Jacques André, pasteur FREE retraité : aspects bibliques et historiques
« Il vous montrera, à l’étage, une grande pièce aménagée et toute prête… » (Lc 22.11)
« Toute personne qui rentre dans une église, aujourd’hui, devrait y percevoir non les restes poussiéreux d’un culte ancien, mais les signes d’une assemblée joyeuse de se réunir autour de Jésus vivant. Ainsi aménager les églises est à la foi un acte pastoral et un acte d’évangélisation » (Jean-Marie Duthilleul, Liturgie et architecture).
Le sacré dans l’Ancienne Alliance
Avant de parler de « désacralisation », il convient de commencer par une mise au point de vocabulaire. Les termes qui évoquent le « sacré » sont assez variés dans nos traductions françaises de la Bible. Il faut prendre en compte les termes comme « saint », « sainteté », « sanctifier » ou encore « consacrer », « sacré », « purifier », « sanctuaire ». Ils sont le plus souvent utilisés pour traduire les mots de la famille de « qadôsh », en hébreu pour l’Ancien Testament, et ceux de la famille de « hagios », en grec pour le Nouveau Testament.
L’Ancien Testament contient de nombreux faits et développements à propos de la question qui nous intéresse. Il suffit de penser au Temple avec son Lieu saint et son Lieu très saint (ou Saint des saints), sans parler de la ville sainte, de la terre sainte, et des différentes montagnes saintes : le Mont Horeb avec Moïse (Ge 3.5) ; le mont Garizim (vénéré par les samaritains, Jn 4.20). On peut évoquer aussi le mobilier, les objets, les ustensiles et vêtements sacrés utilisés pour le service du culte. « En ce qui concerne les humains, les objets, les temps et diverses autres choses, la sainteté est toujours liée à la proximité du Dieu saint et dépendante de celle-ci » (Le grand dictionnaire de la Bible, édition Excelsis).
Autrement dit, ce qui « sacralise » un lieu, bibliquement parlant, c’est la proximité de la présence de Dieu par rapport à ce lieu. En effet, Dieu seul est saint par sa nature même. La sainteté est sa caractéristique fondamentale. C’est cet « attribut » de Dieu qui a tellement bouleversé Esaïe, au moment où Dieu l’appelait à son service : « Saint, saint, saint est le Seigneur des armées célestes. Toute la terre est pleine de sa gloire » (Es 6.3-4).
Dans l’Ancienne Alliance la sacralisation de lieux, de personnes et d’objets est omniprésente. Mais qu’en est-il dans la Nouvelle Alliance, c’est-à-dire dans l’Eglise ?
Le sacré dans la Nouvelle Alliance
L’Evangile souligne un changement majeur. A la question de la femme samaritaine qui demande : « Nos ancêtres ont adorés sur cette montagne-ci. Vous autres, vous affirmez que l’endroit où l’on doit adorer, c’est Jérusalem » (Jn 4. 20), Jésus répond sans ambiguïté : « L’heure vient où il ne sera plus question de cette montagne, ni de Jérusalem, pour adorer le Père » (21). Autrement-dit, les lieux saints, légitimes ou non, n’ont plus lieu d’être.
Par ailleurs, il faut bien comprendre que si, dans l’Ancien Testament, la sainteté peut concerner le comportement moral d’un individu, elle peut aussi concerner des aspects purement rituels et matériels, comme la sainteté d’un lieu, d’un vêtement sacerdotal, du mobilier du Temple, du chandelier, etc. On observe que « les conditions de sainteté sont exclusivement morales dans le Nouveau Testament », note le professeur professeur d'Ancien Testament Sylvain Romerowski. On observe donc une forme de désacralisation des lieux et des objets. Le sacré se concentre désormais sur une personne : le Messie, Jésus (Jn 4.26).
Ce transfert du sacré, du Temple de Jérusalem à la personne de Jésus-Christ, marque un tournant majeur dans l’histoire biblique. C’est d’ailleurs le principal chef d’accusation porté contre Jésus lors de son procès devant le sanhédrin : « Cet homme que voici ne cesse de discourir contre ce lieu saint et contre la Loi de Moïse... » (Ac 6.13-14).
