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« La liberté d’expression oui, mais dans le respect de l’autre » par Christian Bibollet

mercredi 21 janvier 2015 icon-comments 5

Christian Bibollet, membre du Réseau évangélique suisse, estime que les mots peuvent être blessants, voire ressentis comme un meurtre. Ainsi, «l’esprit Charlie» n’est pas sans défaut, et nos sociétés vont devoir apprendre à composer avec des sensibilités à respecter. Cette opinion est parue dans Le Temps du 19 janvier (1).

On sait depuis longtemps que la République est la religion de l’Etat français et que ses trois commandements fondamentaux sont inscrits au fronton de tous ses bâtiments publics. Lors de la grand-messe du 11 janvier, humoristes, artistes et hommes politiques nous ont donc exhortés, au nom de la République, à préserver et incarner «l’esprit Charlie» et à faire de la «pensée libre» une cause nationale. Ce fut un grand moment de «spiritualité républicaine» où il a surtout été question de «liberté» et de «fraternité».

Les faiblesses de l’« esprit Charlie »
Mais «l’esprit Charlie» n’est pas sans faiblesse. Il revendique pour ceux qui s’en réclament le droit de s’exprimer sur tous les sujets avec la plus totale irrévérence; il tient pour acquis son droit à «haïr avec tendresse» ceux que ses caricatures prennent pour cible et il défend l’idée et la pratique qu’on puisse rire d’absolument tout.
Ce credo, qui doit probablement autant à l’esprit de la Révolution française qu’à celui du carnaval, soulève cependant une question: peut-on aussi rire de «l’esprit Charlie» et peut-on remettre en question une liberté d’expression qui ne s’en tient pas à la critique de la pensée mais s’en prend aux personnes?
Lorsque les kalachnikovs des frères Kouachi sont entrées en action le 7 janvier, on a brutalement basculé dans le registre de l’horreur. L’humour des uns a fait place à la rage des autres. Mais le crime de ces hommes, aussi révoltant et condamnable soit-il, force à constater que la «liberté d’expression» demande autant d’esprit de responsabilité que de courage, un fait peu souligné ces derniers jours.
Charlie Hebdo raille et ridiculise en soulignant constamment son mépris des religions. En face, les djihadistes enragent et assassinent avec la conviction d’accomplir un devoir religieux. Entre ces deux attitudes, le droit pénal a tranché: il défend la première parce qu’il considère qu’elle évolue dans le monde abstrait des idées tandis qu’il condamne la seconde parce qu’elle s’empare du droit de punir, qui n’appartient qu’à la loi. Cette différence de traitement demande examen.

Quand les paroles ou les dessins « tuent »
Les sanctions qui frappent principalement les actes d’agression physique correspondent à un degré élémentaire de justice. Mais il en existe une compréhension plus profonde où il n’est plus seulement question des actes commis, mais des intentions et des sentiments qui les inspirent. Et selon cette justice, une parole ou un discours condensé en une caricature peuvent être ressentis comme des «meurtres». Il y a en effet des paroles qui «tuent» et qui peuvent inciter ceux qui les écoutent complaisamment au mépris et à la haine de ceux qui en sont l’objet. C’est un fait que les services de sécurité prennent très au sérieux quand il concerne les «prédicateurs de haine» sévissant dans certaines mosquées ou sur les réseaux sociaux.
Au cours de ces vingt dernières années, Charlie Hebdo a «ferraillé et flingué» tous azimuts pour, dit-on, défendre la laïcité. Mais son discours a-t-il été si vertueux que ça? Les circonstances tragiques de la semaine dernière invitent à la réflexion. D’abord, a-t-il vraiment défendu la laïcité? Si on se souvient que la laïcité n’est pas la «haine de la religion» mais un arrangement entre l’Etat et l’Eglise pour ne pas intervenir dans les affaires l’un de l’autre, on peut en douter. Ensuite, a-t-il vraiment promu la liberté de penser? Oui, une certaine forme, celle qui consiste à mettre au pilori ceux qui ne plaisaient pas à ses rédacteurs et différaient de leur optique libertaire. Mais on attend de la liberté de penser plus que des propos ravageurs. Sans idées constructives, cette liberté n’est rien.

Quelle éthique dans la critique des religions ?
La vingtaine de morts de la semaine dernière ne permet en aucun cas de remettre en question la «liberté d’expression». C’est plutôt la manière d’en user qu’elle questionne. Cette liberté est en effet un acquis très chèrement gagné sans lequel il ne peut y avoir ni éducation, ni démocratie, ni authentique spiritualité. Malheureusement, certains s’en servent pour humilier et détruire, et ainsi rendre impossible la rencontre et le dialogue avec autrui. Il est par conséquent essentiel de réfléchir à l’éthique personnelle qui doit la guider et l’encadrer dans la critique des religions.
Dans des sociétés de plus en plus métissées où il est moins que jamais possible d’entretenir l’équation «un peuple, une religion», toute critique de la religion doit être inspirée par une recherche honnête de la vérité et la volonté de découvrir les principes qui peuvent permettre de vivre ensemble dans le respect mutuel. La critique de la pensée religieuse doit rester possible parce qu’elle peut contribuer à désamorcer divers extrémismes. Mais pour que la critique produise quelque chose de bon, il faut se souvenir que les hommes sont plus que leurs convictions ou leurs religions, et qu’ils ont, par le seul fait d’être humains, un droit absolu au respect.

