Pour N.T. Wright, la justification par la foi n’est pas au cœur du message du Nouveau Testament

lundi 28 août 2017 icon-comments 2

N. T. Wright était à l’Université de Fribourg le 19 juin dans le cadre des Journées d’études pour le renouveau théologique et sociétal. A l’issue de l’une de ses interventions, ce spécialiste du Nouveau Testament mondialement connu et proche des milieux évangéliques a accepté de répondre aux questions de lafree.ch sur la compréhension étriquée que peuvent avoir certains du cœur du message chrétien.

On a fait de la justification par la foi seule le cœur du message des Réformateurs du XVIe siècle. En quoi ce résumé est-il infidèle à ce qui est l’essentiel du message du Nouveau Testament ?
N.T. Wright – Le problème avec la manière dont la justification par la foi a été mise en avant, c’est qu’elle s’inscrit dans une compréhension du message de la Bible qui affirme que nous sommes tous pécheurs, que nous voulons aller au ciel et que Dieu nous montre comment y parvenir. En fait, la Bible en dit bien plus !

C’est vrai : nous sommes pécheurs et nous avons besoin d’être sauvés, mais la perspective globale de la Bible, c’est de parler de Création et de Nouvelle Création. Dieu a fait une alliance d’abord avec Abraham, puis une nouvelle alliance au travers de Jésus-Christ. Si vous considérez la justification par la foi, comme le font certains chrétiens, comme une sorte de passeport pour le ciel, c’est trop simple. Vous manquez l’essentiel !

L’apôtre Paul met cela en évidence aux chapitres 3 et 4 de l’épître aux Romains, dans les chapitres 3 et 4 de l’épître aux Galates, ainsi que dans le chapitre 3 de l’épître aux Philippiens : au travers de Jésus, en tant que Messie d’Israël, par sa mort et sa résurrection, Dieu se montre fidèle à son alliance avec Abraham dont le but est de créer un peuple, qui constitue le début d’une Nouvelle Création. Dieu a promis de remettre en ordre le monde à la fin. Il lance ce projet au travers de la mort et de la résurrection de Jésus, qui s’attaque au péché, au mal et à la mort. Quand quelqu’un met sa confiance dans l’Evangile, Dieu pardonne ses péchés et fait de cette personne une partie de cette œuvre de recréation. A la fin des temps, Dieu va remettre le monde en ordre, mais il nous remet en ordre aujourd’hui pour que nous entrions dans son projet de remise en ordre du monde.

Dans votre dernier livre (1), vous dites que la mort de Jésus est le moment où la révolution a commencé. Qu’entendez-vous par là ?
Dans le Nouveau Testament, Jésus lui-même et quelques-uns des premiers auteurs chrétiens évoquent le fait que des « puissances sombres » ont pris en main le monde. Ils n’avaient pas de langage très adapté pour exprimer cela et nous n’en avons pas non plus. Si j’associe ces « puissances sombres » à Satan, on risque de mettre des choses très différentes derrière ce mot !

Des « puissances sombres » non humaines ont donc recours à des éléments néfastes pour rendre le monde pire encore. Ces puissances se coalisent par l’entremise de Pilate et d’Hérode pour mettre à mort Jésus sur une croix. De manière surprenante, le Nouveau Testament affirme clairement que ce qui s’est passé à la croix ne constitue pas la victoire de ces puissances sur Jésus, mais plutôt qu’il y a là la victoire de Jésus sur elles. Des textes bibliques aussi fondamentaux que Jean 12, Colossiens 2 ou l’Apocalypse le soulignent : la résurrection de Jésus est le début de cette victoire. Quelque chose de nouveau est intervenu. La Nouvelle Création peut apparaître, parce que ces « puissances sombres » ont été vaincues. Il y a là une révolution contre ces puissances qui ont bouleversé le monde et qui proclamaient que l’on ne pouvait rien faire contre le péché et la mort. Cette révolution ne touche pas seulement ma personne et mon péché ! En partie, c’est vrai ! Mais cela touche aussi le monde au sens large. Dieu souhaite que nous nous mettions en route pour que nous soyons des signes de cette Nouvelle Création dans son monde, et de nos jours.

Dans notre théologie souvent centrée sur Vendredi saint, on doit donc donner une importance accrue au dimanche de Pâques, à la résurrection de Jésus…
La manière dont l’évangéliste Jean raconte la résurrection de Jésus est particulièrement signifiante. Au chapitre 20 de son évangile, tout apparaît comme une sorte de « remake » de la Genèse. Tout commence dans l’obscurité, puis il y a la lumière, puis Marie se méprend sur Jésus et le considère comme le jardinier… Il y a là de nombreux symboles qui renvoient à Genèse 1. Ce qui est important, ce n’est pas qu’il y ait la vie après la mort, mais que la Nouvelle Création de Dieu commence. Nous sommes appelés à être partie prenante de celle-ci et à la partager autour de nous !

C’est pour cela que dans les évangiles de Matthieu et de Jean, il est fait mention en lien avec la résurrection du don de l’Esprit, tout comme dans les lettres de l’apôtre Paul.

