Pas de lieux sacrés pour les Eglises missionnelles (3)

lundi 23 juillet 2007

Les Eglises émergentes ou missionnelles sont un phénomène de renouveau dans le christianisme contemporain qui interpelle. Jane Maire, une missionnaire de la Wycliffe, s’y est intéressée à l’occasion d’un congé sabbatique. Elle a discerné 3 caractéristiques propres à ce nouveau mouvement d’Eglises. Elle évoque dans ce troisième article la deuxième : la capacité des Eglises missionnelles à rompre avec une vision dualiste du monde. A lire !

La deuxième caractéristique des Eglises « missionnelles », c’est qu’elles sont messinaniques et non dualistes. Voilà ce que nous avons affirmé dans notre premier article « Les Eglises émergentes ou missionnelles : un phénomène stimulant pour les chrétiens occidentaux » (1). Mais que faut-il entendre par ces deux qualificatifs « messianiques » et « non dualistes » ? En fait, les Eglises missionnelles adoptent une manière de voir le monde qui s’inspire de la culture hébraïque et de la manière dont Jésus voyait le monde. Ces Eglises ne sont pas marquées par le dualisme de la culture greco-romaine. Au lieu de voir le monde comme divisé en deux espaces : le sacré et le profane, elles le voient comme un espace intégré, entièrement marqué par la présence de Dieu. Développons cela quelque peu…

Redécouvrir l’humanité incarnée de Jésus
Notre relation à Dieu s’inspire de la relation de Jésus Christ avec son Père. Cette relation a des conséquences importantes dans notre ecclésiologie et dans notre témoignage. Racontons, comme Jésus l’a fait, l’histoire de Dieu et notre histoire pour rejoindre l’histoire de celui qui ne le connaît pas. Rencontrons notre prochain dans son « voyage » ici-bas, en reconnaissant que nous sommes nous-mêmes en voyage et en recherche. Nous ne connaissons pas tout. Jésus vivait la présence de Dieu partout, et surtout en dehors des lieux religieux. Nous sommes appelés à lui ressembler.

Quelle sorte de sainteté ?
Nous sommes sans doute tous d’accord pour dire que Jésus de Nazareth était un homme saint. Ce qui peut surprendre certains, c’est qu’il était à l’aise dans la compagnie des « mauvais » et des marginalisés. Eux, de leur côté, étaient à l’aise avec lui. Ils étaient carrément attirés par Jésus, tout en reconnaissant en lui un homme entièrement bon. Jésus rayonnait d’une sainteté qui, au lieu d’aliéner, attirait et provoquait un questionnement et une transformation dans la personne rencontrée. Cette sainteté donnait de l’espoir. Avons-nous cette qualité de sainteté, dépourvue de tout jugement des personnes ?
Peut-être qu’une deuxième question peut nous éclairer. Notre sainteté nous permet-elle de prendre plaisir à la vie ? Notre Dieu, est-il un Dieu de plaisirs, comme David semble l’avoir compris au Psaume 16 : 11 : « Il y a abondance de joies devant ta face, des délices éternelles à ta droite » ? Jésus de Nazareth était un homme qui aimait la vie, qui participait pleinement aux réjouissances de son entourage. Personnellement, j’ai dû apprendre à me laisser aller quand je suis avec mes amis, à vraiment participer à notre plaisir et à notre joie, à rire de tout cœur avec eux.

Dieu est déjà là
Proche de cette notion de sainteté, il y a celle des « lieux sacrés ». Cela constitue probablement une de nos « vaches sacrées » ! Il y aurait des lieux où Dieu se trouve et des lieux où il ne se trouverait pas. Nous ne le formulons peut-être pas aussi clairement, mais notre manière de vivre clame cela.
La présence de Dieu est dans le monde par son Esprit, non seulement en moi, temple de Dieu grâce à sa présence, mais aussi chez « les non encore chrétiens ». Notre joie, c’est de les aider à voir que Dieu est déjà à l’œuvre dans leur histoire personnelle. Quand je me trouve avec un de ces amis, Dieu est déjà là. Nous nous trouvons dans un lieu saint. Et cela peut se passer dans un pub, un café ou ailleurs. Même un bar fréquenté par des prostituées ! Avez-vous entendu l’histoire de Tony Campolo, un chrétien, professeur de sociologie ? Je ne sais pas s’il se considère lui-même comme « émergent », mais ce qu’il a fait correspond en tout cas à la pratique de ces Eglises !
Tony était à Hawaï pour donner une conférence. A 2 heures du matin, il n’arrivait pas à s’endormir à cause du décalage horaire. Il avait une petite faim. Il commence à faire le tour du quartier pour trouver quelque chose à manger. Il trouve un seul bar ouvert. Il commande un sandwich et, pendant qu’il attend et observe les autres visiteurs, il se rend compte que ce bar est fréquenté par des prostituées. L’une d’elles, Agnès, annonce à ses amies que le lendemain c’est son anniversaire. Réponse sarcastique de ces dernières : « Quoi ? Tu ne t’attends pas à ce qu’on te fasse un gâteau... »
Quand ces femmes quittent le bar, Tony Campolo demande au tenancier s’il peut organiser une petite fête pour Agnès la nuit suivante. Le tenancier du bar pourrait décorer les lieux et lui, Tony, apporter un gâteau d’anniversaire. Ce qui est fait. Agnès est tellement surprise et touchée qu’elle demande à pouvoir apporter le gâteau chez sa maman pour le lui montrer, avant de revenir le partager avec les gens du bar.
Tony suggère alors qu’ils prient tous ensemble pour Agnès : pour sa vie, pour sa santé et pour qu’elle connaisse la bonté de Dieu. Le tenancier du bar, d’un sourire narquois, demande alors à Tony de quelle Eglise il est membre. A Tony de répondre : « J’appartiens à une Eglise qui prépare des fêtes d’anniversaire pour des prostituées à 3 heures du matin. ». La réponse du tenancier du bar fuse : « Il n’existe pas d’Eglise comme celle-là. Si elle existait, je me serais déjà joint à elle ! »

