Jim Wallis appelle à retrouver la dimension sociale de la conversion à Jésus-Christ

lundi 10 juillet 2006
Jim Wallis est une voix prophétique qui émerge dans le paysage évangélique américain. Ce théologien est devenu ces dernières années, en relation avec le mouvement Sojourners, le porte-parole des évangéliques qui ne se reconnaissent ni dans la politique de George W. Bush, ni dans les prises de position de la droite religieuse. En 2005, son livre « God’s Politics » a figuré pendant 15 semaines dans la liste des best-sellers du New York Times. Dans la foulée, son éditeur a proposé une nouvelle édition d’un de ses livres paru en 1981 : « The Call to Conversion » (L’appel à la conversion). Un livre remarquable ! Fait de finesse d’analyse et de profondeur spirituelle ! Qui ouvre des perspectives très stimulantes à tous ceux qui souhaitent redonner un souffle social à leur engagement chrétien. Recension.

« Aujourd’hui, la Bonne Nouvelle du Royaume est remplacée par une piété personnelle qui soutient le statu quo ». Dans son livre « The Call to Conversion » (L’appel à la conversion) 1, le théologien étasunien Jim Wallis montre qu’une implication sociale forte devrait toujours accompagner la découverte de l’Evangile. Aujourd’hui le conformisme social et politique des chrétiens, notamment aux Etats-Unis, le laisse pantois. Si l’on examine avec attention le Nouveau Testament, les auteurs des premiers siècles de l’Eglise et l’histoire des réveils religieux, il n’y a pas d’annonce de l’Evangile sans une inscription forte dans le vécu historique et social du moment.

La conversion n’est pas qu’une « transaction métaphysique »
Dans le premier chapitre de son livre, Jim Wallis examine l’appel à la conversion qui traverse le donné biblique. Que ce soit dans la Tora, chez les prophètes ou dans la proclamation de Jésus, la conversion n’est pas qu’une « transaction métaphysique » dans le ciel de Dieu. Elle revêt toujours une dimension historique, avec des implications nombreuses dans la vie sociale et politique des personnes. « Le but de la conversion biblique n’est pas de sauver des âmes en dehors de l’histoire, mais d’apporter le Royaume de Dieu dans le monde avec une force explosive ». Pour Jim Wallis, la plupart des Eglises aujourd’hui sont partagées entre celles qui mettent l’accent sur la conversion et qui ont oublié sa dimension sociale et celles qui mettent l’accent sur la justice sociale et qui ont oublié la nécessité de la conversion. Ces deux courants ont besoin de retrouver la signification originale de la conversion à Jésus et à son Royaume.
L’authentique conversion à Jésus-Christ fait de chaque disciple un être dépréoccupé de sa vie individuelle et engagé dans une vocation pour le monde. Selon Jim Wallis, il est de première importance d’inscrire la conversion dans la perspective du Royaume de Dieu. La personne qui rencontre le Christ et qui décide de devenir son disciple entre dans un ordre nouveau qui a pour charte le Sermon sur la montagne. L’Eglise primitive a d’ailleurs utilisé cette prédication centrale de Jésus comme « manuel » d’instruction chrétienne pour les nouveaux convertis.

Une inscription sociale qui donne de la crédibilité à la grâce
Cette pratique qui donnait du corps à la vie des nouveaux disciples, en matière de partage et de solidarité avec les plus pauvres, on la rencontre dans les Actes des Apôtres (Ac 2, 44-47 ; Ac 4, 32-35). Elle est liée à l’effusion de l’Esprit. Et on la retrouve dans les premiers siècles de l’Eglise avec une critique très féroce des Pères de l’Eglise à l’endroit de l’accumulation de biens (Jean Chrysostome, Cyprien, Basile de Césarée...). Le partage des richesses et le souci d’une certaine justice sociale ont rendu crédible la grâce de Dieu révélée en Jésus-Christ. La mise en place d’une société d’amour et d’entraide mutuelle a étonné les non-chrétiens. Comme Aristides le relevait en substance à l’adresse de l’empereur Hadrien : « Les premiers chrétiens sont connus pour la manière dont ils vivent et pas seulement pour ce qu’ils croient ».