Les chrétiens ont donc une mission spécifique dans ce monde ?
Leur mission commence avec la résurrection de Jésus qui est le signe et le moyen de la Nouvelle Création. Entre la résurrection de Jésus et l’instauration pleine et entière de cette Nouvelle Création, l’Eglise ne doit pas être passive, mais, animée par l’Esprit, constituer cette entité par laquelle cette Nouvelle Création advient. C’est pour cela que dès les origines l’Eglise a été à l’œuvre en guérissant, en prenant soin des pauvres, en travaillant dans le domaine de l’éducation… L’Eglise, avec les personnes qui la composent, est un signe d’humanisation. Elle permet aux êtres humains d’être véritablement humains et de rejoindre le projet de transformation du monde voulu par Dieu.

C’est ce dont parle le Sermon sur la montagne (Matthieu 5 à 7). Les Béatitudes ne sont pas une liste de vertus requises pour aller au ciel. Elles témoignent plutôt de la manière dont Dieu agit dans le monde : au travers des pauvres, des humbles, de ceux qui ont le cœur brisé, de ceux qui ont soif de justice, de ceux qui pleurent, de ceux qui sont artisans de paix…

A l’occasion des commémorations des 500 ans de la Réforme, qu’est-il important d’avoir à l’esprit pour embrasser cette compréhension plus complète que vous appelez de vos vœux ?
Les Réformateurs et dans mon pays des personnalités comme William Tyndale, l’un des précurseurs anglais de la Réforme, étaient autant concernés par les transformations sociales que par les réformes spirituelles. Ils considéraient cela comme un tout. Au XVIIIe siècle, les Eglises protestantes ont souvent, en lien avec la philosophie des Lumières, séparé la dimension spirituelle – si on peut s’exprimer comme cela – de la dimension pratique ou socio-politique de la foi. D’une manière qui, à mon sens, horrifierait Martin Luther, William Tyndale, Jean Calvin et bien d’autres.

Il est important de nous rappeler que c’est une innovation occidentale récente de dire que la dimension spirituelle et la dimension sociale et politique de l’Evangile ne vont pas ensemble. A coup sûr dans le Nouveau Testament, le tout va ensemble. Au travers de la mort et de la résurrection de Jésus, Dieu veut créer une nouvelle famille, qui soit une réalité sociale et politique qui rende la présence de Dieu sensible comme réalité sociale dans le monde. De nombreux chrétiens occidentaux pensent qu’ils doivent s’échapper du monde présent par une spiritualité personnelle, et qu’ils participeront au monde futur au travers d’une présence désincarnée. Cette manière de voir n’a rien à faire avec la foi chrétienne. Il s’agit d’une forme de platonisme. Le problème principal du christianisme occidental, c’est que nous avons intégré cette forme de philosophie grecque sans même en être conscient.

Propos recueillis par Serge Carrel

Note

1 N. T. Wright, The Day the Revolution Began : Reconsidering the Meaning of Jesus’s Crucifixion, New York, HarperOne, 2016, 440 p.

  • Encadré 1:

    Bio express

    N. T. Wright est un spécialiste du Nouveau Testament mondialement connu. Professeur de Nouveau Testament et d’histoire du christianisme naissant, il enseigne en Ecosse, à l’Université St Andrews au nord d’Edimbourg. Dans ses nombreuses publications, il essaie de montrer l’originalité de la foi chrétienne à partir des contextes juifs, grecs et romains. En français, deux de ses livres ont été traduits : Jésus : retour aux sources (Cléon d’Andran, Excelsis, 1998, 160 p.) et un livre d’apologétique : Chrétien, tout simplement, La pertinence du christianisme (Charols, Excelsis, 2014, 328 p.).

    N.T. Wright a aussi été évêque de Durham au sein de l’Eglise anglicane, de 2003 à 2010.

2 réactions

  • Jean-Pierre Besse vendredi, 01 septembre 2017 16:03

    Ce que dit Wright dans cette interview est très bien : il remet en honneur la perspective eschatologique d'une terre délivrée de ses ombres et recréée. Mais il y a plus de 30 à 40 ans que cette reprise de conscience a commencé : l'unité (biblique) entre une spiritualité du salut gratuit peu ou pas connectée avec la marche du dessein recréateur de Dieu dans l'Histoire d'une part et, d'autre part, le développement pratique de cette dynamique globale dans des signes et des réalisations partielles sur le plan social, économique, culturel, avec le risque de les détacher du Seigneur vivant. Même s'il y a encore beaucoup à faire pour que cette vision s'inscrive chez les fidèles des églises, cette théologie ne me semble pas nouvelle. Ce qui est plus nouveau et fécond est de le présenter comme une force révolutionnaire qui inscrit la réconciliation entre Dieu et l'humanité non pas juste dans un ”ciel” religieux mais bien sur une terre qui doit être renouvelée ou même recréée. On aimerait entendre N.T. Wright dire ce qu'il pense de cette rénovation par rapport à l'avant et à l'après de la parousie annoncée de Jésus comme Messie universel. Que la croix soit vue comme une ”victoire sur les puissances sombres” a été perçu depuis les pères du désert et de l'Eglise déjà. Dans les milieux de Réveil aussi (c'est alors la croix qui risque d'être minimisée). Mais il est excellent d'élargir la perspective d'une Réforme réduite au salut par la foi seule !!! Le 500ème doit être un retour au Seigneur de la Bible et pas juste à la Réforme racornie !

  • Rouge jm mardi, 12 septembre 2017 07:42

    D'accord avec vous M. Besse.

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