« Jonas avalé par un poisson, c’est nous ! »

mardi 03 octobre 2017

« Jonas me déloge de mes certitudes, exprime la théologienne et pasteure Francine Carrillo, qui vient de publier un livre à son sujet1. Il interroge mes résistances, mes peurs. » Et il parle de Ninive, là où aujourd’hui encore la violence fait rage. « Mais nous avons aussi des Ninive intérieures », estime la Genevoise, rencontrée à La Sage, en Valais, où elle a élu domicile.

 Au-delà de l’histoire pour enfants de ce prophète qui se fait avaler par un poisson, « Jonas, c’est vous, c’est moi », dit simplement la théologienne et pasteure genevoise Francine Carrillo. « C’est chacun d’entre nous confronté à cette question : l’humain peut-il faire l’économie de l’Autre qui le taraude ? » A La Sage, dans le val d’Hérens en Valais, elle trouve avec son mari Carlos à la fois recueillement et inspiration. Venue ce jour-là à ma rencontre par un sentier qui sillonne entre les habitations, elle m’emmène au chaud dans un de ces chalets « construits en pierres côté montagne, en bois côté vallée ». Autour d’un café noir, installées à une table en bois, elle parle de Jonas, cette figure qui selon elle parle de nous, comme beaucoup d’histoires de la Bible.

- Francine Carrillo, il y a des lieux emblématiques dans cette histoire, comme Ninive d’abord, une ville dirigée par la violence...

C’est quand même extraordinaire de penser que Ninive, c’est aujourd’hui quasiment Mossoul en Irak, le lieu de tous les conflits par excellence, où la violence est en pleine recrudescence. Je me dis que l’histoire a des insistances ! Ninive, c’est aussi le lieu de toutes nos peurs, de notre désarroi devant l’incompréhension du monde. Mais regardez : Jonas est invité à se rendre dans cette ville dont les lettres en hébreu sont les mêmes que celles de son nom. Elle représente donc métaphoriquement sa ville intérieure, si je puis dire. Ce lieu qu’il est appelé à visiter pour devenir vraiment lui-même. Cela me dit qu’on ne peut devenir soi-même si l’on n’a pas apprivoisé ses parts d’ombre, ses peurs de l’autre, de la différence. C’est tout cela qu’il faut oser aller voir, si on veut tendre vers une certaine liberté d’être.

- Il y a cette injonction faite à Jonas: « lève-toi ! » Et vous écrivez qu’il faut se lever, notamment « pour briser les écorces du mal ». Qu’est-ce que cela signifie ?

A l’image des arbres d’une forêt où chaque arbre est différent, chaque être humain donne de lui-même une certaine image qui est de l’ordre de l’écorce. Or l’important est de briser cette écorce pour retrouver le noyau dur de notre être. C’est à ce niveau-là qu’il est bon de communiquer, pas au niveau des apparences. Or on vit beaucoup dans une société de l’image et on a de la peine à se défaire de ce qu’on attend de nous, de ce qu’on donne à voir aux autres. Ce qui est très intéressant, c’est que dans le texte, Jonas s’en va à Jaffa, le port qui va l’emmener au loin ; il y a là une allusion au monde de la superficialité qui est le sens même du mot Jaffa (« la belle » en hébreu ndlr). Jonas choisit cela : il se réfugie dans un milieu factice parce qu’il ne veut pas comprendre ce qui lui donnerait sa propre parole. Le débat est extrêmement intéressant : est-ce que nous parlons en vérité ou ne cédons-nous pas à un bavardage qui cache ce que nous sommes plutôt que de le révéler ?

- N’y a-t-il pas justement une peur de montrer qui on est vraiment ?

Un des messages de ce texte, c’est que Jonas est appelé à risquer sa singularité. Il y a une très belle histoire juive à ce propos : le rabbi Zousya explique qu’on ne va pas demander à sa mort s’il a été Moïse, Elie, ou un autre personnage important, mais s’il a été Zousya. Et la question nous est posée : est-ce que tu veux être toi-même, risquer le fait que tu es un être unique, ou est-ce que tu préfères te fondre dans les injonctions de ce que la société te propose d’être ? Or je crois que tout le travail de nos vies, c’est de devenir qui nous sommes.