La « captivité américaine de l’Eglise »
« Aujourd’hui, la question centrale de la foi évangélique, c’est : qu’est-ce que Jésus pourrait faire pour moi ? » Dans le deuxième chapitre de son livre « L’appel à la conversion », Jim Wallis développe le thème de la trahison du message évangélique par les Eglises. Pour lui, « cette trahison est intervenue dans l’ensemble du spectre théologique ». Cette trahison se manifeste particulièrement dans le fait que le message du Christ perd une puissance extraordinaire quand il n’est plus vécu dans le monde. Jésus a beau être devenu une sorte de produit suprême en matière de spiritualité, un produit emballé de manière attractive par des évangélistes aux effets de manche souvent efficaces... sans une vie communautaire résolument inscrite dans un style de vie alternatif, il manque à l’Evangile une bonne part de sa force.
Pour caractériser la vie d’un grand nombre d’Eglises évangéliques américaines, Jim Wallis modifie la fameuse formule de Martin Luther et parle de « captivité américaine de l’Eglise ». Dans nombre d’Eglises évangéliques, le péché est perçu uniquement de manière individuelle. « Les évangélistes sont restés silencieux sur les domaines où l’Evangile contredit totalement le consensus culturel américain. Ils ont été incapables d’opérer une relation entre la Bonne Nouvelle de Jésus et les maux collectifs du temps. » Là, Jim Wallis vise des maux sociaux comme la séparation entre noirs et blancs ou la pauvreté qui frappe les populations qui vivent dans les mégapoles américaines. Jim Wallis vit lui-même dans une telle « inner city » à Washington. Et son engagement communautaire s’inscrit dans la lutte contre la pauvreté de son quartier.

L’horizon : « Make Poverty History »
« Dieu agit. Aujourd’hui, la conversion consiste en un appel à la foi ainsi qu’en un engagement : faire de la pauvreté une histoire passée (Make Poverty History, selon le slogan qu’ont popularisé nombre d’oeuvres d’entraide anglophones pour éradiquer de moitié la pauvreté dans le monde d’ici 2015) ». Dans le troisième chapitre de son livre intitulé « L’injustice », Jim Wallis constate que l’Evangile tel que Jésus l’a proclamé dans son « Manifeste de Nazareth » (Luc 4, 16-30) contient une « bonne nouvelle » pour les pauvres. Pour lui, les démunis ne comptent pas dans une société américaine qui viserait plutôt à blâmer le pauvre plutôt qu’à reconnaître, comme le fait l’Ancien Testament, que l’oppression du pauvre est enracinée dans la dureté du coeur du riche et dans les institutions qu’il met en place. Les pauvres ont donc besoin de justice et les riches de lunettes qui leur permettent d’entrevoir l’esclavage dans lequel ils sont tenus par les idoles qu’ils se sont forgées.
« L’attachement des Américains à leur niveau de vie est devenu une drogue, relève Jim Wallis. Nous ne pouvons arrêter de faire nos courses, de manger, de consommer... » Les biens matériels sont devenus des substituts de la foi. Ils constituent des références ultimes auxquelles nous rendons un culte. « L’ironie tragique, constate Jim Walllis, c’est que la plupart des Américains ont l’impression qu’ils s’en sortent tout juste du point de vue économique... Nous sommes arrivés à endosser toutes les valeurs du système de consommation, sans reconnaître notre asservissement – la forme la plus parfaite de l’esclavage » !

Se voir face à face
Pour permettre aux riches « possédés » et aux pauvres « dépossédés » d’entrer dans une démarche nouvelle, Jim Wallis considère que la rencontre des gens du Sud et des gens du Nord est une nécessité. La rencontre doit être personnelle, parce qu’elle permettra la découverte d’une nouvelle proximité, la naissance d’une véritable compassion et des changements radicaux dans le style de vie des « possédés » possédants. « Jésus, c’est Dieu fait pauvre » ! Et l’une des questions centrales posées aux chrétiens aujourd’hui, c’est : « Si Jésus s’identifie lui-même à ce point-là au pauvre, qu’est-ce que cela signifie pour moi ? » (Mt 25).
Jim Wallis termine son « Appel à la conversion » par un plaidoyer en faveur d’un vécu communautaire de qualité. Quelques grands mythes véhiculés par la société exercent sur nous une emprise extraordinaire : les gains économiques sont la clé du bonheur, la possession de plus en plus d’armes génère la sécurité... Pour contrer l’emprise de ces mythes, la communauté-communion chrétienne (la fameuse « koinonia » en grec) doit jouer un rôle de groupe alternatif qui forge de nouvelles valeurs et qui promeut de nouveaux comportements.

Réalisons les intentions de Dieu dans l’histoire !
De même que Jésus a reçu l’Esprit lors de son baptême dans le Jourdain et qu’il a inscrit son ministère dans l’annonce d’une bonne nouvelle aux pauvres, l’Eglise a reçu son baptême à la Pentecôte et poursuit le même but que Jésus dans ce monde. « L’onction de l’Esprit, ajoute Jim Wallis, n’est pas seulement pour nous permettre de réaliser des expériences religieuses personnelles, elle intervient aussi pour la réalisation des intentions de Dieu dans l’histoire ». Ces intentions passent par le fait qu’individuellement et communautairement les chrétiens soient des acteurs et des avant-goût de la réconciliation de Dieu accomplie par Jésus-Christ. Aussi d’un point de vue social et politique.
Serge Carrel

Note
1 Jim Wallis, The Call to Conversion, New York, HarperSanFrancisco, 2005 (nouvelle édition), 202 p.

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