L’image de la pêche
Les pêcheurs du temps de Jésus, et certains encore aujourd’hui, passent énormément de temps à réparer et à préparer leurs filets. Que représentent ces filets pour nous, si nous effectuons le lien que Jésus a fait au travers de son affirmation : « Je ferai de vous des pêcheurs d’homme » ? Les filets, ne serait-ce pas le réseau de relations et d’amitiés que nous tissons avec ceux qui ne connaissent pas encore Jésus ? Est-ce que ce réseau ne formerait pas le filet dans lequel ces personnes nageraient ?
Cette association nous libère pour regarder d’un œil neuf ces relations, ces contacts et ces amitiés que nous tissons, mais que peut-être nous sous-estimons, ou pour lesquels nous nous disons : « Je ne peux pas faire plus, je n’ai pas le temps ». Un médecin qui va au-delà de la consultation pour aider son patient à trouver l’accompagnement dont il a besoin tisse ce filet. La personne engagée dans les services sociaux, qui essaye de combattre l’injustice qui se passe sur le pas de notre porte, fait de même. Idem pour l’enseignant qui a un contact avec des enfants en difficulté issus de familles éclatées. Nos loisirs nous offrent aussi des lieux pour tisser des relations vraies et pertinentes. Ils nous permettent en même temps de trouver le défoulement dont nous avons besoin.
S’intégrer à des projets de sa localité est aussi un « filet » que l’on peut employer. Ainsi, par nos actions, dans ce partage, nous étendons la rédemption de l’humanité par Dieu. Nos actions parlent plus fort que nos paroles.

L’Eglise, des personnes d’un ensemble centré
Les émergents aiment beaucoup parler de « non encore chrétiens » plutôt que de « non-chrétiens ». Notre terminologie témoigne d’une manière de penser. « Non-chrétien » rend compte du fait qu’il y a ceux du dedans et ceux du dehors, ceux qui appartiennent au groupe et ceux qui n’y appartiennent pas. Cette manière de dire exprime une exclusion, voire une aliénation. « Non encore chrétien » évoque un accueil, de l’espoir et la foi en Dieu. Cette formule ouvre, tandis que la première ferme.
Parlons « ensembles ». Il y a des ensembles fermés, des ensembles flous et des ensembles centrés. Les « ensembles fermés » dans la dynamique des groupes sont en partie définis par leur liste de membres, leurs codes moraux et culturels et leurs convictions fondamentales. Ces groupes sont « entourés » d’une barrière protectrice et exclusive. Au centre ils n’ont pas de définition claire. Les ensembles flous n’ont ni marque limitative à la périphérie, ni définition claire au centre. Ils sont mous et flous partout. Ce sont des gens qui se retrouvent sans but clair. Dans l’histoire d’un groupe, la période « ensemble flou » peut aussi marquer le début ou la fin d’un mouvement.
Les ensembles centrés sont clairement définis en leur centre et sont flous à la périphérie. Les personnes sont définies par rapport à leur distance du centre. L’image qui exprime bien cette réalité, c’est celle de ces grands espaces australiens qui ont des puits attirant le bétail, mais aucune barrière. Tant qu’il y a un puits rempli de bonne eau, le bétail ne s’aventure jamais trop loin. En foi chrétienne, le puits, c’est le centre ferme, clairement défini autour de la personne de Jésus Christ et de quelques croyances fondamentales, centrales, non négociables, fondées sur une haute estime de la Bible. On est tellement content d’avoir trouvé le puits, le centre, qu’on veut en faciliter l’accès à d’autres. On permet aux gens de s’approcher de Jésus, de lieux divers et de distances différentes, et personne n’est jugé comme étant dehors. Il doit donc y avoir des « lieux de recherche » où les gens peuvent poser leurs questions et avancer à leur rythme vers Jésus Christ et nous avec eux. Dans un ensemble centré, on se voit comme des compagnons de voyage.
Personnellement cette approche m’aide à me placer à côté des gens et non pas en face. Je peux admettre mes faiblesses, ce qui me donne l’occasion de mettre en évidence Jésus ! Je n’ai rien à prouver, rien à « atteindre ». Ce qui m’est demandé, c’est d’accompagner et de présenter Jésus aux moments opportuns.