- Autre lieu emblématique, le fond de la cale du bateau où Jonas se réfugie malgré la tempête...

C’est cette tentation de fermer les yeux, de ne plus vouloir voir ou sentir... Parce que le réel est désespérant. Ce repli est tellement significatif de ce que nous sommes... Quand une injonction nous est faite d’ouvrir les yeux, de prendre nos responsabilités, on peut ne pas vouloir y répondre. Mais dans le texte, il y a deux enfouissements : le bateau, mais aussi le ventre du poisson. Et ce qui frappe, c’est qu’après que Jonas ait été avalé, quelque chose se passe au bout de trois jours: Jonas se met à parler. On touche là à quelque chose de très profond. Cela signifie qu’au fond du sentiment d’abandon, la vie peut ressurgir. Cela me dit que tant qu’on est dans la maîtrise, on ne laisse rien entrer en nous ; et rien en sortir non plus. Et que si on était davantage capable de se laisser interpeller par les autres, d’avouer aussi ses fragilités, on serait plus dans la vérité et dans la solidarité.

- Et quelles analogies peut-on faire avec les migrants qui se retrouvent aujourd’hui « à fond de cale » ?

Le lien avec l’actualité, c’est d’abord que les migrants ne s’y retrouvent pas par choix. Et que les bateaux qui devraient faire lien entre deux rives, qui devraient être porteurs, on en fait aujourd’hui des tombeaux. Et qu’il nous faut chacun aller au fond de nous-même pour y chercher cette voix qui nous appelle à plus de justice !

Gabrielle Desarzens

1 Francine Carrillo, « Jonas, comme une feu dévorant », Labor et Fides : 2017

L’émission Babel de RTS Espace 2 donne la parole à Francine Carrillo dimanche 8 octobre à 11h.

Cet article a été publié dans les pages de La Liberté en date du samedi 30 septembre 2017.

Publicité
  • Surmonter les abus au fil d’un conte

    Surmonter les abus au fil d’un conte

    Il était une fois… une enfant abusée, dont les larmes sont recueillies par une grenouille qui l’accompagne jusqu’au Roi d’un royaume fabuleux. Dans cette histoire, la psychologue Priscille Hunziker parle de la prise en compte de la souffrance. « Le voyage que fait la petite Emmy, c’est la métaphore d’un accompagnement psycho-spirituel », dit-elle mercredi 6 avril. Rencontre.

    jeudi 07 avril 2022
  • Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Au Liban, les habitants vivent l’intensité de la vie face à l’intensité de la mort, selon les mots du théologien et prêtre maronite Fadi Daou rencontré à Genève. Il invite notamment ses concitoyens à devenir des sauveurs… sur les pas de Jésus.

    mardi 21 décembre 2021
  • Noël, ou sortir de nos jugements

    Noël, ou sortir de nos jugements

    Thierry Lenoir est aumônier à 100% à la clinique de La Lignière à Gland. Cet ancien pasteur adventiste parle de l’esprit de Noël en termes de jugements moraux, sociaux et religieux à mettre de côté. Une réflexion qu’il partage dans l’émission Hautes Fréquences diffusée dimanche 19 décembre à 19 heures sur RTS La Première.

    mercredi 15 décembre 2021
  • « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    On investit dans nos carrières professionnelles, dans nos maisons… mais pas assez dans notre couple. C’est le constat que dressent Marc et Christine Gallay, le couple pastoral de l’église évangélique (FREE) de Lonay. Qui pratique avec bonheur une méthode dite « Imago », qui met la cellule de base créée par Dieu à l’honneur. Rencontre.

    lundi 01 novembre 2021
  • « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    Il y a quelques années, un trafic d’enfants proposés à l’adoption à des couples suisses secouait l’actualité. Sélina Imhoff, 38 ans, pasteure dans l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin, en a été victime. Elle témoigne avoir appris à accepter et à avancer, avec ses fissures, par la foi. Et se sentir proche du Christ né, comme elle, dans des conditions indignes. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Des choix porteurs de vie