Mais la question du sacré ne s’arrête pas à la personne de Jésus. Les chrétiens portent eux aussi la marque du sacré : « Comme des enfants obéissants, ne vous laissez plus diriger par les passions qui vous gouvernaient autrefois, au temps de votre ignorance. Au contraire, tout comme celui qui vous a appelés est saint, soyez saints dans tout votre comportement » (1Pi 1.14-16). Autrement-dit, le sacré n’est plus lié au Temple de Jérusalem, il est désormais dispersé à travers le monde et incarné par les chrétiens appelés à « diffuser le sacré » dans le monde, par leur comportement.
Il faut également mentionner la dernière vision du nouveau ciel et de la nouvelle terre que nous rapporte l’Apocalypse : « Je ne vis aucun temple dans la ville. Son temple, c’est le Seigneur, le Dieu tout-puissant, ainsi que l’Agneau. La ville n’a besoin ni du soleil, ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine et l’Agneau lui tient lieu de lampe » (Ap 22.22-23).
L’Ecriture nous laisse entrevoir l’aboutissement du projet de Dieu. Dans la nouvelle terre et le nouveau ciel, la distinction entre profane et sacré n’aura plus lieu d’être. Tout, absolument tout, est sacralisé ! Le sacré irradie jusque dans les moindres recoins du royaume du Seigneur !
Le sacré dans l’histoire de l’Eglise
Nous notons que, de l’époque des Actes jusqu’au troisième siècle, les chrétiens se sont réunis dans des locaux modestes. Le Nouveau Testament parle régulièrement d’Eglises qui se réunissent, par exemple, dans la maison de Marie, à Jérusalem (Ac 12.12) ; chez Lydie, à Philippes, où Paul et Silas retrouvèrent tous les frères (Ac 16.40) ; chez Jason, à Thessalonique, (17.5-9) ; chez Aquilas et Prisca à Corinthe (1Co 16.19). Si les chrétiens se réunissaient dans des maisons particulières, c’est probablement qu’ils ne pouvaient pas faire autrement. Encore peu nombreux, avec des moyens souvent limités, devant faire profil bas en tant que religion illicite, ils aménageaient des lieux de culte qui étaient loin de ressembler aux basiliques et aux cathédrales du Moyen-âge !
Il est intéressant de signaler que la plus ancienne « Eglise de maison » découverte date de 240. Elle est connue sous le nom de « Domus Ecclesiae » et se trouve dans un site archéologique en Syrie. Les vestiges, remarquablement conservés, permettent de constater que le bâtiment pouvait accueillir quelques dizaines de personnes. On y découvre des éléments d’aménagement intérieur bien marqués, tel qu’un baptistère et des fresques de scènes chrétiennes. Cette découverte est intéressante, notamment parce qu’elle date d’avant l’ère constantinienne, une époque où le christianisme n’était pas toujours le bienvenu.
Mais, dès le quatrième siècle, avec la fin des persécutions d’Etat, on voit apparaître de grands édifices religieux ou le sacré tend à prendre de plus en plus de place. Des baptistères parfois monumentaux, des statues représentant des personnages biblique ou religieux marquants, des crucifix, des tables de communion qui deviennent peu à peu des autels ou se célèbre le service de l’eucharistie. Au tournant du premier millénaire, l’art du vitrail se développe avec les grandes ouvertures permises par l’architecture gothique. La comédie musicale « Notre Dame de Paris » y fait allusion : « Il est venu le temps des cathédrales. Le monde est entré dans un nouveau millénaire. L'homme a voulu monter vers les étoiles, écrire son histoire dans le verre ou dans la pierre ».
