mettre dans les pas de Jésus pour rencontrer chacun comme Jésus a rencontré les gens qu’il croisait. Sans a priori. Sans préjugés. Avec cette fraîcheur de voir Dieu agir dans des vies « malades ». Voilà 20 ans que ce pasteur pratique ce genre d’études bibliques avec les prisonniers de la région de Burlington. « J’ai vu beaucoup de gens venir à la foi au travers de ces études, commente-il. Mais ces gens n’étaient pas libérés de leurs addictions ou de leurs comportements douteux. » Ce manque de fécondité dans son ministère d’aumônier a conduit Bob Ekblad à une crise importante : « L’Evangile que je prêchais ne paraissait pas très puissant pour sauver », relève-il.
Une expérience charismatique qui donne un nouvel élan
La conversion de son frère, alors toxicomane, dans les milieux charismatiques américains, amène ce pasteur à participer à une rencontre de la Bénédiction de Toronto au Canada en 2003. Il en revient complètement bouleversé. Il se met à prier pour les malades en prison et voit des guérisons se produire. « En fait ce qui est devenu fondamental dans mon ministère, c’est de tenir en haute estime tant la Parole de Dieu, tant l’Esprit que la justice sociale. Les trois doivent être ensemble pour un ministère fécond auprès des plus pauvres. »
Il est midi. Les senteurs du café torréfié sont extrêmement fortes dans la maison de l’Association Tierra Nueva. Une dame descend quelques marches qui mènent au sous-sol, et annonce que le repas est prêt. L’équipe de torréfaction de l’Underground Coffee Project vient de terminer son travail. Tous les paquets sont dans des caisses, prêts à être livrés à des Eglises qui ont passé commande ou à des particuliers via la poste.
Serge Carrel