    Des choix porteurs de vie

    Abandonner la voiture et emménager dans une coopérative d’habitation ?... Deux couples de l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin ont fait ces choix qu’ils estiment porteurs de vie. « Le rythme plus lent du vélo a vraiment du sens pour moi », témoigne Thiéry Terraz, qui travaille pour l’antenne genevoise de Jeunesse en mission. « Je trouve dans le partage avec mes voisins ce que je veux vivre dans ma foi », lui fait écho Lorraine Félix, enseignante. Rencontres croisées. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

    vendredi 22 septembre 2023
  • Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian symbolise l’espoir pour tous ceux que la vie malmène. Aujourd’hui, cette trentenaire tanzanienne collabore comme assistante de direction au siège de Compassion à Arusha, en Tanzanie. Mais son parcours de vie avait bien mal débuté… Nous avons rencontré Vivian au bureau suisse de l’ONG à Yverdon, lors de sa visite en mars dernier. Témoignage.

    jeudi 15 juin 2023
  • « Auras-tu été toi ? »

    « Auras-tu été toi ? »

    Elle puise dans le judaïsme de quoi nourrir sa foi chrétienne. La théologienne et pasteure Francine Carrillo écoute, calligraphie et fait parler les lettres hébraïques qui, selon elle et avec toute la tradition juive, sont porteuses de sens et d’espérance. Rencontre.

    lundi 20 juin 2022

eglisesfree.ch

  • Un·e responsable des finances (10%)

    Lun 29 janvier 2024

    Plus grande fédération d’Eglises évangéliques en Suisse romande, la FREE offre un cadre de travail dynamique et défiant, en lien étroit avec les autres acteurs du milieu chrétien évangélique romand, suisse et international. Dans ce cadre, la FREE recherche un·e responsable des finances.

  • Rencontre générale : une fédération utile

    Mer 29 novembre 2023

    La Rencontre générale du 25 novembre 2023 a permis de remercier Stéphane Bossel pour 23 ans d’engagements divers et importants dans la FREE. Elle a aussi permis à l’équipe de direction de partager quelques priorités, notamment le sens, les valeurs et la plus-value que la FREE peut offrir aux Eglises.

  • Rencontre générale de la FREE : l’équipe de direction souffle sa première bougie

    Sam 08 avril 2023

    La Rencontre générale de la FREE, qui a eu lieu le 1er avril 2023 à Aigle, a permis à la nouvelle équipe de direction de dresser un bilan, après tout juste une année de fonctionnement. Et ce qui saute aux yeux, c’est le grand nombre des défis à relever.

  • FREE : une première « Journée stratégique »

    Ven 03 février 2023

    Les personnes qui exercent un rôle dans la FREE se sont réunies en janvier pour réfléchir à la mise en œuvre de la nouvelle « gouvernance à autorité distribuée » (1). Retour sur une « Journée stratégique » conviviale et studieuse.

LAFREE.INFO

  • Ballens : Le départ à la retraite de Jean-Pierre et Brigitte Junod dignement fêté

    Jeu 28 mars 2024

    Le couple Junod a implanté pas moins de cinq communautés évangéliques, dont deux Eglises rattachées aujourd'hui à la FREE: l’Eglise «La Rencontre» à Vallorbe et L’Eglise «En Chemin» à Ballens. Le 24 mars, c’est entre joie et tristesse que la jeune communauté de Ballens a laissé partir à la retraite Jean-Pierre et Brigitte. Une centaine de personnes étaient venues les entourer.

  • The Chosen, à Pâques, sur C8

    Jeu 28 mars 2024

    A l’occasion de Pâques, la chaîne de télévision française C8 (Canal 8) diffuse le début de la saison 4 de la série The Chosen, consacrée à la vie de Jésus.

  • Je veux m’en aller

    Mer 27 mars 2024

    A l’image de Jésus-Christ, il est bon que nous ayons conscience de la brièveté de notre vie. De même, il est important que nous ayons confiance en Dieu qui choisit, avec sagesse, le moment de notre départ.

  • Que faisons-nous du temps qui passe ? Que fait de nous le temps qui passe ?

    Ven 22 mars 2024

    Nous sommes invités à vivre le « déjà » du « Tout est accompli » à Golgotha, et le « pas encore » du « Oui, je viens bientôt ! ». Cet éclairage nous suggère deux questions : « Que faisons-nous du temps qui passe ? Que fait de nous le temps qui passe ? » Vigilance et persévérance dans une fidélité vivante et libre. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

Instagram

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !