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Abus sexuels dans l’Equipe américaine de gymnastique : la voix de l’évangélique Rachael Denhollander

Antje Carrel jeudi 15 février 2018

Aux Etats-Unis, le monde de la gymnastique est passé en ce début d’année par un véritable tsunami. Larry Nassar, médecin de la Fédération américaine de gymnastique, a pendant 20 ans abusé régulièrement de plus de 150 jeunes gymnastes. Parmi celles-ci, des championnes et des médaillées olympiques… L’évangélique Rachael Denhollander a aussi été victime de ce prédateur sexuel. Lors du procès qui s’est terminé le 24 janvier, elle a été la dernière à témoigner. Echos.

Rachael Denhollander est une avocate spécialisée dans les abus sexuels et les dynamiques institutionnelles liées à ceux-ci. C’est en tant que victime qu’elle s’est exprimée le 24 janvier au tribunal du comté d’Ingham à Lansing dans l’Etat du Michigan, lors du procès de Larry Nassar, l’ex-médecin de l’Equipe américaine de gymnastique.

La première à révéler publiquement les abus du médecin

En 2016, Rachael Denhollander a été la première à révéler publiquement les abus sexuels dont elle a été victime, tout comme plus de 150 autres gymnastes. Elle a été la dernière à s’exprimer lors du procès de Larry Nassar.

Elevée dans une famille évangélique et ayant fait l’école à la maison, l’ex-gymnaste a pris la parole pour détailler son cheminement intimement lié à un désir de pardon et de justice, alors que les premiers abus qu’elle a subis remontent à l’an 2000. Elle avait alors quinze ans. S’adressant à son abuseur, elle déclare : « Je veux que tu comprennes pourquoi j’ai pris cette décision, sachant très bien combien cela coûtait d’être ici aujourd’hui, et que j’avais très peu d’espoir que cela arrive. » La jeune femme, la trentaine, maintenant maman de trois enfants, continue : « Je l’ai fait parce que c’était juste. Quel qu’en soit le prix, c’était juste. Et pour moi, m’éloigner le plus possible de ce que tu es devenu, c’est choisir quotidiennement ce qui est juste, en lieu et place de ce que je veux. »

Elle en appelle à la bible de Larry Nassar

La jeune femme commence alors à partager ses convictions chrétiennes. Selon elle, le médecin de l’Equipe américaine de gymnastique, professeur à l’Université de l’Etat du Michigan, est devenu un homme dominé par des désirs égoïstes et pervers. « Tu as choisi de te livrer à ta propre cruauté, sans prendre en compte le coût que tes victimes devaient payer. Agir complétement à l’opposé de ce que tu as fait, c’est pour moi choisir d’aimer de façon sacrificielle, quel qu’en soit le coût. » Faisant référence à la bible que l’accusé a apportée avec lui lors des premières auditions, Rachael rappelle à ce médecin que s’il a lu la Bible, il sait que la définition de l’amour sacrificiel vient de Dieu, « qui a donné son Fils pour payer l’amende des péchés qu’il n’a jamais commis ».

On ne prie pas pour le pardon !

L’ancienne gymnaste continue en rappelant à Larry Nassar que l’on ne prie pas pour le pardon comme il a déclaré le faire, mais que le pardon découle d’une attittude de repentir. Le repentir, ajoute-t-elle, « demande de faire face et de reconnaître la vérité de ses actes dans toute leur horreur, sans atténuer et sans excuser leur portée, sans agir comme si de bonnes actions pouvaient effacer le témoignage de toutes les victimes entendues à la cour. »

Rachael Denhollander rappelle à son abuseur que la Bible affirme qu’il vaut mieux être attaché à une meule de moulin et jeté dans le lac que de causer la chute d’un enfant (Marc 9.42). « Et tu en as traumatisé des centaines ! » s’exclame-t-elle. Mais l’avocate-victime ne s’arrête pas là : « Si tu arrivais à faire face à ce que tu as fait, ta culpabilité serait accablante. Et c’est cela qui rend l’Evangile du Christ aussi bienfaisant. Il accorde la grâce, l’espoir et la miséricorde là où il n’y en a pas. Et tout cela serait là pour toi. »

L’abuseur se construit une prison

Selon la jeune femme, « lorsqu’une personne peut faire du mal à un autre être humain, et plus particulièrement à un enfant, sans ressentir de la culpabilité, elle a perdu la capacité d’aimer vraiment. » Rachael ajoute : « Larry, tu t’es fermé à toute chose foncièrement bonne et belle que notre monde pouvait t’offrir et qui t’aurait procuré de la joie et de l’épanouissement. Je te plains… Tu t’es construit une prison qui est bien plus horrible que toutes celles dans lesquelles je pourrais t’envoyer, et je te plains. »

A la fin de son intervention, faisant appel à la cour, l’avocate a demandé une condamnation qui indique que « ce qui nous a été fait importe, que nos souffrances sont reconnues, que nous avons une valeur infinie, que nous avons droit à la protection la plus haute que la loi puisse nous accorder, soit les sanctions judiciaires les plus lourdes à disposition. »

Le 24 janvier, la cour de justice du comté d’Ingham a condamné Larry Nassar à une peine allant de 40 à 175 ans de prison. Cette peine s’ajoute à une autre condamnation de 60 ans pour pédopornographie.

