Congo-Brazzaville : un navire-hôpital au service des plus démunis (reportage)

lundi 17 mars 2014

Cinq salles d'opération sur un navire de 152 mètres de long pour venir en aide aux malades défavorisés de l'Afrique de l'Ouest : dans le port congolais de Pointe-Noire, l'Africa Mercy bat pavillon humanitaire, tout en fonctionnant comme un outil de formation.

La circulation est rendue difficile à Pointe-Noire, où les pluies ont inondé les rues, mais aussi les habitations de tôles qui les bordent. Les voitures et bus-taxis se hasardent à traverser des nappes d'eau. Là où le bitume et la terre sont à sec, les marchands vendent légumes, chaussures ou poissons à même le sol. Un navire-hôpital dans le port ? « Je ne suis pas informé, lance cet homme, aucune idée. » A la prochaine intersection, une femme parle d'un voisin qui a amené son fils « là-bas » et qui a été soigné gratuitement. Mama Mélanie qui vend des gâteaux sait, elle, que cet hôpital est là depuis plusieurs mois déjà. « Et on a vu les handicapés qui ne pouvaient plus marcher se déplacer à nouveau, des brûlés pouvoir déplier leurs membres, c'est très bien ce qu'ils font là », lui fait écho une femme à ses côtés.
Entre containers et entrepôts côté terre et cargos marchands côté mer, l'Africa Mercy (1) accueille depuis août dernier les malades les plus défavorisés du Congo-Brazzaville. Quelque 420 personnes travaillent sur le plus grand bateau-hôpital non gouvernemental au monde: des chirurgiens, des dentistes, des ophtalmologues, des cuisiniers, des officiers de marine... Par année, 1200 volontaires rejoignent le navire pour remplir les différents postes. Ils proviennent de 40 nations différentes. S'ajoutent à ces bénévoles 200 travailleurs locaux qui reçoivent un petit salaire, mais surtout une formation et un certificat de travail à l'issue des 10 mois que dure chacune des missions du bâtiment.

De la banque à l'humanitaire
Pierre Christ est un ancien directeur de banque genevois qui a pris une retraite anticipée pour se consacrer à la vie du bateau. « Cet ancien ferry danois a 8 étages, il fait 152 mètres de long, 24 mètres de large, explique-t-il avant de s'engager sur la passerelle. Les machines occupent les deux premiers étages, cinq salles d'opération sont au troisième, puis vous avez les cabines. » Sur le quai, des tentes abritent les patients en rééducation. Une centaine de malades montent chaque jour à bord.
Sur le pont 7, plusieurs patients viennent prendre l'air en ce début d'après-midi. Cet enfant qui pédale à toute vitesse sur une voiture rouge vient d'être opéré d'une fente labiale. Plus loin, sur des chaises, plusieurs personnes ont des pansements sur la tête. Elles ont été opérées en raison de visages déformés par des tumeurs ou le noma. Marlouse, 21 ans, explique avoir été brûlée au visage et au bras par du gaz il y a dix ans chez elle : « J'ai vécu tout ce temps défigurée avec des articulations bloquées. Aujourd'hui, ça va. J'ai retrouvé le sourire : mes doigts fonctionnent ! J'entends maintenant poursuivre mes études à Brazzaville. »
Pierre Christ vit dans sa cabine de 5 m2 depuis cinq ans. Il assure le poste clé de lien avec les différents chefs d'Etat et rentre d'ailleurs du Cameroun avec une invitation de la part du gouvernement. « Avant de nous rendre dans ce pays, nous irons en Guinée Conakry, puis à Matadi au Congo RDC. Nous souhaiterions aller ensuite au Sénégal et en Côte d'Ivoire. » L'Africa Mercy dispose de 1700 m2 de surface hospitalière. Un deuxième bateau, en construction, disposera, lui, de 7000 m2 : « Il sera plus grand : douze étages. Sa mise à l'eau est prévue en juillet 2017 », se réjouit le Genevois.
Ici à Pointe-Noire, dans cet axe de communication prépondérant pour l'Afrique centrale, plusieurs compagnies de fret ne sont pas très contentes de la place que prend l'actuel navire-hôpital. « Mais quand on leur dit qu'on soigne les gens, elles comprennent », assure Pierre Christ.
Qu'a donc laissé le directeur de banque derrière lui en s'engageant sur l'Africa Mercy ? « J'ai travaillé 32 ans à Genève pour une banque privée de la place. Un jour, j'ai décidé que le moment était venu de donner de mon temps et aussi de mon argent pour les plus démunis, témoigne-t-il. J'avais une vie vide de sens. J'ai fait un saut de l'égoïsme au partage. La Bible que j'ai alors commencé à lire m'a amené à comprendre l'autre, à écouter, à penser à l'autre. C'est un pas important qui a changé ma vie. »

