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«Ras-le-bol de Luther ou pourquoi célébrer une théologie qui va disparaître?» par Henri Bacher

samedi 23 septembre 2017

En cette année de commémoration des 500 ans de la Réforme, Henri Bacher, spécialiste en communication par l’image et la vidéo, invite, à l’heure du numérique et de la communication émotionnelle, à se montrer critique par rapport à la culture de Gutenberg.

Le bloc des Eglises issues directement de la Réforme du XVIe siècle est irrémédiablement en perte de vitesse. Les évangéliques classiques issus de ce courant par le truchement des réveils successifs sont également en danger de disparition. La spiritualité, liée à la culture de l’écrit et du livre, s’affaiblit de plus en plus, pas seulement parce que la population se désintéresse de Dieu, mais parce que la culture dans laquelle baigne cette spiritualité s’affaiblit. Ce bloc a fait son temps et un autre se met en place. A l’époque, la Réforme a laminé une grande partie du christianisme catholique, qui a pourtant évangélisé le monde. Aujourd’hui, nous nous faisons laminer par l’émergence de nouvelles spiritualités liées à l’émotion et au monde numérique.

La Réforme est liée à la culture du livre

Pour expliquer ce nouveau monde pétri par l’émotion, je prendrais simplement l’image de la Création. Nous percevons la réalité de la Création, avant tout par le regard, le toucher et l’ouïe. Pourtant, ce monde est sous-tendu par les mathématiques, la physique, la chimie, etc. Un monde qui peut s’expliquer par des chiffres et des lettres. La culture du livre est un monde de lettres et de chiffres. Nous n’aurions jamais pu envoyer des engins sur la lune, sans le développement des chiffres et des lettres. Nos théologies issues de la Réforme sont des explications, avant tout, à partir de la pensée régie par les chiffres et les lettres. C’est une manière de penser qui a été favorisée par le levier technologique de l’imprimerie et relayée par les systèmes scolaires.

L’immersion

Aujourd’hui, le levier technologique du numérique inverse les tendances. Pour le monde numérique, ce qui est important, c’est de créer des interfaces visuelles et tactiles. Le client s’en fiche de la technologie (le maniement intellectuel des chiffres et des lettres) qu’il y a derrière son smartphone ; il veut voir, palper, sentir (les vibrations), entendre la voix de son interlocuteur. Les théologiens issus du monde des chiffres et des lettres privilégient le penser académique qui sait, par exemple, remplacer un coeur de chair par un robot. Et de moins en moins de gens les suivent. La prédication actuelle, dans une partie de nos Eglises, s’intéresse à faire « penser » la foi à la manière scolaire, au lieu de faire expérimenter la foi en la regardant, en la touchant et en la palpant. Le toucher, par exemple, ce sont les gestes de bénédiction, les gestes physiques pour demander une guérison (l’imposition des mains). On veut sentir la foi, comme on « sent » la vibration visuelle d’un sous-bois ou d’une grotte. On veut s’immerger dans la foi, comme on plonge dans une rivière.

Une division plus qu’une symbiose

Le drame, c’est que les leviers technologiques, celui de l’imprimerie, comme celui du numérique faussent durablement l’approche holistique de la personne. Au lieu de chercher une unité entre corps et esprit, entre émotion et pensée, on les divise. Comme par le passé où les lettres et les chiffres ont dominé la spiritualité, aujourd’hui ce sont les émotions qui vont dominer le monde religieux. Le lettreux réformé dira : « Il n’y a qu’à venir dans nos facultés pour trouver l’équilibre », et l’émotionnel dira : « Il faut que l’universitaire vienne dans notre monde du sensible pour développer une vraie foi ». Ça ne marchera jamais !

La théologie future devrait plutôt se pencher sur cette approche globale de la réalité humaine. La théologie issue de la Réforme n’est pas consciente qu’elle est aussi prisonnière de son environnement socio-culturel. Elle pense que le livre n’est qu’un support neutre. Avant même que j’écrive sur une page de papier ou maintenant sur un support numérique, je suis déjà pris dans un standard qui me force à penser d’une certaine manière, indépendamment de ce que je puisse penser. C’est comme regarder la réalité à travers la photo. La photo ne peut jamais reproduire la réalité qui est bien plus complexe.

Dieu traverse les cultures !

Y a-t-il une issue ? Je suis très pessimiste à ce sujet, car les leviers technologiques sont extrêmement puissants et hégémoniques. Par contre, ce que je sais, c’est que Dieu traverse n’importe quelle culture pour atteindre le coeur de l’homme. Dieu a pu réaliser des choses extraordinaires au travers de la culture de l’écrit. Il en fera de même avec la culture du numérique, mais ça ne devrait pas nous économiser la recherche d’une théologie plus holistique.

Henri Bacher
Animateur avec son épouse Martine des sites BibleTube et BibleTubeenfants