Les Eglises émergentes ou missionnelles : l’incarnation plutôt que l’attraction (2)

lundi 02 juillet 2007

A l’occasion d’un temps sabbatique, Jane Maire de l’Eglise évangélique L’Abri à la Neuveville (FREE) a réfléchi au phénomène des Eglises missionnelles ou émergentes. Elle nous propose ici le deuxième volet de sa réflexion. Un volet qui touche à l’une des trois caractéristiques de ce nouveau type d’Eglise : la valorisation de l’incarnation aux dépens de l’attraction. A découvrir.

Dans notre premier article, nous avons vu que les Eglises missionnelles ou émergentes affichaient 3 caractéristiques. Dans cette contribution, nous allons développer la première : le fait que ces communautés procèdent par incarnation et non par attraction. Il s’agit là d’un changement complet de paradigme. On passe du « Venez vers nous ! » au « Nous venons vers vous ». En la matière, Jésus nous donne l’exemple. Il a quitté son lieu saint et sûr auprès du Père et il est venu s’insérer dans notre réalité humaine, une aventure combien risquée et perturbante pour le monde religieux !

Depuis Constantin, l’Eglise valorise l’attraction
L’Eglise occidentale, depuis l’établissement officiel de la chrétienté par Constantin, est devenue une organisation qui se maintient et qui pense « mission » uniquement dans un contexte non occidental. Notre culture a cessé en grande partie d’être évangélisée. L’Eglise officielle a été placée littéralement au centre du village ou de la ville et elle a joui d’une grande influence par son lien avec la puissance politique. Son message était et est encore aujourd’hui : « Si vous voulez savoir quelque chose sur le Dieu de Jésus Christ, venez au culte ». Le but de l’Eglise est d’attirer le monde à elle et si le monde ne vient pas... eh bien, c’est de sa faute !
Même si les Eglises évangéliques n’ont jamais joui d’un lien étroit avec l’Etat et semblent au premier abord moins concernées, elles ont tout de même, en tant qu’institution, fonctionné par attraction : invitations au cultes « pour ceux du dehors », rencontres d’évangélisation, Cours alphalive... Et les membres des Eglises ont essayé d’inviter des personnes à ces manifestations avec plus ou moins de succès. Ces dernières années, les Cours alphalive ont probablement connu le plus d’échos, mais, dans beaucoup de cas, ils ont touché des personnes qui avaient déjà certains liens avec les milieux d’Eglise. En dehors de cela, attirer de nouvelles personnes pour qu’elles se joignent à la vie d’Eglise est une activité pour le moins décourageante. Même placer un mot à propos de la foi dans une conversation quotidienne est devenu délicat et presque impossible. Le monde de l’Eglise et celui du dehors ne se mélangent quasi plus.
Par contre, si nous essayons de procéder comme Jésus au travers de son incarnation, nous quittons le cercle assez confortable et peu menaçant de nos amis chrétiens. Nous partons à la rencontre des gens qui nous environnent et nous nouons des relations sociales et culturelles dans le but d’être Christ pour ceux qui ne le connaissent pas encore. Ce faisant, nous serions tous des missionnaires transculturels qui vont habiter au milieu des gens, participer à leur vie, à leurs joies et à leurs peines, pour pouvoir témoigner de Jésus Christ de manière contextuelle et pertinente. L’Eglise missionnelle est une Eglise envoyée, une Eglise qui part pour amener la rédemption et la guérison dans un monde brisé.

Créer des espaces de proximité
Le but est de chercher des espaces de proximité où chrétiens et non encore chrétiens peuvent se connaître, se frotter, partager des projets et des passions communs. Ces chrétiens peuvent interagir dans la communauté hôte de façon pertinente, parce que tous se trouvent dans un contexte culturel naturel. Comment procéder concrètement ? On peut commencer avec ce qui nous est déjà proche et familier : un commerce de chaussures ? Une passion pour des avions modèles réduits, pour le théâtre ou pour un sport ? Un service d’écoute ?
Des chrétiens de par le monde sont en train de créer de tels espaces en démarrant ou en s’insérant dans des cafés, des boîtes de nuit, des galeries d’art, des équipes de foot, des affaires commerciales... Ce sont autant de lieux de partage et de communion où nous pouvons forger des liens forts, compatissants et réels, qui peuvent ensuite donner naissance à des communautés chrétiennes indigènes. Indigènes ? Oui ! Complètement intégrées dans la culture d’un certain groupe de personnes. L’Evangile pourra alors les transformer et non les transplanter dans une sous-culture d’Eglise, qui prive ces nouveaux chrétiens de leurs lieux de proximité et de pertinence. L’Eglise est venue s’établir parmi eux, au lieu d’attendre (en vain ?) qu’ils viennent se joindre à l’Eglise. A l’instar du Christ qui est venu nous chercher là où nous sommes, sans attendre qu’on décide de venir à Lui. Les nouveaux chrétiens seront accompagnés ou « coachés » pour que, du milieu d’eux, de nouveaux responsables surgissent et que chacun reparte à son tour vers d’autres personnes « non encore chrétiennes ».