Jane Maire

Note
1) Lire les articles déjà publiés : "Les Eglises émergentes ou missionnelles: un phénomène stimulant pour les chrétiens occidentaux" et "Les Eglises émergentes ou missionnelles: l'incarnation plutôt que l'attraction".

  • Encadré 1:

    Bio express
    Jane Maire travaille depuis de nombreuses années avec Wycliffe, une œuvre missionnaire d’approche holistique qui se consacre particulièrement à la traduction de la Bible et à l’alphabétisation. Avec John, son mari, elle a séjourné en Côte-d’Ivoire pendant 15 ans, avant de s’installer dans la région de Bienne pour y travailler au bureau de Wycliffe en Suisse. Jane et John ont 4 enfants. Jane est passionnée de tennis !

Publicité

Twitter - Actu évangélique

Journal Vivre

Opinion

Opinion

TheoTV (mercredi 20h)

20 janvier

  • «La terre, mon amie» avec Roger Zürcher (Ciel! Mon info)
  • «Repenser la politique» avec Nicolas Suter (One’Talk)

27 janvier

  • «La méditation contemplative» avec Jane Maire
  • «Vivre en solobataire» avec Sylvette Huguenin (One’Talk)

TheoTV en direct

myfreelife.ch

  • « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    Ven 03 novembre 2023

    Il y a quelques années, un trafic d’enfants proposés à l’adoption à des couples suisses secouait l’actualité. Sélina Imhoff, 38 ans, pasteure dans l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin, en a été victime. Elle témoigne avoir appris à accepter et à avancer, avec ses fissures, par la foi. Et se sentir proche du Christ né, comme elle, dans des conditions indignes. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Des choix porteurs de vie

    Ven 22 septembre 2023

    Abandonner la voiture et emménager dans une coopérative d’habitation ?... Deux couples de l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin ont fait ces choix qu’ils estiment porteurs de vie. « Le rythme plus lent du vélo a vraiment du sens pour moi », témoigne Thiéry Terraz, qui travaille pour l’antenne genevoise de Jeunesse en mission. « Je trouve dans le partage avec mes voisins ce que je veux vivre dans ma foi », lui fait écho Lorraine Félix, enseignante. Rencontres croisées. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Jeu 15 juin 2023

    Vivian symbolise l’espoir pour tous ceux que la vie malmène. Aujourd’hui, cette trentenaire tanzanienne collabore comme assistante de direction au siège de Compassion à Arusha, en Tanzanie. Mais son parcours de vie avait bien mal débuté… Nous avons rencontré Vivian au bureau suisse de l’ONG à Yverdon, lors de sa visite en mars dernier. Témoignage.

  • Une expérience tchadienne « qui ouvre les yeux »

    Ven 20 janvier 2023

    Elle a 19 ans, étudie la psychologie à l’Université de Lausanne, et vient de faire un mois de bénévolat auprès de jeunes de la rue à N’Djaména. Tamara Furter, de l’Eglise évangélique La Chapelle (FREE) au Brassus, a découvert que l’on peut être fort et joyeux dans la précarité.

eglisesfree.ch

  • Un·e responsable des finances (10%)

    Lun 29 janvier 2024

    Plus grande fédération d’Eglises évangéliques en Suisse romande, la FREE offre un cadre de travail dynamique et défiant, en lien étroit avec les autres acteurs du milieu chrétien évangélique romand, suisse et international. Dans ce cadre, la FREE recherche un·e responsable des finances.

  • Rencontre générale : une fédération utile

    Mer 29 novembre 2023

    La Rencontre générale du 25 novembre 2023 a permis de remercier Stéphane Bossel pour 23 ans d’engagements divers et importants dans la FREE. Elle a aussi permis à l’équipe de direction de partager quelques priorités, notamment le sens, les valeurs et la plus-value que la FREE peut offrir aux Eglises.

  • Rencontre générale de la FREE : l’équipe de direction souffle sa première bougie

    Sam 08 avril 2023

    La Rencontre générale de la FREE, qui a eu lieu le 1er avril 2023 à Aigle, a permis à la nouvelle équipe de direction de dresser un bilan, après tout juste une année de fonctionnement. Et ce qui saute aux yeux, c’est le grand nombre des défis à relever.

  • FREE : une première « Journée stratégique »

    Ven 03 février 2023

    Les personnes qui exercent un rôle dans la FREE se sont réunies en janvier pour réfléchir à la mise en œuvre de la nouvelle « gouvernance à autorité distribuée » (1). Retour sur une « Journée stratégique » conviviale et studieuse.

eglise-numerique.org

point-theo.com

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !