« L’assistance au suicide est tout simplement contraire à ce que je suis, à ce que je crois. » Infirmière-cheffe de la Maison d'accueil Praz-Soleil, établissement médico-social à Château-d’Oex, Annette Granier, 61 ans, a les idées et le verbe clairs : « Je suis prête à quitter mon travail si l’on m’oblige à assister au suicide des personnes dont je me suis occupée. Comprenez : j’ai été formée pour soigner les personnes jusqu’au bout. »
Au terme d’une journée harassante, elle se dit fortement interpellée par la votation qui doit intervenir dans le courant du mois de juin : « Il en va de mes convictions chrétiennes qui m’ont toujours fait ‘choisir la vie et non la mort’, explique-t-elle. Et puis j’ai travaillé en situation de guerre, au Soudan et ailleurs. En tant que soignante, je me suis constamment attachée à préserver la vie, comme une façon de servir Dieu. » Alors elle dit ne pas vouloir se sentir « instrumentalisée » ou réduite à « un objet désincarné » qui n’a plus qu’à s’occuper d’un corps décédé de mort violente. « Car les gens d’EXIT ne prennent pas le corps, vous le savez ? » Des mots forts pour cette responsable, qui s’inscrivent dans la ligne de chrétiens qui, en EMS, s’opposent aussi bien à l’initiative lancée par les responsables d’EXIT qu’au contre-projet du gouvernement vaudois. Deux objets qui, pour Roger Matthias Link, le directeur de cette maison d’accueil chrétienne du Pays d’Enhaut, s’inscrivent dans un éloignement des valeurs chrétiennes : « C’est la seule liberté de l’individu qui prime », regrette-t-il.
Une solution « digne » ?
Actuellement, l’association faîtière qu’est l’AVDEMS (Association vaudoise d’Etablissements médico-sociaux) recommande à ses différents membres de trouver « une solution digne pour leurs résidents qui souhaiteraient mettre un terme à leur vie », tempère à Lausanne son secrétaire général Tristan Gratier. Mais digne, ça veut dire quoi ? Pour Annette Granier, il n’y pas de « bons » moments ou de « bon » âge pour se suicider : « Faut-il aussi aider les jeunes qui ne veulent plus vivre à passer à trépas ? » Le médecin cantonal Karim Boubaker la rejoint dans son interrogation en estimant que la mort, selon lui, n’est pas digne par définition : « Plongez-vous dans la littérature : cela veut dire quoi, ‘mourir dans la dignité’ ? »
A y regarder de plus près, les 150 EMS vaudois reconnus d’intérêt public sont très divisés sur la question. Pour l’heure, les équipes soignantes en EMS ne sont pas préparées à la mort violente, reconnaît Tristan Gratier : « Elles ont le sentiment d’avoir mal travaillé quand un patient recourt à l’assistance au suicide. » A La Tour-de-Peilz, Didier Bourqui, directeur de l’EMS Phare-Elim confirme : « Notre personnel n’est pas formé à l’assistance au suicide. » Si ce directeur attend aujourd’hui une prise de position claire sur la question de la part de l’Armée du salut dont dépend son établissement, il indique n’avoir encore jamais eu affaire à ce genre de demande.
« Je suis contre l’assistance au suicide à 300%, exprime pour sa part Bernard Russi, à la tête de 18 établissements et membre de l’Eglise évangélique La Colline à Crissier (FREE). Au niveau éthique, elle représente un échec total de notre société. » La Fédération patronale des EMS vaudois (FEDEREMS) dont il est membre avait d’ailleurs pris une position contre de principe, avant d’être consultée pour le contre-projet et d’avoir demandé l’ajout stipulant « l’implication des Directions d’EMS comme décideurs ».
Dans la charte de l’EMS d’origine catholique La Paix du soir, au Mont-sur-Lausanne, toute aide au suicide est exclue.
Garde-fous
L’initiative législative d’EXIT demande pourtant l’ajout dans la loi sur la santé publique d’un article qui stipule que les EMS qui bénéficient de subventions publiques doivent accepter la tenue d’une assistance au suicide dans leur établissement, pour autant que leurs résidents en fassent la demande à une association pour le droit de mourir dans la dignité ou à leur médecin traitant. « On veut pouvoir intervenir dans les EMS comme à domicile », commente le médecin Jérôme Sobel, Président d’EXIT en Suisse romande. Non sans ajouter qu’une institution d’intérêt public se doit, selon lui, d’être neutre.
Si le Code pénal ne réprime plus l’assistance au suicide, « on franchit un pas supplémentaire avec l’initiative et le contre-projet adopté par le Conseil d'Etat vaudois, explique Karim Boubaker. Car les deux objets visent la reconnaissance de ce droit dans la loi cantonale, ce qui obligera les établissements à l’appliquer. »
Adopté par le Conseil d’Etat, le contre-projet – qui doit encore être soumis au Grand Conseil – pose un cadre à l’assistance au suicide. Il s’agit de garde-fous qui contrôlent la capacité de discernement de la personne et la persévérance dans son choix. Il faut aussi qu’elle soit atteinte d’une maladie grave et incurable, et que des alternatives lui aient été proposées, notamment en termes de soins palliatifs. « Un cadre nécessaire », estime Karim Boubaker, en précisant être chaque année sollicité par des médecins qui disent que ces conditions ne sont à leur sens pas respectées et qui parlent de pressions familiales ou morales exercées sur des personnes qui demandent l’assistance au suicide.
Mais au-delà du contrôle, le lieu même où cette assistance se pratique est plus que délicat. Défini comme un lieu de soins, l’EMS n’est a priori pas l’endroit adéquat où administrer une potion létale. « Il y a une contradiction, reconnaît le médecin cantonal, mais on n’a pas le choix, car l’assistance au suicide est déjà un acte passivement validé par la société. »
Le contre-projet pourrait néanmoins comprendre une clause d’exception, respectant la sensibilité et les valeurs exprimées par des directeurs, médecins et soignants chrétiens qui travaillent en EMS.
La votation populaire sur la question devrait intervenir en juin.
Gabrielle Desarzens
Le texte de l’initiative Exit.
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