« Après l’alphabétisation, l’éducation aux médias comme tâche des Eglises ! » Une proposition de Pierre-André Léchot

mercredi 30 juin 2010

Notre société bénéficie d’une multiplication des outils de communication. L’abondance de chaînes TV, le développement extraordinaire de l’internet, les capacités de plus en plus grandes de nos téléphones portables font de nous des êtres qui croulent sous les sollicitations. Devant cette extraordinaire richesse, comment gérer au mieux son « budget-temps » en matière de consommation de médias ? Pierre-André Léchot, co-directeur de Canal Alpha, ouvre des pistes.

« En moyenne, chaque Suisse consacre 163 minutes chaque jour à regarder la TV. Et ces 2 heures et 43 minutes n’intègrent pas la consommation d’autres médias comme la radio, la lecture du journal ou l’internet... » Pierre-André Léchot est multicasquette ! Co-directeur de  Canal Alpha, la télévision régionale neuchâteloise, il est aussi journaliste et chargé de cours à l’Université de Neuchâtel où il enseigne « l’analyse de la communication audiovisuelle ».
De tels chiffres n’alarment pas outre mesure cet homme de TV. « Les médias sont d’une telle richesse, constate-t-il, qu’ils nous permettent de vivre des choses extraordinaires. Ce qui m’importe davantage, c’est de savoir au détriment de quoi se vivent ces heures passées à consommer des médias. »
Depuis plusieurs années, Pierre-André Léchot plaide pour le développement de l’éducation aux médias en milieu scolaire comme en milieu d’Eglise. « Les Eglises ont fait beaucoup en son temps pour l’alphabétisation. Elles ont permis à nombre de personnes de prendre en main leur existence. Aujourd’hui, elles devraient s’interroger sur une nouvelle forme d’alphabétisation : l’éducation aux médias. »

Premiers pas : visiter une TV
Pour permettre un usage intelligent de la TV, Pierre-André Léchot a développé les visites de Canal Alpha. C’est l’occasion pour les personnes intéressées de découvrir comment fonctionne le média télévisuel, avec sa technologie propre et les différents métiers qui permettent la réalisation des émissions. C’est aussi l’occasion de mettre l’outil de production aux mains des visiteurs. « En une heure, explique Pierre-André Léchot, des élèves parviennent à réaliser un petit clip qui a été joué, filmé, monté et présenté par eux. C’est important, ajoute-t-il, de montrer ce que sont les ingrédients de base de la TV : le matériau image, le son et ensuite comment on met cela ensemble pour réaliser une petite émission. » Permettre la découverte du fonctionnement du média TV est une première étape en vue d’une consommation intelligente de ce média et peut-être d’un réajustement du temps qui lui est consacré. Mais pour Pierre-André Léchot, il importe d’aller plus loin et de suivre une sensibilisation qui peut s’articuler autour de 7 questions.

Quel est mon rapport au média TV ?
Tout d’abord il s’agit de s’interroger sur son propre rapport au média TV : combien de temps est-ce que je passe en compagnie de la boîte à images ? Dans mon lieu de vie, quelle place est dévolue à la TV ? A ce propos, Pierre-André Léchot aime raconter ce qui est arrivé à un de ses amis américains qui accueillait ses invités avec la TV allumée toute la journée, comme c’est l’habitude dans de nombreux foyers outre-Atlantique. Un jour, des Latino-Américains sont arrivés chez lui et se sont sentis offensés de voir que le poste continuait à marcher alors qu’ils parlaient ensemble. Ces invités ont fait part de leur malaise et, depuis, le poste de TV a rejoint une pièce en sous-sol et n’occupe plus le coeur de la maison.

Le meilleur média au meilleur rapport qualité-prix
Le co-directeur de Canal Alpha propose ensuite de prendre conscience des nombreux médias dont nous disposons. « Pour tel besoin ou telle envie, quel média puis-je utiliser ? Lorsque j’ai l’occasion de faire de l’éducation aux médias avec des enfants, j’aime bien faire la comparaison entre le visionnement d’un dessin animé et la lecture d’une BD. Souvent les enfants optent spontanément pour le dessin animé, mais lorsqu’on prend le temps de lire quelques pages de la BD dont s’inspire le dessin animé, ils se rendent compte que c’est sympa de lire une BD... Et que c’est peut-être mieux que de regarder le petit écran ! »

Le propriétaire du média et ses intentions
La troisième question que Pierre-André Léchot invite à se poser, c’est celle de savoir qui possède le média qui est regardé. « Souvent on regarde une chaîne et on n’a pas conscience que derrière le programme il y a quelqu’un qui souhaite nous dire et faire quelque chose. » En 2004, Patrick Le Lay qui dirigeait TF1 a lâché que la vocation de sa chaîne était de rendre les cerveaux des téléspectateurs disponibles pour permettre à Coca-Cola de vendre son produit ! « Affiner son regard, complète le co-directeur de Canal Alpha, permet de savoir qui tire avantage de quoi et quel est l’intérêt de l’émetteur. »

Quelle est la qualité du produit ?
Il importe ensuite de s’interroger sur la qualité journalistique et divertissante des émissions proposées. « Si je souhaite être informé, le TJ me donne-t-il effectivement les informations dont j’ai besoin ? Si je désire être diverti, quelle est la qualité du scénario du film qui m’est proposé ? » Autant de réflexions qui poussent à se poser une cinquième question : celle des valeurs qui sont véhiculées par les émissions diffusées par telle ou telle chaîne ou celle des idéaux qui sont poursuivis dans le film proposé.
Toute personne qui cherchera à parfaire sa gestion des médias pourra aussi se demander – sixième question – quels effets le produit médiatique engendre sur soi-même et sur l’ensemble de la société. Des effets indirects sont-ils envisageables ? Une accoutumance à la violence peut-elle intervenir ?

Consommer plus intelligemment
En final, faire le bilan des réponses apportées à ces 6 questions permet au téléspectateur moyen de faire des choix et de consommer plus intelligemment le média TV, mais aussi d’autres médias. « J’aime bien proposer aux personnes qui suivent avec moi une sensibilisation à la consommation des médias, de réfléchir à un ‘budget médiatique’ et de se poser la question : si j’avais, sur une semaine, à reprendre ma consommation de médias, combien de temps est-ce que je souhaiterais dédier à la radio, combien à la TV, au cinéma. à internet, à la presse écrite ? En fonction de ce ‘budget-temps’, que vais-je choisir et que pourrais-je changer ? »
Alors certes aujourd’hui il y a des infos-pauvres et des infos-riches : des gens qui disposent des meilleures technologies et d’autres qui n’en disposent pas. Mais cette richesse et cette pauvreté sont aussi visibles dans la consommation des médias. « Parmi les enfants que je rencontre, certains enfants sont au bénéfice d’un cadre parental qui met des limites à leur consommation de médias et d’autres pas du tout ! C’est pour cela qu’une éducation aux médias a toute sa pertinence aujourd’hui. Une éducation qui, comme en son temps avec l’alphabétisation, pourrait être proposée par les Eglises ! »

Serge Carrel

Pierre-André Léchot a été l’invité de l’émission A vue d’esprit sur RSR-Espace 2 le vendredi 4 décembre, dans le cadre d’une série d’émissions intitulées « Mieux communiquer pour mieux vivre ». Il est possible d'écouter cette émission ici.


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