Pour le Camerounais Alphonse Teyabe, les journalistes des radios évangéliques d’Afrique francophone devraient devenir des «rebelles»!

Serge Carrel lundi 02 décembre 2019

Alphonse Teyabe est une personnalité marquante du monde des radios évangéliques d’Afrique francophone. Installé à Yaoundé, ce pasteur et docteur en théologie a marqué la deuxième édition du Séminaire de formation des radios chrétiennes qui s’est tenu à Lomé (Togo) du 25 au 29 novembre. A cette occasion, il a plaidé pour que les journalistes et les directeurs de radio fassent de la « mission intégrale » l’orientation de base des programmes de toutes les radios évangéliques d’Afrique francophone. Une orientation à découvrir ici.

Pour vous, la « radio intégrale », qu’est-ce que c’est ?

La « radio intégrale » est une radio qui répond aux besoins de l’être humain, qui contribue aux transformations de la société et aux transformations de la vie des hommes et des femmes africains. Nous sommes partis du constat que l’Afrique francophone est en retard dans beaucoup de domaines : l’alphabétisation, la santé, l’agriculture… Cette Afrique est encore sous l’oppression et la dépendance des anciens pays colonisateurs. Contrairement à l’Afrique anglophone, elle n’arrive pas vraiment à sortir la tête de l’eau.

Vous êtes originaire du Cameroun, et donc en lien étroit tant avec l’Afrique anglophone et francophone dont vous parlez…

On constate un déphasage entre l’Afrique francophone et l’Afrique anglophone. En Afrique francophone, c’est encore la misère alors que l’Afrique anglophone est décomplexée, fière d’elle-même. Elle est en train de se développer, de sortir des problèmes de misère et de dictature. Nous avons constaté cette situation et nous avons décidé, comme le thème de notre séminaire le relève, d’inventer la radio intégrale.

Les radios confessionnelles ont cette lourde responsabilité d’agir très rapidement pour impulser la doctrine sociale de l’Eglise qui prend en compte l’homme total, c’est-à-dire l’esprit, l’âme et le corps, pour répondre aux besoins de l’homme : aux problèmes physiques, à l’estime de soi et aux questions spirituelles. Il nous faut lutter contre tous ces fléaux : l’injustice, la misère, la corruption, et proposer des programmes adaptés pour que l’on arrive à cette transformation. Nous croyons qu’avec les radios, nous avons un pouvoir entre les mains pour renverser ces tendances.

On estime à une centaine le nombre des radios confessionnelles de sensibilité protestante évangélique. Concrètement, que font ces radios ?

Depuis un certain temps, on assiste à la recrudescence de ces radios communautaires, proches de la population. Elles essaient d’apporter des solutions concrètes aux besoins de l’homme et de la femme africains en entrant dans la culture, la tradition pour les revaloriser. Nous avons des programmes spécifiques : par exemple la lutte contre le choléra, la limitation des naissances, l’enseignement de bonnes pratiques agricoles… Ces radios sont en train de mettre en place de telles émissions pour aider les populations et pour apporter la transformation.

Lorsque vous parlez de lutte contre le choléra ou de sensibilisation à propos de techniques agricoles, vous parlez de votre propre expérience au nord du Cameroun…

Oui, au nord du Cameroun, dans le cadre de notre travail radiophonique, nous avons mis sur pied des émissions en partenariat avec le gouvernement et certaines ONG, alors qu’un grand nombre de la population était touché par le choléra. C’était en 2010 et cette épidémie était en train de ravager la population. Nous avons pris conscience de l’importance de mettre sur pied des programmes de sensibilisation à travers des émissions adaptées, en faisant venir à l’antenne des médecins et des spécialistes de ces questions. Des spots publicitaires nous ont aussi permis de sensibiliser la population à des mesures concrètes. Au travers de tout cela, nous avons permis l’éradication du choléra au nord du Cameroun. Aujourd’hui, on n’en parle plus, parce que la population est assez informée à propos de ces maladies. Même le taux de prévalence du VIH-sida a chuté grâce à des émissions spécifiques au niveau des radios chrétiennes…

Vous attribuez cela à ces radios confessionnelles du nord du Cameroun…

C’est une évidence, puisque nous avons mis en place ces programmes avec le gouvernement et les ONG. Nous avons reçu des encouragements et des félicitations du gouvernement dans ce sens. Même des palmes d’or à cause de ces actions !

Pratiquement, nous sommes descendus sur le terrain avec nos reporters et nos animateurs. Parfois, nous avons même engagé des jeunes pendant les périodes de vacances pour faire du porte-à-porte, afin de sensibiliser la population, de distribuer des moustiquaires imprégnées et lutter contre le paludisme, par exemple.

Lors du séminaire de Lomé 2, vous avez invité les journalistes et les animateurs radio à devenir des « rebelles ». Qu’entendez-vous par là ?

Le terme de « rebelles » ne doit pas être compris dans un sens négatif ! Mais pourquoi ne devrait-on pas se rebeller contre l’injustice ? Pourquoi ne pas se rebeller contre la souffrance, contre l’oppression ou l’esclavage ? Pourquoi ne pas se rebeller contre la misère, quand on voit les conditions de vie de certains ? On ne peut pas rester indifférents face à ces situations. Il est temps d’en prendre conscience, de se lever et d’inverser la tendance. Les radios peuvent apporter leurs contributions rapides, parce que nous sommes très en retard en Afrique francophone !

Propos recueillis par Serge Carrel

  • Encadré 1:

    Bio express d’Alphonse Teyabe

    Alphonse Teyabe est pasteur, chercheur et consultant en communication au Cameroun. Il a lancé plusieurs radios dans le nord de ce pays et il accompagne plusieurs radios et TV en Afrique francophone. Alphonse Teyabe a obtenu un doctorat aux Etats-Unis avec une thèse parue sous le titre : « Eglise et média. Contribution des radios évangéliques à la mission » (Maurice, Editions universitaires européennes, 2017, 352 p.).

    Il est aussi le secrétaire général des Groupes bibliques des élèves et des étudiants du Cameroun (GBEEC) et de l’Alliance des évangéliques du Cameroun (AEC).

    Marié, il est père de 4 enfants.

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