Il est intéressant de noter que le virage pris à la suite des nouvelles orientations (aggiornamento) adoptées durant le concile de Vatican II, dans les années 1960, ont eu des répercussions sur les questions d’architecture et d’aménagement intérieur des églises catholiques. Celui-ci encourage un style beaucoup plus dépouillé et sobre. L’autel ne marque plus une séparation aussi nette que dans le passé entre le clergé et les simples fidèles.
Pour autant, la notion de sacralité demeure un dogme incontournable, même si elle se fait plus discrète. Les lieux de culte catholiques doivent répondre à certaines exigences liturgiques et surtout être consacrés par l’évêque pour pouvoir être utilisé par les fidèles.
Au seizième siècle, la Réforme protestante proteste ! La sacralisation des lieux de culte n’a pas lieu d’être aux yeux des premiers réformés. Ils jugent que la limite de l’idolâtrie a été franchie dans les édifices religieux catholiques. Et on assiste, en réaction parfois violente, à des destructions de statues, d’œuvres d’art et de symboles religieux considérés comme contraires au deuxième commandement : « Tu ne te feras point d'image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre » (Ex 20.4). Bref c’est la désacralisation des lieux de culte en terre réformée... avec toutefois des différences notables, par exemple dans les milieux luthériens et anglicans.
Pourtant, il suffit d’entrer dans un temple réformé pour y voir la marque de la spiritualité protestante clairement inscrite dans la disposition, le mobilier et la décoration du lieu. Une chaire imposante, symbole de la Parole de Dieu enseignée et prêchée, une table de communion centrale est massive, vitraux, orgue, robe pastorale. On peut parler d’une sacralisation, version réformée !
Et les évangéliques dans tout ça ?
Arrivés sur la scène de l’histoire dès le seizième siècle avec les mouvements anabaptistes, mais surtout à partir du dix-huitième siècle dans les pays anglo-saxons et du dix-neuvième siècle dans nos régions, nous ne disposons pas d’une longue tradition architecturale qui pourrait marquer la forme de nos lieux de cultes. En fait, on trouve un peu de tout dans la galaxie évangélique. De la monumentale « cathédrale de cristal » du pasteur Robert Schuller, près de Los Angeles (église devenue catholique depuis peu), au local le plus austère et fonctionnel où tout signe religieux semble banni, à part une modeste table de salon pour y disposer le pain et le vin.
Mais, de plus en plus, une préoccupation missionnelle s’invite dans la réflexion : la question de l’accessibilité et de l’accueil dans nos locaux de la population qui nous entoure. A cette importante question, il faut en ajouter une autre, d’ordre pastoral : comment répondre aux besoins du peuple de Dieu sur le plan de l’espace ? Ce sont, parmi d’autres, de bonnes questions qui méritent largement une réflexion non seulement pratique, mais également théologique.
Pour certains, le modèle « salle de spectacle » avec scène, micros, instruments de musique et grand écran semble pertinent, adapté, espère-t-on, à un public postmoderne. Mais il faut bien avouer que ce modèle marginalise la table de communion et la chaire. Il signale visuellement la faible importance accordée au repas du Seigneur et à la prédication de la Parole de Dieu.
Ce qui est considéré comme approprié dans tel contexte pourrait être jugé choquant dans un autre. L’architecture (pour autant que ce soit possible), l’aménagement et la disposition de nos espaces de rencontre devraient par conséquent prendre en compte le principe du « je me fait tout à tous » cher à l’apôtre Paul (1Co 9.22).
« Nous misons beaucoup sur l’accueil des personnes, mais la première impression est donnée par le cadre, l’atmosphère, et ce qui frappe l’œil, relève le pasteur baptiste français Thierry Huser. Nos bâtiments ont une importance, relative certes, mais réelle tout de même ! Investir dans des bâtiments accueillants est aussi un choix : sans vouloir faire du ‘grandiose’, l’investissement dans des bâtiments accueillants est un choix qui participe au ministère d’accueil de l’Eglise. Attention au regard qui s’habitue tellement à ses locaux qu’il n’est plus sensible à l’impression visuelle que peut ressentir celui qui arrive pour la première fois. »