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Reconnaissance d’intérêt public : le président des évangéliques vaudois répond à Thomas Gyger

samedi 02 septembre 2017 icon-comments 6

La semaine dernière sur lafree.ch, Thomas Gyger, membre de l’équipe de responsables de l’Eglise évangélique mennonite des Bulles à La Chaux-de-Fonds, a pris position contre la demande de reconnaissance des Eglises évangéliques par l’Etat. Sur Vaud ou sur Neuchâtel. Cette semaine, Olivier Cretgny, président de la Fédération évangélique vaudoise (FEV), lui répond. N’hésitez pas à réagir au bas de cette contribution !

Cher Monsieur et frère en Christ,

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt vos arguments pour décourager les Eglises, ou Fédérations comme la FEV, de demander la reconnaissance de leurs communautés religieuses auprès de leur gouvernement cantonal.

Vous représentez un mouvement chrétien, les Mennonites, que j’apprécie énormément, mais qui, à cause de son histoire – entre autres, et pour cause ! – ne veut pas de relations structurelles avec les autorités gouvernementales.

A partir de là, vous avez analysé les travaux de la FEV en décelant tous les indices qui pourraient nuire à la liberté religieuse et édulcorer le message de l’Evangile. Les points que vous soulevez méritent notre attention, mais je désire vous répondre en prenant une image sportive.

Jouer un match officiel

La FEV a décidé de participer à un tournoi de football officiel et elle joue actuellement les arrêts de jeu de la première mi-temps. Je m’explique. Le but d’un tournoi officiel, c’est d’être reconnu dans la société civile. Les motifs sont de vivre les valeurs fondamentales chrétiennes dans une société sécularisée, qui veut se couper de ses racines judéo-chrétiennes.

Tant que l’équipe joue des matches amicaux, cela ne pose pas de problème ; mais il en va tout autrement quand on se confronte officiellement avec une société qui n’a plus les mêmes repères éthiques, en particulier, et qui refuse de plus en plus la transcendance chrétienne.

Je mentionne quelques exemples. Vivre sa foi dans le médico-social vaudois n’est plus gagné d’avance (demandez aux œuvres sociales de la FREE et de l’Armée du Salut). Etre un aumônier confessionnel dans une structure institutionnelle n’est plus une évidence. Communiquer nos valeurs dans les médias officiels devient un exercice de haute voltige. Mettre sur pied des formations théologiques évangéliques d’un certain niveau rencontre de l’opposition ouverte. Sur le plan politique, nos conseillers municipaux, nos députés et nos conseillers nationaux sont très souvent sur la corde raide et font de l’équilibrisme pour se maintenir dans leur foi chrétienne.

« La FEV doit mouiller son maillot ! »

Ces hommes et ces femmes jouent le vrai match ; ils ne sont pas dans les tribunes, ils sont dans l’arène ! Et j’ose dans ma réponse lancer ce cri : « Qui les soutient ? »

Mon vœu le plus sincère, c’est que la FEV « mouille son maillot », entre aussi dans le match pour maintenir et favoriser les valeurs chrétiennes, et exprimer notre salut en Jésus-Christ dans notre société en manque de repères et d’espérance.

Or, entrer dans le match, c’est se confronter aux structures civiles en place. C’est dire non ou oui à certaines choses. Et pour être acceptée au tournoi, la FEV doit faire sa demande de reconnaissance. Maintenant, elle joue la première mi-temps. C’est vrai qu’elle a transpiré pour arriver où elle en est aujourd’hui. Pour poursuivre avec l’image sportive, la FEV mène 1 à 0 et joue les arrêts de jeu; elle mène parce qu’elle a réussi à déposer le dossier. Nous sommes dans les prolongations, parce que nous n’avons pas encore signé la Déclaration liminaire.

Nous voulons la signer pour pouvoir jouer la deuxième mi-temps. Cette deuxième partie de match consistera à établir un partenariat avec l’Etat de Vaud. Sa durée peut aller jusqu’à 5 ans. C’est là que nous allons défendre nos valeurs et veiller à ce que les lois de notre pays soient respectées de part et d’autre ; je pense à la liberté religieuse et à liberté de conscience, en particulier. Il est clair que s’il n’y a pas de terrain d’entente, le match sera arrêté ; autrement dit la reconnaissance n’aura pas lieu.