Antje Carrel

Pour la transcription complète en anglais de l’intervention de Rachael Denhollander le 24 janvier au tribunal d’Ingham, voir la page de CNN.

  • Encadré 1:

    Violences sexuelles : justice et pardon vont main dans la main

    Très médiatisée aux Etats-Unis dans le procès de Larry Nassar, l’ex-gymnaste et avocate Rachael Denhollander s’implique dans la défense des victimes d’abus sexuels dans les Eglises. Cela a entraîné pour elle passablement de difficultés. Notamment une rupture avec son Eglise locale et nombre de ses amis.

    Dans une interview au magazine évangélique américain Christianity Today, Rachael Denhollander a expliqué son cheminement, alors qu’elle luttait, tiraillée entre certains propos qui invitaient à lâcher prise face aux agressions sexuelles dont elle a été victime et la réalité des dégâts causés par le mal subi. « J’ai dû travailler sur moi-même afin d’atteindre un point où je pouvais faire confiance à la justice de Dieu et considérer ce qui était mal comme mal, parce que Dieu est bon et saint. »

    La jeune femme ajoute que les chrétiens ont de la peine à reconnaître les dégâts terribles que déclenchent les violences sexuelles. Ils affirment beaucoup trop légèrement que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu, que Dieu est souverain. Le dialogue où Jésus offre à Pierre la possibilité de le quitter, et où Pierre répond : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle », a représenté un grand réconfort pour Rachael Denhollander (Jean 6.68). « A un moment dans mon parcours de foi, je me suis accrochée au fait que, bien que je n’aie pas de réponses à mes pourquoi, je savais que Dieu était bon et qu’il était amour. »

    L’Eglise, « le pire endroit pour trouver de l’aide »

    Pour Rachael Denhollander, l’Eglise est souvent le pire endroit pour trouver de l’aide, car la façon d’aider cause bien souvent plus de dégâts pour les victimes qu’elle ne fait du bien. La jeune maman et son mari ont dû quitter leur Eglise, parce qu’ils se battaient pour d’autres victimes d’abus sexuels en milieu évangélique, alors que l’institution mise en cause souhaitait couvrir le crime. Après avoir témoigné du fait qu’elle était elle-même une victime d’abus sexuels, les responsables de son Eglise ont utilisé ce fait pour la discréditer. Selon la jeune femme, lorsque l’agression sexuelle se déroule en dehors de l’Eglise, les évangéliques sont prompts à la dénoncer, mais lorsqu’elle se déroule dans le milieu, ils refusent de s’engager parce qu’il s’agirait de préserver la réputation du Christ. Tout cela découle d’une mauvaise théologie. Une mauvaise compréhension de la justice, de la grâce et de la repentance permet à de nombreux prédateurs sexuels de s’en sortir sans encombre, et souvent de commettre leurs forfaits pendant des dizaines d’années. « Lorsque l’Evangile du Christ est utilisé comme une arme contre les victimes d’agressions sexuelles, c’est vraiment pervers ! »

    La réputation de Jésus n’a pas besoin d’être protégée !

    L’épouse et maman de trois enfants rappelle que Dieu est un Dieu de justice. Et que c’est biblique, juste et saint, de rechercher la justice coûte que coûte. En dénonçant publiquement son agresseur, Rachael Denhollander a dû prendre la décision de faire ce qui était juste, quel que soit le prix à payer. « Même si quelqu’un pardonne à son abuseur, même si cette personne trouve une espérance nouvelle dans l’Evangile, elle ne recevra pas une restauration complète de ce côté-ci du ‘ciel’… La souffrance que nous endurons sur cette terre est bien réelle, et elle ne disparaît pas simplement parce que nous pardonnons, et que nous abandonnons notre amertume. » Parlant des victimes de Larry Lassar, elle déclare : « Ces femmes vont devoir vivre, tout comme moi, avec les conséquences des abus sexuels qu’elles ont subis pendant leur vie entière. » En pardonnant à Larry Nassar, Rachael a dû faire confiance à Dieu et en sa justice, tout en ne gardant aucune amertume et aucun désir de vengeance personnelle. Mais cela ne signifie pas minimiser ou excuser ce que son agresseur a fait.

    Rachael Denhollander appelle les chrétiens à ne pas défendre Jésus-Christ. Il n’a pas besoin d’être protégé, mais il a besoin de notre obéissance. L’obéissance, selon elle, signifie « rechercher la justice, se montrer solidaire des victimes, et dire la vérité à propos du caractère diabolique des agressions sexuelles, au lieu de les cacher ». Cette obéissance a un prix, tout comme suivre le Christ en portant sa croix.

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