Réintégrer les rejetés
Dans le protocole que Pierre Christ signe aujourd'hui avec les gouvernements africains, une place de port pour dix mois est clairement réservée au bateau, de même que l'approvisionnement en eau qui oscille entre cinquante et soixante tonnes par jour, l'évacuation des déchets et l'exonération de toutes taxes, notamment sur les médicaments. Comment l'organisation choisit-elle les pays dans lesquels elle travaille ? « On va toujours dans les pays où il y a un président démocratiquement élu. Mais nous ne faisons pas de politique. Nous voulons juste atteindre les plus démunis dans les pays où la santé n'est pas prioritaire. »
Ce mois de mars, plusieurs femmes sont opérées de fistules vésico-vaginales sur le bateau. Pour Itengre Ouédraogo, chirurgien burkinabé spécialisé en santé maternelle, ces femmes sont des exclues : « Elles sont en majorité abandonnées par leur propre famille. Or pour moi, il n'y aura jamais de développement effectif sans l'implication de la femme. Quand certaines d'entre elles sont rejetées de la société, il faut les réintégrer absolument. J'y contribue à ma manière par des actes chirurgicaux », témoigne-t-il.
Selon ce médecin qui est présent quatre semaines à bord, le bateau apporte une aide bienvenue. « L'Afrique a besoin d'un coup de pouce dans différents secteurs, dont celui de la santé. » Dans les salles hospitalières, Itengre discute avec un gynécologue congolais et quelques infirmières de Pointe-Noire. Il apprécie sur ce navire l'expression d'un partage qui va du Nord au Sud : « Vous n'avez pas chez vous l'occasion de voir de grandes pathologies, car elles ont disparu depuis des années. Nous, nous ne disposons pas de votre technologie. Sans elle, les malades seraient laissés à eux-mêmes. »

La maladie : une malédiction
La maladie est par ailleurs souvent associée à des malédictions dans cette région du monde. « Les personnes qui ont des tumeurs au visage sont considérées chez nous comme des monstres ou comme des sorciers, estime la Congolaise Bernadette, qui travaille comme aide-infirmière sur le bateau. Ils s'enferment chez eux, parfois. Alors qu'ici, ils sont accueillis. Et nous, on apprend à les aimer aussi. »
Gabrielle Desarzens, Pointe-Noire

Note

1Créée par l'Américain Don Stephens en 1978 comme branche humanitaire de Jeunesse en mission (une organisation missionnaire interconfessionnelle), Mercy Ships est une association d'entraide dont le siège européen est à Lausanne. Stéphane Rapin est le président de l'antenne suisse et globale depuis 2004. Directeur du golf de Payerne, il se dit chrétien engagé, mais ne fait partie d'aucune communauté ecclésiale.
Un portrait de Don Stephens sur lafree.ch : « La miséricorde de Dieu, une réalité chère à Don Stephens » (2010).
Voir aussi un livre qui raconte l'aventure de Mercy Ships: Don Stephens et Linda R. Stephenson, Navires de l’espoir. L’histoire extraordinaire de l’organisation Mercy Ships, Yverdon-les-Bains, Jeunesse en mission, 2007, 232 p.
Infos sur Mercy Ships.
  • Encadré 1:

    Les projets à terre
    En complément aux opérations chirurgicales effectuées à bord, des équipes se rendent à terre pour améliorer la santé et les conditions de vie des populations locales, notamment en offrant des soins médicaux et dentaires, de l'enseignement en santé communautaire, comme par exemple la sensibilisation au sida. Le forage de puits, la construction de latrines ainsi que des formations à l'agriculture font aussi partie de la palette d'aides.

  • Encadré 2:

    Myriam Korman : l'important, c'est d'aller vers l'autre
    Myriam Korman, une Genevoise de 24 ans et membre d'ICF, est enseignante primaire. Sur l'Africa Mercy depuis juillet dernier, elle enseigne le français à une cinquantaine d'enfants de 5 à 18 ans et vient de prolonger d'une année son bénévolat. Pourquoi est-elle ici ? « Je m'étais dit que le moment était venu d'aller voir ailleurs et d'éprouver ce que j'avais appris pendant mes études : même si mon cœur est clairement pour les enfants de Genève, je sentais avoir besoin d'autres outils. » La dimension spirituelle est ce qui la motive à faire son travail, dit-elle, « mais on peut être sur le bateau sans être croyant ». Ce qu'elle apprend ? « A travailler avec d'autres cultures, à m'appuyer sur Dieu. » Myriam enseigne aussi le français aux membres de l'équipage anglophone qui souhaitent au Congo-Brazzaville entrer davantage en lien avec les personnes locales. « Car la langue permet vraiment d'aller vers l'autre ! »

  • Encadré 3:

    Emilie Mayor : ouvrir les yeux sur le monde
    Emilie Mayor, 20 ans, vient de la Broye vaudoise où elle fréquentait l'Eglise évangélique apostolique à Avenches. Elle est arrivée le 1er novembre dernier. Pâtissière de formation, elle dit apprendre l'anglais, mais surtout différentes façons de penser, de voir la vie : « Ça m'aide à ouvrir les yeux sur le monde en général ! » Elle a mis à part six mois pour vivre cette expérience. Engagée en cuisine, elle parle de la difficulté qu'occasionne... la purée de patates : « C'est 150 kg de pommes de terre à écraser à la main », s'exclame-t-elle. Non sans saluer la grande organisation dont bénéficie l'équipe aux fourneaux, « pour qu'il n'y ait pas de perte et que ça fonctionne... »

  • Encadré 4:

    Liliane Schranz : pas toujours simple de prendre ses marques
    « Je voulais changer quelque chose après dix ans dans la même place de travail. » Liliane Schranz a 35 ans et vient de la ville de Berne. Elle y fréquentait une Eglise charismatique. Pharmacienne de formation, elle a rejoint le bateau avec l'objectif d'exercer son travail tout en aidant des gens. « Les deux ou trois premières semaines ont été difficiles, histoire de prendre ses marques », indique-t-elle. Se décrivant comme une introvertie, le fait d'aller vers les gens lui a demandé un effort. Si elle s'est engagée pour six mois, elle a commencé dans le ménage pour rejoindre en février la pharmacie hospitalière. Spirituellement, elle dit apprendre à faire confiance à Dieu et encouragera certainement d'autres à faire cette expérience, « même si c'est pas toujours facile ».

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