De la déception

Pour terminer, je vous exprime ma déception. Vous vous êtes permis de faire une analyse et un bilan du travail de la FEV, c’est votre droit. Mais vous l’avez fait à la mi-temps. Vous auriez pu avoir la sagesse d’attendre la fin du match. Or, je vous imagine dans les vestiaires des Eglises évangéliques, en train de les décourager à jouer la deuxième mi-temps. Ce n’est pas sympa ; dommage ! Nous avons besoin d’être encouragés pour gagner la partie, celle de pouvoir être sel et lumière dans cette société institutionnalisée, même si nous devons prendre des coups.

Je souhaite que la Fédération évangélique neuchâteloise demande sa reconnaissance ; nous serons alors deux dans le tournoi. Nous pourrons développer une belle atmosphère communicative aux autres équipes… et tout à la gloire de Dieu !

Olivier Cretegny

Président de la FEV
Château-d’Oex, le 23 août 2017

6 réactions

  • Claude Paroz vendredi, 25 août 2017 14:11

    Dommage, il y a un paragraphe en trop à la fin de votre réaction. Monsieur Gyger a développé une position, au moment opportun en ce qui concerne son canton. N'est-il pas sain que des positions différentes se confrontent pour avancer ensemble ? Vous avez répondu avec vos arguments, très bien, mais pourquoi faut-il ajouter cette touche finale d'agressivité qui me paraît totalement inutile ?
    Si M. Gyger croit fermement à son argumentaire, il se devait de le présenter maintenant. À la fin du match, ce sera peut-être trop tard !

  • SC vendredi, 25 août 2017 16:36

    Voir aussi l'article de nos collègues de Protestinfo: "Une Eglise mennonite neuchâteloise s’oppose à la reconnaissance étatique" ( https://protestinfo.ch/201708248587/8587-une-eglise-mennonite-neuchateloise-s-oppose-a-la-reconnaissance-etatique.html ).
    Serge Carrel

  • Thomas Gyger vendredi, 25 août 2017 22:50

    Cher Frère en Christ, 
    Je regrette sincèrement le malentendu que provoque la publication de notre prise de position par le site lafree.ch et les intentions inamicales que vous me prêtez. Nous ne menons pas une campagne contre la reconnaissance et pouvons tout à fait concevoir et même nous réjouir que d’autres communautés chrétiennes fassent des choix différents du nôtre. 
    Les réflexions au sein de la FEN en vue de procéder à une demande de reconnaissance – alors qu’un projet de loi est en préparation – sont à l’origine de l’élaboration de notre document. Étant donné que Vaud est plus avancé sur ces questions, et que Neuchâtel est particulièrement attentif aux procédures mises en œuvre dans votre canton, il m’a paru normal d’analyser le cas vaudois comme un développement probable de la procédure à laquelle nous pourrions être confrontés en terres neuchâteloises. Et même si l’Église des Bulles est la seule communauté évangélique mennonite implantée dans le canton de Neuchâtel, il est de sa responsabilité de se positionner dans ce processus. A partir du moment que notre réflexion englobe nos deux cantons, il était aussi compréhensible et normal qu’elle intéresse les responsables du site lafree.ch et les Eglises de la FREE bien représentées dans les deux cantons.
    Comme je le mentionne dans le document, notre réflexion a commencé en 2010. La version actuelle du document est le résultat de discussions au sein de notre équipe pastorale, mais aussi avec l’un ou l’autre lecteur au bagage théologique plus solide que le mien ; il a ainsi été enrichi, nuancé et a suscité de nouvelles réflexions. Cette version sera probablement encore retravaillée en dialogue avec d’autres Eglises mennonites, par exemple pour préciser comment être « sel » et « lumière » autrement que jusqu’à présent, vis-à-vis de l’État et dans une société dont les repères sont en pleine mutation. 
    J’ai donc imaginé que notre document pouvait aussi participer au débat public sur ces questions – car c’est un débat qui interpelle chacune des dénominations qui composent le monde évangélique : baptistes, libristes, pentecôtistes, salutistes, etc. Chacune d’elles est appelée à se prononcer sur la question ; et j’espère que chacune le fera en tenant compte d’éléments propres à sa théologie, à son histoire et à ses défis contemporains. Oui, il y a une volonté d’unité dans le monde évangélique, mais cette unité ne devrait gommer ni les spécificités, ni la diversité, et j’ai un peu de mal à imaginer que les évangéliques doivent nécessairement fonctionner sur le mode « alignés couverts » devant l’Etat sur cette question.
    Par rapport à un enjeu aussi important que la reconnaissance, qui engage la vision de la place de l’Eglise dans la société contemporaine et post-chrétienne, il me semble que nous devrions apprendre à mener un débat plus constructif au sein du monde évangélique, sans coller d’étiquettes de « bons » ou de « mauvais » les uns sur les autres. Il faut partir du principe que tous désirent discerner ce que Dieu souhaite pour son Église. Il y a par contre des arguments raisonnables ou pas, forts ou faibles, convaincants ou discutables. Si en tant qu’évangéliques, nous voulons prétendre participer au débat de société, nous devons apprendre à débattre ensemble de façon paisible et raisonnée. 
    Dans ce sens, une mi-temps peut aussi servir à faire le bilan de la première partie du match, à adapter au besoin sa stratégie de jeu, avant d’entamer la seconde partie. 