« Aux chaussures Brock »
Un évangéliste et fondateur d’Eglises prénommé Brock, s’est installé voilà quelques années à San Francisco pour fonder une nouvelle Eglise. A son arrivée, il a constaté que la ville était pleine de communautés nouvellement « implantées », mais constituées surtout de chrétiens depuis longtemps dans la foi. Il s’est dit qu’au lieu de planter encore une autre future Eglise ratée, il allait ouvrir un magasin de chaussures. (Les chaussures étaient sa passion !) De là, à travers l’amour pour son métier, il a forgé des relations avec des gens qu’on ne verrait pas dans une Eglise : des couples gay, des professeurs marxistes, des artistes de rue... Brock avait la vision de créer une communauté de croyants se réunissant dans la cave de son magasin, qu’il avait transformée à cet effet. Cette communauté ne portera pas le nom d’une des dénominations existantes (baptiste, évangélique, méthodiste...). Elle s’appellera peut-être « Aux chaussures Brock » ou d’un autre nom. L’important, c’est la réalité de la communauté et non pas l’étiquette dénominationnelle qu’elle pourrait porter.
« Si vous voulez creuser un trou ailleurs, ne continuez pas à creuser plus profondément dans le même trou. Changez de place ! En fait, n’essayez pas simplement de mieux faire ce que vous faites déjà (des cultes plus ceci ou moins cela), mais faites tout autrement. Changez de paradigme. Est-ce que l’Eglise doit toujours se réunir le dimanche, dans un bâtiment appelé « église » ? Changer de paradigme demande des prises de risque et comportera nécessairement des projets ratés. Les choses sembleront désordonnées et inhabituelles, ainsi faut-il beaucoup de bienveillance de part et d’autre.

Vivre cela au plan personnel
Dans ma vie personnelle, la dynamique d’incarnation a pris petit à petit la place de la dynamique d’attraction. Ça a commencé à bouleverser mon attitude et ma manière d’agir envers mes connaissances en dehors de l’Eglise. J’ai dû admettre ce que j’appelle « mon impatience évangélique » envers elles ! Faire « un saut » de temps à autre dans leur réalité, sans prendre le temps de partager ce qu’elles vivent, les inviter ensuite à un culte et « hop ! »... ça devrait faire l’affaire ! Ben non ! En y réfléchissant, je suis étonnée d’avoir pu penser ainsi. Si, au lieu de vouloir faire venir ces gens à l’Eglise, j’essayais plutôt de valoriser le plaisir que l’on peut avoir à se retrouver chez eux pour partager la vie et la foi, de là naîtrait peut-être un petit groupe ou une petite communauté. N’est-ce pas aussi une forme d’Eglise ?
Où en sommes-nous dans nos communautés évangéliques par rapport à cette dynamique d’incarnation ? Est-ce que mon Eglise procède ainsi ? Ou fonctionne-t-elle par attraction ? La plupart de nos activités et de nos projets sont-ils centrés sur nous-mêmes ? Ou sont-ils orientés vers ceux qui sont en dehors de l’Eglise ? Développons-nous des loisirs surtout/seulement avec d’autres chrétiens ? Ou avons-nous du temps pour ceux qui ne le sont pas encore ? Avons-nous une stratégie pour nous insérer dans les lieux où se trouvent ces personnes ? Participons-nous à des projets dans notre localité ?
« Le lieu le plus sûr pour un bateau est le port. Mais il n’a pas été fait pour rester au port », a écrit fort pertinemment Paulo Coelho dans « Le pèlerinage de Compostelle ».

Jane Maire

Lire la suite du propos de Jane Maire.

  • Encadré 1:

    Bio express
    Jane Maire travaille depuis de nombreuses années avec Wycliffe, une œuvre missionnaire d’approche holistique qui se consacre particulièrement à la traduction de la Bible et à l’alphabétisation. Avec John, son mari, elle a séjourné en Côte-d’Ivoire pendant 15 ans avant de s’installer dans la région de Bienne pour y travailler au bureau de Wycliffe en Suisse. Jane et John ont 4 enfants. Jane est passionnée de tennis !

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