Se renier soi-même ?
C’est peut-être pour l’avoir trop ignoré que Charlie Hebdo a subi des attaques répétées au fil des ans. La nouvelle rédaction du journal s’est pourtant promis de ne pas changer de ligne éditoriale. Plutôt que de considérer toute remise en question comme un aveu de faiblesse ou de lâcheté, on aurait préféré qu’elle y voie la possibilité de prendre en compte une réalité sociale et spirituelle plus complexe. Mais, en le faisant, Charlie Hebdo aurait cessé d’être Charlie Hebdo! Et c’est bien là la limite de sa liberté.

Christian Bibollet

Note
1 Nous remercions Christian Bibollet d’avoir mis cette contribution à notre disposition. Une autre opinion sur le sujet est parue dans la rubrique « En question ». Elle s’intitule : « ‘Je suis Charlie’ : de la défense du droit au blasphème ! » et elle est signée Serge Carrel.

5 réactions

  • Sergy vendredi, 23 janvier 2015 15:38

    Merci pour cette analyse ! J'avais moi-même réagi sur ma page Facebook (8 janvier) en écrivant que les mots (dessins) peuvent tuer, par effet boomerang - et ce fut les kalach' des frères Kouachi que rien n'excuse cependant...

  • Alain Leycuras vendredi, 23 janvier 2015 19:26

    Merci Christian pour ton bon article sur la question de la liberté d'expression. Je préfère de loin ce point de vue que celui auquel nous avons eu droit précédemment sur le même sujet.
    Alain

  • Thomas lundi, 26 janvier 2015 11:57

    La parole est d'argent, le silence est d'or. Charlie Hebdo critique les religions mais peut-on critiquer la laïcité ? Charlie Hebdo a ses principes. Le dessinateur Siné a été mis à la porte de Charlie Hebdo parce qu'il a réalisé un dessin qui a déplu au rédacteur en chef. Donc les prétendues personnes qui font l'apologie de la liberté d'expression sont des menteurs puisque cette liberté est limitée. Quelles sont les limites de la liberté d'expression ? Tout cela relève de la politique car en France il y a séparation entre les églises et l'Etat (loi de 1905) mais cela n'empêche pas M. Hollande de parader avec le président d'Israël. Je vous rappelle qu'Israël est un état juif et qu'une grande polémique parcourt le monde concernant le sionisme. Sionisme en Israël, sionisme en France, aux Etats-Unis, presque dans le monde entier. Donc on parle de laïcité en France mais on copine néanmoins avec des israélites. En vérité la liberté d'expression n'existe pas car il y a des règles qui sont édictées, des règles établies par des hommes et des femmes. Tout cela est très subjectif car en réalité pour chacun d'entre nous dans ce monde il y a des choses sacrées, taboues et que d'autres personnes ne doivent pas toucher ni salir. Si je vous insulte, il est probable que vous n'aurez pas de sympathie pour ma personne. Pire : il est possible que vous ayez de l'antipathie pour ma personne. Pire encore : il est possible que vous m'insultiez en retour. La France envoie des soldats au Moyen-Orient pour faire la guerre, par conséquent au Moyen-Orient des personnes viennent en France faire leur guerre. C'est dramatique mais c'est ce que je perçois comme un juste retour des choses. Bref la France est un pays en état de guerre. Dans la guerre, tout est permis. Charlie Hebdo a voulu jouer avec le feu, il s'est brûlé les doigts. Etes-vous Charlie ? Donc vous êtes pour la guerre aussi ? Je hais toutes les guerres car elles ne sont que l'expression de la haine. Les guerres démontrent que sur Terre, il y a des êtres humains qui ne veulent pas discuter, qui ne souhaitent aucun compromis et qui ne veulent pas se soumettre. Pour finir, la liberté des uns s'arrêtent là où commence celle des autres. La liberté d'expression et toute cette agitation autour du drame Charlie Hebdo n'est qu'une manifestation politique et comme tout le monde doit certainement le savoir, la politique ne se fonde pas sur l'éloge de la vérité mais sur l'hypocrisie. A toujours dire la vérité et déclarer aux autres le fond de nos pensées, nous finirons dernier et non premier car de toutes les guerres, la plus importante qui est mené depuis toujours est la guerre de l'argent. Je ne suis pas Charlie, je suis pour le respect avant toute chose.

  • Marie-Claude Pellerin lundi, 26 janvier 2015 21:47

    MERCI Thomas ! J'ai aimé lire vos mots réalistes.
    Je n'aime pas les guerres non plus, celles-ci débouchant toujours sur le constat que "la raison du plus riche est toujours la meilleure !"

  • J.-Michel Rossel lundi, 09 février 2015 14:45

    Après avoir lu les deux articles ci-dessus, publiés dans votre «Lettre de Nouvelles» du 6 février 2015, ainsi que les 38 commentaires (34 + 4) qu’ils ont suscités, j’ai noté un nombre considérable d’opinions personnelles mais, sauf erreur de ma part, je ne crois pas avoir relevé qu’elles aient été étayées par des références bibliques.
    La Bible est particulièrement claire au sujet du problème qui a ému l’opinion publique et je me permettrai de la citer, en particulier au sujet de la moquerie.
    «Ne vous y trompez pas : on ne se moque pas de Dieu. Ce qu’un homme aura semé, il le moissonnera aussi.»
    Galates 6. 7
    «Puisqu’ils ont semé du vent, ils moissonneront la tempête»
    Osée 8. 7
    «Si tu es moqueur, tu en porteras seul la peine.»
    Proverbes 9. 12b
    «Sachez avant tout que dans les derniers jours, il viendra des moqueurs avec leurs railleries, et marchant selon leurs propres convoitises.»
    2 Pierre 3. 3
    La Parole de Dieu n’est-elle pas «une lampe à nos pieds, et une lumière sur notre sentier» ? (Psaume 119, 105).
    Cordialement vôtre.

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