    Thomas Gyger, 
    Ancien, membre de l’équipe pastorale de l’Église évangélique mennonite Les Bulles,
    Les Ponts-de-Martel, le 24 août 2017 

  • Reto Arcioni dimanche, 27 août 2017 16:18

    ... Et ce n'est pas au vestiaire qu'on distribue les cartons rouges ! Sinon on se met dans la position du joueur et de l'arbitre en même temps, tout en appelant ça "l'équipe", ce qui serait quelque peu abusif comme allégorie.

    L'Eglise de Dieu se manifeste lorsque les opinions bien intentionnées -et surtout le droit de liberté d'expression- peuvent se manifester sans ce genre de "régence" sur la pensée évangélique.

    L'Etat serait-il intéressé à reconnaître d'utilité publique des "motivateurs à être suivis sans condition", au mépris de "ceux qu'on appelle à suivre sans réfléchir" ?

    Jésus, le Chef de l'Eglise, est-Il heureux de ce genre de réaction épidermique ne représentant pas Son intercession auprès du Père pour l'unité de Ses vrais disciples ?

    Lorsqu'on veut parler sport, il faut connaître le sport, sans instrumentaliser tribunes et vestiaires. Lorsqu'on veut parler Eglise, il faut en premier respecter le coeur de Dieu, et avec humilité.

    ... Et lorsqu'on veut parler Etat, il faut définir dans quelle utilité on se définit soi-même : utilité pour l'Etat ou utilité pour les intérêts propres de certains ?

  • Meylan Jean-Jacques mardi, 26 septembre 2017 08:48

    Réaction au débat entre Thomas Gyger et Olivier Cretegny.

    Merci à Thomas Gyger pour sa réflexion éthique stimulante qui apporte un éclairage intéressant sur cette difficile question de la reconnaissance des Eglises par l’Etat.
    Thomas Gyger se place sur le plan de l’éthique chrétienne, dans le champ de l’ecclésiologie, et plus particulièrement sur le terrain du rapport aux autorités politiques. Or, le débat actuel est davantage de nature politique. Le processus visant a obtenir une reconnaissance d’intérêt public résulte d’un choix politique, d’une pesée d’intérêts et de convictions. J’utilise le mot « politique » dans le sens noble du terme qui consiste à vouloir coopérer au bien de la cité, développer l’art du vivre ensemble dans la société, permettre à toutes les forces et instances du pays de contribuer au lien social. Le processus de demande de reconnaissance se fonde sur les opportunités que la Constitution vaudoise, adoptée en 2003, et la loi de 2007 sur la reconnaissance des communautés religieuses, offrent aux Eglises et autres associations religieuses.
    Ce processus m’inspire quelques réflexions... certes autant partiales que partielles:

    - Dans le contexte social actuel, marqué par une laïcité pas toujours bienveillante à l’égard des chrétiens, la reconnaissance serait un signe positif. Un signe qui serait particulièrement apprécié par les nombreux élus chrétiens qui, dans de multiples rouages politiques, œuvrent en cherchant à intégrer leur foi à leur engagement politique. Olivier Cretegny a fort justement énuméré les réelles difficultés auxquelles sont confrontés les croyants dans l’exercice de leurs tâches. On peut légitimement attendre que la reconnaissance offre un certain assouplissement sur ce plan.

    - On l’a rappelé, la reconnaissance offrirait une place aux évangéliques dans les réseaux d’aumônerie où ils ne sont pas admis et ceux où ils sont tolérés. Il a souvent été mentionné que la collaboration au sein des aumôneries serait facilitée lorsque nous serions reconnus par l’État. Il résulte de cette affirmation que c’est le rapport à l’État qui orchestre les relations entre les Églises et les différentes institutions où elles sont représentées. J’avoue ici ma perplexité. Je croyais que c’est l’esprit d’ouverture œcuménique qui anime ceux qui confessent le Christ qui devrait présider aux relations réciproques et non pas nos rapports à l’État !

    - Les Églises historiques, en particulier les autorités de l’EERV souhaitent, pour des raisons idéologiques, certes louables, que la reconnaissance des musulmans soit inscrite dans les faits. Or elles se rendent compte que, dans le contexte vaudois, cette reconnaissance est conditionnée par celle des mouvements évangéliques. La reconnaissance des musulmans ne pourrait pas aboutir si les évangéliques ne sont pas aussi reconnus. D’une certaine manière, la reconnaissance des évangéliques est instrumentalisée au bénéfice de la reconnaissance des associations musulmanes. Aussi les Églises historiques encouragent-elles la reconnaissance des évangéliques alors que, paradoxalement, les autorités de l’EERV sont réticentes à toute forme d’expression évangélique de la foi, aussi bien à l’interne qu’à l’externe. Notons que cette dernière observation est propre au temps présent. Tel n’était pas le cas précédemment et cela pourrait changer à l’avenir.

    - La reconnaissance des Églises évangéliques participe au vaste mouvement de la reconnaissance des Églises institué par la Constitution de 2003. Or cette vaste reconnaissance ne doit pas gommer la distinction fondamentale entre reconnaissance d’utilité publique, qui donne droit à un subside étatique global d’environ 60 millions de francs et celle d’intérêt public qui n’offre aucun subside. Le but d’une reconnaissance aussi large que possible vise à pérenniser le statu quo actuel par peur de la perte des subsides étatiques. Il est intéressant de noter les abus de langage en la matière. Les médias parlent de « l'aide versée aux Eglises du canton » alors qu’il ne s’agit que d’une attribution sélective. Seule la mise à égalité de toutes les institutions religieuses vaudoises devrait permettre un vrai dialogue constructif sur le rôle positif des Églises dans la société.

    - J’ai aussi relevé le curieux procédé qui consiste, de la part de l’État, à modifier les règles du jeu en cours de partie de « ce tournoi de football officiel ».

    Ces quelques réflexions ne doivent pas faire obstacle à la poursuite du processus de reconnaissance, mais elles me paraissent utiles pour mieux en percevoir certains enjeux.
    Lausanne, le 25 septembre 2017 Jean-Jacques Meylan

  • Thomas Gyger samedi, 30 septembre 2017 15:40

    Jean-Jacques Meylan a raison, le débat actuel autour de la question de la reconnaissance est davantage de nature politique. Mais en limitant ce débat au plan politique, il me semblait qu’on ignorait le fait que nos différentes dénominations ont chacune une Histoire, assortie d’un rapport aux autorités, qui leur est propre. Je crois aussi qu’une réflexion éthique, voire théologique – qui ne peut se faire valablement que si on est conscient d’où on vient et d’où on parle – doit précéder un débat de nature plus politique. Une telle réflexion permet de mettre en évidence les enjeux au-delà des bénéfices immédiats liés à la reconnaissance, pour permettre ensuite de se déterminer valablement ; c’est ce que nous avons tenté de faire à l’Eglise mennonite des Bulles.

    Par sa contribution, Jean-Jacques Meylan vient compléter la liste de ces enjeux qui sont parfois complexes et qui se situent à différents niveaux (théologiques, éthiques, sociologiques, religieux, politique, etc). Sa remarque au sujet de l’EERV et de l’islam montre de plus que les évangéliques se situent dans un réseau de tensions plus vaste qui pose éventuellement des questions de nature stratégique.

    Alors, je comprends bien qu’on ne trouve pas dans toutes les communautés évangéliques l'intérêt ou les ressources nécessaires pour analyser tous ces enjeux en détails. Mais maintenant qu’il existe un inventaire des enjeux les plus importants, je crois que les fédérations comme la FEV, la FEN et surtout le RES rendraient un grand service à leurs membres en leur proposant un outil d’aide à la décision.

    Cher Jean-Jacques, merci pour cette réaction constructive.

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